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Approximativement
28 mai 2005

The Princess Bride - Un, La Fiancée

L'année où Bouton d'Or est née, la plus belle femme du monde était une fille de cuisine appelée Annette. Annette travaillait pour le duc et la duchesse de Guise et il n'avait pas échappé à l'attention du Duc que quelqu'un d'extraordinaire faisait l'argenterie. Et l'attention du Duc n'avait pas échappé à l'attention de la Duchesse non plus, qui n'était pas très belle ni très riche, mais plutôt intelligente. Le Duchesse commença à étudier Annette et découvrit rapidement le tragique défaut de son adversaire.

Le chocolat.

Maintenant armée, la Duchesse se mit au travail. Le palais de Guise devint un château de bonbons. Où que vous regardiez, des bonbons. Il y avait des piles de menthe au chocolat dans les tiroirs, des paniers de nougats au chocolat dans les salons.

Annette n'eut pas une chance. En une saison, elle passa de délicate à énorme et le Duc ne regarda plus dans sa direction qu'avec un triste ahurissement embrouillant ses yeux. (Annette, il faut le préciser, semblait toujours plus joyeuse alors qu'elle s'élargissait. Elle s'est finalement mariée avec le chef pâtissier et ils ont tous les deux beaucoup mangé avant que la vieillesse ne les arrête. Les choses, il faut le noter aussi, n'ont pas marché si joyeusement pour la Duchesse. Le Duc, pour des raisons qui dépassent l'entendement, devint bientôt amoureux fou de sa propre belle-mère, ce qui causa des ulcères à la Duchesse, seulement ils n'avaient pas d'ulcères à l'époque. Plus précisément, les ulcères existaient, les gens en avaient, mais on ne les appelait pas des « ulcères ». La profession médicale à cette époque les appelait des « douleurs d'estomacs » et pensait que le meilleur traitement était du café avec une grosse cuillère de brandy deux fois par jour jusqu'à ce que les douleurs disparaissent. La Duchesse prit son mélange fidèlement, regardant à travers les années son mari et sa mère s'envoyer des baisers dans son dos. Sans surprise, la mauvaise humeur de la Duchesse devint légendaire, comme Voltaire en a fait une si parfaite chronique. Excepté que c'était avant Voltaire.)

L'année où Bouton d'Or eu dix ans, la plus belle femme du monde vivait au Bengale, la fille d'un grand marchand de thé. Cette fille s'appelait Aluthra et sa peau avait une perfection mate jamais vue en Inde depuis quatre-vingts ans. (Il n'y a eu que onze teints de peau parfaits dans toute l'Inde depuis qu'on a commencé à faire un compte précis.) Aluthra avait dix-neuf ans quand la vérole arriva au Bengale. La fille survécut, mais pas sa peau.

Quand Bouton d'Or eu quinze ans, Adela Tarrell, du Sussex sur la Tamise, était facilement la plus belle créature. Adela avait vingt ans et elle distançait tellement tout le monde qu'il semblait certain qu'elle serait la plus belle pour de nombreuses, nombreuses années. Mais un jour, un de ces prétendants (elle en avait cent quatre) s'écria que, sans question, Adela était la chose la plus idéale jamais engendrée. Adela, flattée, commença à considérer la vérité de cette déclaration. Cette nuit-là, seule dans sa chambre, elle s'examina pore après pore dans son miroir. (C'était après les miroirs.) Cela lui prit pratiquement jusqu'à l'aube pour finir son inspection, mais, à ce moment-là, il lui paraissait clair que le jeune homme avait été plutôt correct dans ses dires : elle était, puisqu'elle n'avait aucun défaut, parfaite.

Comme elle se baladait dans la roseraie familiale en regardant le soleil se lever, elle se sentait plus heureuse que jamais. « Non seulement suis-je parfaite, se dit-elle, je suis probablement la première personne parfaite de toute la longue histoire de l'univers. Aucune partie de mon corps n'a besoin d'amélioration, comme j'ai de la chance d'être parfaite, riche, désirée, sensible, jeune... »

Jeune ?

La brume commençait à se lever lorsqu'Adela commença à réfléchir. Bon bien sûr je serai toujours sensible, pensa-t-elle, et je serai toujours riche, mais je ne vois pas comment je vais me débrouiller pour rester toujours jeune. Et quand je ne serai plus jeune, comment vais-je rester parfaite ? Et si je ne suis plus parfaite, qu'est-ce que je vais devenir ? Vraiment. Adela fronça les sourcils en réfléchissant désespérément. C'était la première fois que ses sourcils avaient dû se froncer et Adela eut le souffle coupé en réalisant ce qu'elle avait fait, horrifiée de penser qu'elle l'avait endommagé, peut-être pour toujours. Elle courut à son miroir et y passa la matinée et même si elle arriva à se convaincre qu'elle était toujours pratiquement aussi parfaite qu'avant, ça ne faisait aucun doute qu'elle n'était plus aussi heureuse qu'avant.

Elle commença à s'inquiéter.

Les premières lignes d'inquiétude apparurent en quinze jours ; les premières rides en un mois, et avant que l'année soit finie, elle avait plein de plis. Elle se maria peu après, avec l'homme même qui l'avait accusée d'être sublime, et lui donna un joyeux enfer pour de nombreuses années.

Bouton d'Or, bien sûr, à quinze ans, ne savait rien de tout cela. Et si elle l'avait su, elle aurait trouvé ça totalement mystérieux. Comment quelqu'un pouvait se demander si elle était la plus belle femme du monde ou pas ? Quelle différence cela pouvait-il faire si vous n'étiez que la troisième plus belle ? Ou la sixième ? (Bouton d'Or à ce moment-là était loin de ces sommets, elle était à peine dans les vingt premières et c'était plutôt grâce à son potentiel, certainement pas grâce aux soins qu'elle se prodiguait. Elle détestait son visage, elle haïssait l'endroit derrière ses oreilles, peigner ses cheveux la rendait malade et elle le faisait le moins souvent possible.) Ce qu'elle aimait faire, ce qu'elle préférait faire par-dessus tout en fait, c'était monter son cheval et se moquer du garçon de ferme.

Le nom du cheval était « Cheval » (Bouton d'Or n'avait jamais beaucoup d'imagination) et il venait quand elle l'appelait, la suivait quand elle le menait, faisait tout ce qu'elle disait. Le garçon de ferme faisait ce qu'elle disait aussi. En fait, c'était un jeune-homme maintenant, il était devenu un garçon de ferme quand, orphelin, il était venu travailler pour son père et Bouton d'Or l'appelait encore comme ça. « Garçon, attrape-moi ci » ; « Donne-moi ça, garçon. Dépêche-toi, feignant, court, ou je le dirai à Père.

- Comme vous voulez. »

C'était tout ce qu'il répondait. « Comme vous voulez. » Attrape ça, garçon. « Comme vous voulez. » Sèche ça, garçon. « Comme vous voulez. » Il vivait dans une masure près des animaux et, selon la mère de Bouton d'Or, il la nettoyait bien. Il lui arrivait même de lire quand il avait des chandelles.

« Je laisserai un arpent au gars dans mon testament, adorait dire le père de Bouton d'Or. (Ils avaient des arpents à cette époque.)

- Tu vas trop le gâter, répondait toujours la mère de Bouton d'Or.

- Il est esclave depuis des années ; le travail difficile doit être récompensé. » Et, plutôt que de continuer à se disputer (ils avaient des disputes à l'époque aussi), ils se tournaient tous les deux vers leur fille.

« Tu ne t'es pas lavée, dit son père.

- Mais si, mais si.

- Pas avec de l'eau, continuait son père. Tu pues comme un étalon.

- J'ai monté toute la journée, expliqua Bouton d'Or.

- Tu dois te laver, Bouton d'Or, ajouta sa mère. Les garçons n'aiment pas les filles qui sentent l'étable.

- Oh, les garçons ! explosa Bouton d'Or. Je n'ai rien à faire des "garçons". Cheval m'aime et c'est bien assez, merci. »

Elle disait ça à haute voix et elle le disait souvent.

Mais, qu'elle le veuille ou pas, certaines choses commençaient à arriver.

Peu avant son seizième anniversaire, Bouton d'Or réalisa que cela faisait bien plus d'un mois qu'aucune fille du village ne lui avait adressé la parole. Elle n'avait jamais été proche des filles, alors le changement ne lui avait pas sauté aux yeux, mais au moins, avant, elles échangeaient des signes de tête quand elle traversait le village à cheval ou qu'elle passait le long des chemins de terre. Un regard rapide vers elle quand elle approchait, c'était tout. Bouton d'Or coinça Cornelia un matin chez le maréchal-ferrant et lui demanda la raison de ce silence. « J'aurais pensé, après ce que tu as fait, que tu aurais la politesse de ne pas demander, répliqua Cornelia. - Et j'ai fait quoi ? - Quoi ? Quoi ? ... Tu les as volés. » Et cela dit, Cornelia s'envola, mais Bouton d'Or avait compris ; elle savait qui étaient « les ».

Les garçons.

Les garçons du village.

Les garçons, l'intelligence de bœufs, le cerveau en plumes, le crâne comme une crécelle, caressants comme des lourdauds, des têtes d'œufs, la caboche en nouilles, des andouilles.

Comment pouvait-on l'accuser de les voler ? Pourquoi qui que ce soit les voudrait de toute façon ? À quoi étaient-ils bons ? Tout ce qu'ils faisaient c'était embêter, importuner, ennuyer. « Est-ce que je peux brosser ton cheval, Bouton d'Or ? - Merci mais le garçon de ferme me le fait.- Est-ce que je peux monter avec toi, Bouton d'Or ? - Merci mais je m'amuse vraiment bien toute seule. - Tu penses que personne n'est assez bon pour toi, Bouton d'Or ? - Non, non, je ne le pense pas. C'est juste que j'aime monter toute seule, c'est tout. »

Mais durant sa seizième année, même ce genre de discussion fut remplacé par des bégaiements et des rougissements et, aux meilleurs moments, des questions sur le temps. « Est-ce que tu penses qu'il va pleuvoir, Bouton d'Or ? - Je ne pense pas, le ciel est bleu. - Ben, c'est possible qu'il pleuve quand même. - Oui, j'imagine que c'est possible. - Tu penses que personne n'est assez bon pour toi, hein, Bouton d'Or ? - Non, c'est juste que je ne pense pas qu'il va pleuvoir, c'est tout. »

Le soir, la plupart du temps, ils se réunissaient dans le noir derrière sa fenêtre et se moquaient d'elle. Elle les ignorait. Habituellement, les moqueries se transformaient en insultes. Elle n'y prêtait aucune attention. Si cela devenait trop injurieux, le garçon de ferme prenait les choses en main, sortant silencieusement de sa masure, reversant plusieurs d'entre eux, les envoyant voler. Elle n'oubliait jamais de le remercier quand il faisait ça. « Comme vous voulez » était tout ce qu'il répondait.

Quand elle eut presque dix-sept ans, un homme vint de la ville dans un attelage et la regarda alors qu'elle passait à cheval chercher ses provisions. Il était toujours là à son retour, la fixant de sa voiture. Elle n'y prêta aucune attention et, en effet, il n'était pas très important en lui-même. Mais il marqua un tournant. D'autres hommes avaient fait un détour pour l'apercevoir, d'autres avaient même chevauché vingt kilomètres pour avoir ce privilège, comme cet homme. Ce qui est important ici c'est que c'était le premier riche qui avait pris la peine de le faire, le premier noble. Et c'est cet homme, dont le nom s'est perdu dans le temps, qui parla de Bouton d'Or au Comte.


* * *


Le pays de Florin est situé entre ce qui sera plus tard la Suède et l'Allemagne. (C'était avant l'Europe.) En théorie, il était gouverné par le roi Lotharon et sa seconde femme, la Reine. Mais en fait, le Roi ne sortait pratiquement jamais, il se rendait rarement compte s'il faisait jour ou nuit et il passait principalement son temps à marmonner. Il était très vieux, chacun de ses organes l'avait trahi depuis longtemps et la plupart de ses décisions concernant Florin étaient tellement arbitraires que cela importunait nombre de citoyens importants.

C'était en fait prince Humperdinck qui dirigeait les choses. S'il y avait eu une Europe, il en aurait été l'homme le plus puissant. Même alors, personne dans les mille kilomètres ne voulait avoir de problèmes avec lui.

Le Comte était le seul confident du prince Humperdinck. Son nom de famille était Rugen, mais personne n'avait besoin de l'appeler comme ça : il était le seul comte du pays, le titre lui ayant été accordé par le Prince comme cadeau d'anniversaire quelques années auparavant. À une des soirées de la Comtesse, bien sûr.

La Comtesse était bien plus jeune que son mari. Tous ses habits venaient de Paris (c'était après Paris) et elle avait un goût parfait. (C'était après le goût aussi, mais peu après. Et étant donné que c'était si nouveau et que la Comtesse était la seule dame de Florin à en posséder, est-ce que c'est étonnant qu'elle ait été la meilleure hôtesse du pays ?) À la fin, sa passion pour les tissus et le maquillage la força à s'installer de façon permanente à Paris où elle avait le seul salon d'envergure internationale.

Pour le moment, elle s'occupait simplement en dormant dans de la soie, en mangeant dans de l'or et en étant la seule femme la plus crainte et la plus admirée de l'histoire florine. Si elle avait des défauts, ses vêtements les cachaient ; si son visage était bien moins que divin, c'était difficile de le dire après qu'elle eut mis ses substances. (C'était avant le glamour, mais s'il n'y avait pas eu de dames comme la Comtesse, on aurait jamais eu besoin de l'inventer.)

En somme, les Rugen étaient le Couple de la semaine en Florin et ils l'étaient depuis de nombreuses années...


* * *


C'est moi. Toutes les remarques d'abrègement et les autres commentaires seront dans cette jolie écriture italique comme ça vous saurez. Quand j'ai dit au début que je n'ai jamais lu ce livre, c'est vrai. Mon père me l'a lu et je l'ai simplement feuilleté, barrant de grands passages quand j'ai fait l'abrègement et laissant tout exactement comme c'était dans le Morgenstern original.

Ce chapitre est totalement intact. Mon intrusion ici vient de la façon d'utiliser les parenthèses de Morgenstern. La correctrice d’Harcourt n'arrêtait pas de remplir les marges des épreuves avec des questions : « Comment est-ce que ça peut être avant l'Europe et après Paris ? » Et « Comment est-ce possible que ça se passe avant le glamour puisque le glamour est un vieux concept ? Regardez à « glamer » dans l’Oxford English Dictionary. » Et finalement : « Je deviens folle. Qu'est-ce que je vais faire de toutes ces parenthèses ? Quand est-ce que se passe cette histoire ? Je ne comprends rien. Aidez-mooooiiiii ! ! ! » Denise, la correctrice, s'était occupée de tous mes livres depuis Boys and Girls Together et n'était jamais devenue aussi passionnée dans les marges avec moi avant.

Je ne pouvais pas l'aider.

Morgenstern a pu les écrire sérieusement ou pas. Ou peut-être en a-t-il écrites qui étaient sérieuses et d'autres non. Ou peut-être était-ce sa façon à lui de dire avec style à ses lecteurs : « Ça n'est pas réel, ça n'est jamais arrivé. » C'est ce que je pense, même si, si on relit l'histoire florine, c'est vraiment arrivé. Enfin, les faits, personne ne peut parler des motivations. Tout ce que je peux vous suggérer, si les parenthèses vous gênent, c'est de ne pas les lire.


* * *


« Vite... vite... viens... » Le père de Bouton d'Or était debout dans la maison et regardait par la fenêtre.

« Pourquoi ? » répondit la mère. Elle ne laissait rien en plan quand il fallait obéir.

Le père fit un rapide geste du doigt. « Regarde...

- Tu regardes, tu sais pourquoi. » Les parents de Bouton d'Or n'avaient pas exactement ce qu'on pourrait appeler un mariage heureux. Tout ce dont ils rêvaient c'était de se quitter.

La mère de Bouton d'Or leva rapidement les yeux de ce qu'elle cuisinait.

« De ces riches, dit le père de Bouton d'Or. Magnifique. »

La mère de Bouton d'Or hésita puis posa sa cuillère de ragoût. (C'était après le ragoût, mais tout est venu après le ragoût. Quand le premier homme rampa pour la première fois hors de la vase et se fit sa première maison sur la terre, ce qu'il mangea pour son premier dîner fut du ragoût.)

« J'ai le cœur gonflé en voyant cette magnificence, murmura très fort le père de Bouton d'Or.

- Qu'est-ce que c'est exactement, petit gros ? » La mère de Bouton d'Or voulait savoir.

« Regarde, tu sauras pourquoi » est tout ce qu'il répondit. (C'était leur trente-troisième querelle de la journée, c'était bien après les querelles, et il était en retard, treize à vingt, mais il avait rattrapé pas mal de distance depuis le déjeuner où il en était à dix-sept à deux pour elle.)

« Quel âne, » dit la mère et elle s'approcha de la fenêtre. Un instant plus tard elle faisait « Ahhhh » en même temps que lui.

Ils restaient là, tous les deux, minuscules et remplis de crainte.

Bouton d'Or qui était en train de mettre la table les regarda.

« Ils doivent être sur le chemin pour voir le prince Humperdinck quelque part, » dit la mère de Bouton d'Or.

Le père fit un signe de la tête. « Il chasse. C'est ce que fait le Prince.

- Comme nous sommes chanceux de les avoir vus passer, » dit la mère de Bouton d'Or et elle prit la main de son mari.

Le vieil homme opina. « Maintenant je peux mourir. »

Elle le regarda. « Non. » Son ton était étonnamment tendre et peut-être sentait-elle à quel point il était important pour elle, parce que quand il est mort, deux ans plus tard, elle l'a suivi rapidement et la plupart des gens qui la connaissaient dirent que c'était le soudain manque d'opposition qui l'a tuée.

Bouton d'Or se rapprocha et se tint derrière eux, regardant par-dessus eux et bientôt elle eut le souffle coupé aussi parce que le Comte et la Comtesse, tous leurs pages, soldats, domestiques, courtisans, champions et chariots étaient en train de passer par le chemin devant la ferme.

Ils restaient tous les trois debout en silence alors que la procession avançait. Le père de Bouton d'Or était un minuscule idiot d'homme qui avait toujours rêvé de vivre comme le Comte. Il avait déjà été à moins de deux kilomètres de l'endroit où le Comte et le Prince chassaient et, jusqu'à ce moment, ça avait été le grand moment de sa vie. Il était un très mauvais fermier et il n'était pas un meilleur mari non plus. Il n'était pas bon à grand-chose dans ce monde et il n'avait jamais pu comprendre comment il avait pu engendrer sa fille, mais il savait, au fond de lui, que ça avait dû être une merveilleuse erreur, dont il n'avait aucune intention de comprendre la nature.

La mère de Bouton d'Or était une crevette fripée de femme, épineuse et soucieuse, qui avait toujours rêvé d'être un peu populaire un jour, comme la Comtesse pour ainsi dire. Elle était une très mauvaise cuisinière et une encore plus mauvaise maîtresse de maison. Comment Bouton d'Or était sortie de son ventre la dépassait, bien sûr. Mais elle avait été là quand c'était arrivé et ça lui suffisait.

Bouton d'Or elle-même, faisant une tête de plus que ses parents, tenant toujours les assiettes, sentant toujours comme Cheval, aurait simplement voulu que la procession ne soit pas si loin pour pouvoir voir si les habits de la Comtesse étaient vraiment si beaux.

Comme une réponse à sa demande, la procession tourna et commença à entrer dans la ferme.

« Ici ? réussit à dire le père de Bouton d'Or. Mon Dieu, pourquoi ? »

La mère de Bouton d'Or se tourna vers lui. « Est-ce que tu as oublié de payer tes taxes ? (C'était après les taxes. Mais tout est venu après les taxes. Les taxes étaient là avant même le ragoût.)

- Même si je les avais oubliées, ils n'auraient vraiment pas besoin de tout ça pour les collecter, » et il fit un geste vers l'entrée de sa ferme, là où le Comte et la Comtesse, tous leurs pages, soldats, domestiques, courtisans, champions et chariots étaient en train de s'approcher de plus en plus près. « Qu'est-ce qu'ils peuvent bien vouloir me demander ? dit-il.

- Va voir, va voir, lui dit la mère de Bouton d'Or.

- Vas-y. Je t'en prie.

- Non. Toi. Je t'en prie.

- On y va tous les deux. »

Ils y sont tous les deux allés. Tremblotant.

« Les vaches, » dit le Comte, quand ils eurent atteint son attelage doré. « Je voudrais que nous parlions de vos vaches. » Il leur parlait de l'intérieur, son sombre visage assombri par l'obscurité.

« Mes vaches ? dit le père de Bouton d'Or.

- Oui. Vous voyez, je pense démarrer une petite laiterie moi-même et puisque vos vaches sont connues dans tout le pays pour être les meilleures de Florin, j'ai pensé que je pouvais vous demander vos secrets.

- Mes vaches, » réussit à répéter le père de Bouton d'Or, espérant de pas être en train de devenir fou. Parce qu'il savait bien que la vérité c'était qu'il avait de terribles vaches. Si quelqu'un d'autre avait eu du lait à vendre, il aurait été au chômage tout de suite. C'était vrai que les choses s'étaient améliorées depuis que le garçon de ferme était devenu son esclave. Il était clair que le garçon de ferme avait certains talents et il n'y avait pratiquement plus de plaintes maintenant. Mais ça n'en faisait pas les meilleures vaches de Florin. Pourtant, on ne discute pas ce que dit le Comte. Le père de Bouton d'Or se tourna vers sa femme. « Qu'est-ce que tu penses que c'est mon secret, ma chère ? demanda-t-il.

- Oh, il y en a tant, » dit-elle. Elle n'était pas bête, pas quand il était question de la qualité de son stock.

« Vous n'avez pas d'enfant, n'est-ce pas ? demanda alors le Comte.

- Si, Monsieur, répondit la mère.

- Alors laissez-moi la voir, continua le Comte, elle sera peut-être plus rapide pour répondre que ses parents.

- Bouton d'Or, appela le père en se tournant. Sors, s'il te plaît.

- Comment avez-vous su que nous avions une fille ? se demanda la mère de Bouton d'Or.

- J'ai deviné. Je me suis dit que ça devait être l'un ou l'autre. Certains jours, je suis plus chanceux que... » Il s'arrêta tout simplement de parler.

Parce que Bouton d'Or était apparue, sortant en courant de la maison de ses parents.

Le Comte sortit de la voiture. Il descendit avec grâce et se tint très droit. C'était un grand homme avec des cheveux noirs, des yeux noirs, des larges épaules, une cape noire et des gants.

« Fais une révérence, ma chérie, » murmura la mère de Bouton d'Or.

Bouton d'Or fit de son mieux.

Et le Comte ne pouvait pas s'arrêter de la regarder.

Il faut que vous compreniez ceci, elle était à peine placée dans les vingt premières. Ces cheveux n'étaient pas peignés, sales, elle n'avait que dix-sept ans et il y avait encore, à certains endroits, des rondeurs de bébé. On n'avait rien fait à cette enfant. Il n'y avait rien là que du potentiel.

Mais le Comte ne pouvait quand même pas détacher ses yeux d'elle.

« Le Comte voudrait savoir le secret de la qualité d'nos vaches, c'est bien ça, monsieur ? » dit le père de Bouton d'Or.

Le Comte fit oui de la tête, le regard fixe.

Même la mère de Bouton d'Or nota une certaine tension dans l'air.

« Demandez au garçon de ferme, c'est lui qui s'en occupe, dit Bouton d'Or.

- Est-ce que c'est ça le garçon de ferme ? » fit une nouvelle voix de l'intérieur de la voiture. Puis le visage de la Comtesse apparut à la porte.

Ses lèvres étaient peintes d'un rouge parfait, ses yeux verts soulignés de noir. Il y avait toutes les couleurs du monde dans sa robe. Bouton d'Or aurait voulu se protéger les yeux de son éclat.

Bouton d'Or se retourna vers la figure solitaire qui dépassait du coin de la maison. « Oui.

- Amenez-le moi.

- Il n'est pas habillé correctement pour l'occasion, dit la mère de Bouton d'Or.

- J'ai déjà vu des hommes torses nus, » répliqua la Comtesse. Puis elle appela : « VOUS ! » et pointa le garçon de ferme. « Venez ici. » Ses doigts ont claqué sur le mot « ici ».

Le garçon de ferme fit ce qu'on lui demandait.

Et quand il fut proche, la Comtesse quitta l'attelage.

Quand il fut quelques pas derrière Bouton d'Or, il s'arrêta, la tête bien inclinée comme il le fallait. Il avait honte de sa tenue, des bottes usagées et un jean déchiré (les jeans ont été inventés bien avant que ce que pense la plupart des gens) et ses mains étaient serrées comme dans un geste de supplication.

« As-tu un nom, garçon ?

- Westley, Comtesse.

- Eh bien, Westley, tu peux peut-être nous aider avec notre problème. » Elle passa devant lui. Le tissu de sa robe lui effleura la peau. « Nous sommes tous ici passionnément intéressés par le sujet des vaches. Nous en sommes presque devenus fous, tellement nous sommes curieux. Pourquoi, à ton avis, Westley, les vaches de cette ferme en particulier sont les meilleures de Florin ? Qu'est-ce que tu leur fais ?

- Je les nourris, Comtesse.

- Eh bien, voilà, le mystère est résolu, le secret, nous pouvons tous nous détendre. Clairement, c'est la nourriture de Westley qui est magique. Montre-moi comment tu fais, tu veux bien, Westley ?

- Comment je nourris les vaches, Comtesse ?

- Il est intelligent.

- Quand ?

- Maintenant ça sera assez tôt, » et elle lui tendit la main. « Montre-moi le chemin, Westley. »

Westley n'avait pas d'autre choix que de lui prendre le bras. Doucement. « C'est derrière la maison, il y a beaucoup de boue là-bas. Votre robe va être fichue.

- Je ne les porte qu'une seule fois, Westley, et je brûle de te voir en action. »

Et les voilà partis vers l'étable.

Pendant tout ça le Comte continuait de regarder Bouton d'Or.

« Je vais t'aider, cria Bouton d'Or à Westley.

- Je vais peut-être aller voir comment il fait, décida le Comte.

- Il se passe de drôles de choses, » dirent les parents de Bouton d'Or et ils les suivirent aussi, s'ajoutant à la queue des autres, regardant le Comte qui regardait leur fille qui regardait la Comtesse.

Qui regardait Westley.


* * *


« Je ne vois pas ce qu'il a fait de si spécial, dit le père de Bouton d'Or. Il leur a juste donné à manger. » C'était après le dîner et la famille était seule à nouveau.

« Elles doivent l'apprécier lui. J'ai eu un chat une fois qui resplendissait de santé uniquement quand je le nourrissais. Peut-être c'est le même genre de choses. » La mère de Bouton d'Or mettait les restes du ragoût dans un bol. « Voilà, dit-elle à sa fille. Westley attend à la porte de derrière, donne-lui son dîner. »

Bouton d'Or pris le bol et ouvrit la porte.

« Tiens, » dit-elle.

Il fit un signe de tête, prit le bol et parti vers sa souche d'arbre pour manger.

« Je ne t'ai pas dit de partir, Garçon, » commença Bouton d'Or. Il s'arrêta et se retourna vers elle. « Je n'aime pas ce que tu fais avec Cheval. Ce que tu ne fais pas avec Cheval, c'est plutôt ça. Je veux qu'il soit propre. Ce soir. Je veux que ses sabots soient vernis. Ce soir. Je veux que sa queue soit tressée et ses oreilles massées. Ce soir même. Je veux que son étable soit sans tâche. Maintenant. Je veux qu'il brille et si ça te prend toute la nuit, ça te prend toute la nuit.

- Comme vous voulez. »

Elle claqua la porte et le laissa manger dans le noir.

« Je pensais que Cheval avait l'air très bien, en fait, » dit son père.

Bouton d'Or ne dit rien.

« Tu l'as dit toi-même hier, lui rappela sa mère.

- Je dois être trop fatiguée, réussit à dire Bouton d'Or. C'est l'excitation et tout.

- Repose-toi, alors, lui conseilla sa mère. Des choses terribles peuvent arriver quand on est trop fatigué. J'étais trop fatiguée le soir où ton père m'a demandée en mariage. » Trente-quatre à vingt-deux et ça n'était pas fini.

Bouton d'Or alla à sa chambre. Elle se coucha sur son lit. Elle ferma les yeux.

Et la Comtesse regardait Westley.

Bouton d'Or se leva de son lit. Elle se déshabilla. Elle se lava un peu. Elle mit sa chemise de nuit. Elle se glissa entre les draps, se pelotonna et ferma les yeux.

La Comtesse regardait toujours Westley !

Bouton d'Or repoussa ses draps, ouvra la porte. Elle alla à l’évier de la cuisinière et se versa une tasse d'eau. Elle la bu. Elle se servit une autre tasse et la passa sur son front pour se rafraîchir. La sensation de fièvre était toujours là.

Comment ça, fièvre ? Elle se sentait bien. Elle avait dix-sept ans et même pas une ride. Elle jeta fermement l'eau dans le lavabo, se retourna, marcha vers sa chambre, ferma bien la porte et retourna dans son lit. Elle ferma les yeux.

La Comtesse ne voulait pas s'arrêter de regarder Westley !

Pourquoi ? Pourquoi, sur cette terre, la femme qui est la plus parfaite de toute l'histoire de Florin serait intéressée par le garçon de ferme. Bouton d'Or se tourna dans son lit. Et il n'y avait aucune autre façon d'expliquer ce regard, elle était intéressée. Bouton d'Or ferma bien les yeux et étudia son souvenir de la Comtesse. Clairement, quelque chose chez le garçon de ferme l'intéressait. Les faits étaient les faits. Mais quoi ? Le garçon de ferme avait des yeux comme la mer avant la tempête, mais qui faisait attention à ça ? Et il avait des cheveux d'un blond très clair, si vous regardiez ce genre de choses. Et il était assez large des épaules, mais pas aussi large que le Comte. Et il était certainement musclé, mais n'importe qui serait musclé s'il faisait des corvées toute la journée. Et sa peau était parfaite et bronzée, mais ça venait aussi des corvées, sous le soleil toute la journée, qui ne bronzerait pas ? Et il n'était pas aussi grand que le Comte non plus, même si son ventre était plus plat, mais c'était parce que le garçon de ferme était plus jeune.

Bouton d'Or s'assit sur son lit. Ça devait être ses dents. Le garçon de ferme avait de très bonnes dents, ça, il fallait le reconnaître. Blanches et parfaites, particulièrement en contraste avec son visage bronzé.

Est-ce que ça pouvait être quelque chose d'autre ? Bouton d'Or se concentra. Les filles du village suivaient beaucoup le garçon de ferme quand il faisait des livraisons, mais c'étaient des idiotes, elles auraient suivi n'importe quoi. Et il les ignorait tout le temps parce que s'il avait ouvert la bouche, elle auraient réalisé que c'était tout ce qu'il avait, de bonnes dents, après tout, il était exceptionnellement stupide.

C'était vraiment étrange qu'une femme si belle, fine, élancée et gracieuse, une créature si parfaitement faite, si superbement habillée comme la Comtesse pouvait s'en tenir à des dents comme ça. Bouton d'Or frissonna. Les gens étaient étonnamment compliqués. Mais maintenant elle avait tout bien diagnostiqué, déduit, clair. Elle ferma les yeux, se pelotonna, s'installa bien confortablement et les gens ne regardent pas les autres de la façon que la Comtesse regardait le garçon de ferme à cause de leurs dents.

« Oh, soupira Bouton d'Or. Oh, oh ! là ! là ! »

Maintenant le garçon de ferme regardait aussi la Comtesse. Il donnait à manger aux vaches, ses muscles bougeaient comme toujours sous sa peau bronzée et Bouton d'Or restait là à regarder le garçon de ferme regarder, pour la première fois, dans les yeux de la Comtesse.

Bouton d'Or sauta du lit et commença à faire les cent pas dans sa chambre. Comment pouvait-il faire ça ? Oh, il n'y avait aucun problème pour qu'il la regarde, mais il ne la regardait pas, il la regardait.

« Elle est si vieille, » murmura Bouton d'Or en commençant à courir un peu. La Comtesse n'aurait plus jamais trente ans et c'était un fait. Et sa robe avait l'air ridicule dehors dans l'étable et c'était un fait aussi.

Bouton d'Or tomba dans son lit et serra son oreiller contre sa poitrine. La robe était ridicule avant même d'être dans l'étable. La Comtesse avait l'air nulle dès qu'elle était sortie de la voiture avec sa trop grosse bouche maquillée et ses petits yeux porcins maquillés et sa peau poudrée et... et... et...

Frappant et tapant, Bouton d'Or pleura, se tourna, marcha et pleura encore et il y a eu trois grands cas de jalousie depuis que David de Galilée a été frappé par cette émotion quand il n'a pas pu soutenir plus longtemps que le cactus de son voisin Saul éclipse le sien. (À l'origine, la jalousie ne se rapportait qu'aux plantes, aux cactus et aux ginkgos des autres, ou, plus tard, quand il y eut de l'herbe, à l'herbe, c'est pourquoi, encore aujourd'hui, on dit que quelqu'un est vert de jalousie.) Le cas de Bouton d'Or est au quatrième rang de la liste finale.

Ce fut une nuit très longue et très verte.

Elle était devant sa masure avant l'aube. À l'intérieur, elle pouvait entendre qu'il était déjà réveillé. Elle frappa. Il apparut et resta devant la porte. Derrière lui elle pouvait voir une minuscule chandelle et des livres ouverts. Il attendit. Elle le regarda. Puis elle détourna le regard.

Il était trop beau.

« Je t'aime, dit Bouton d'Or. Je sais que ça doit être une surprise, vu que tout ce que je t'ai jamais fait, c'est te mépriser, t'avilir et t'embêter, mais je t'aime depuis plusieurs heures maintenant, un peu plus chaque seconde. Je pensais, il y a une heure, que je t'aimais plus qu'aucune femme n'a jamais aimé un homme, mais, une demi-heure plus tard, je savais que ce que j'avais ressenti n'était rien comparé à ce que je ressentais alors. Mais dix minutes plus tard, j'ai compris que mon amour précédent n'était qu'une petite flaque comparé à la mer avant la tempête. Tes yeux sont comme ça, tu le savais ? Eh bien ils le sont. J'en étais à combien de minutes ? Vingt ? Est-ce que j'ai raconté mes sentiments jusqu'ici ? Ça n'a pas d’importance. » Bouton d'Or ne pouvait toujours pas le regarder. Le soleil se levait derrière elle, elle pouvait sentir sa chaleur dans son dos et ça lui donnait du courage. « Je t'aime tellement plus qu'il y a vingt minutes que ce n'est pas comparable. Je t'aime tellement plus qu'au moment où tu as ouvert la porte, ce n'est pas comparable. Il n'y a plus de place dans mon corps pour autre chose que toi. Mes bras t'aiment, mes oreilles t'adorent, mes genoux tremblent d'affection sans borne. Mon esprit te supplie de lui ordonner quelque chose pour qu'il puisse obéir. Est-ce que tu veux que je te suive pour le reste de tes jours ? Je le ferai. Est-ce que tu veux que je rampe ? Je ramperai. Je serai silencieuse pour toi et je chanterai pour toi ou si tu as faim, laisse-moi t'apporter à manger ou si tu as soif et rien ne te désaltérera que du vin d'Arabie, j'irai en Arabie, même si c'est de l'autre côté du monde, et je te ramènerai une bouteille pour ton déjeuner. Quoi que je puisse faire pour toi, je le ferai pour toi ; quoi que je ne sache faire, j'apprendrai à le faire. Je sais que je ne peux pas concurrencer la Comtesse en talent, en sagesse et en charme et j'ai vu la façon dont elle t'a regardé. Et j'ai vu la façon dont tu l'as regardée. Mais souviens-toi, s'il te plaît, qu'elle est vieille et qu'elle a d'autres intérêts alors que j'ai dix-sept ans et que pour moi il n'y a que toi. Westley chéri, je ne t'ai jamais appelé comme ça, si ? Westley, Westley, Westley, Westley, Westley, Westley chéri, Westley adoré, doux et parfait Westley, murmure-moi que j'ai une chance de gagner ton amour. » Et après ça, elle osa faire la chose la plus courageuse qu'elle ait jamais fait de sa vie : elle le regarda dans les yeux.

Il lui claqua la porte au nez.

Sans un mot.

Sans un mot.

Bouton d'Or courut. Elle tourbillonna et éclata et les larmes arrivèrent avec amertume. Elle n'y voyait plus rien, elle trébucha, elle se cogna contre un tronc d'arbre, tomba, se releva, continua à courir, elle avait des élancements dans les épaules là où le tronc l'avait frappée et la douleur était forte mais pas assez pour calmer son cœur brisé. Elle vola jusqu'à sa chambre, jusqu'à son oreiller. À l'abri derrière la porte fermée à clef, elle arrosa le monde de ses larmes.

Pas même un mot. Il n'en avait pas eu la décence. « Désolé, » aurait-il pu dire. Est-ce que ça l'aurait tué de dire « désolé » ? « Trop tard, » il aurait pu dire.

Pourquoi n'a-t-il pas pu dire au moins quelque chose ?

Bouton d'Or réfléchit très fort à ça pendant un moment. Et soudainement elle eut la réponse : il ne parlait pas parce qu'à la minute où il ouvrirait la bouche, ça y était. Bien sûr il était beau, mais stupide ? La minute où il aurait fait marcher sa langue, tout aurait été fini.

« Euhhhhhhh. »

C'est tout ce qu'il aurait dit. C'était le genre de trucs que Westley disait quand il réfléchissait dur. « Euhhhhhhhh, merci, Bouton d'Or. »

Bouton d'Or sécha ses larmes et commença à sourire. Elle prit une profonde inspiration et lâcha un soupir. Cela faisait partie du fait de grandir. On a ces petites passions rapides, vous clignez des yeux et elles ont disparu. On oublie les défauts, on trouve la perfection, on tombe follement ; puis le lendemain, le soleil se lève et tout est fini. Maintenant, tu sauras, ma vieille, et on continue sa journée. Bouton d'Or se leva, fit son lit, se changea, se peigna, sourit et éclata à nouveau en sanglots. Parce qu'on ne pouvait se mentir à soi-même que dans une certaine limite.

Westley n'était pas stupide.

Oh, elle pouvait prétendre qu'il l'était. Elle pouvait rire de ses difficultés avec la langue. Elle pouvait se gronder pour sa stupide toquade pour un cancre. La vérité, c'était simplement ça : il avait une tête sur ses épaules. Avec un cerveau dedans tout aussi bon que ses dents. Il y avait une raison pour laquelle il n'avait pas parlé et cela n'avait rien à voir avec le fonctionnement de ses cellules grises. Il n'avait pas parlé parce que, en réalité, il n'avait rien à dire.

Il ne l'aimait pas et c'était tout.

Les larmes qui tinrent compagnie à Bouton d'Or pour le reste de la journée n'avaient rien à voir avec celles qui l'avaient aveuglée et jetée contre le tronc d'arbre. Celles-là étaient bruyantes et chaudes, elles palpitaient. Celles-ci étaient silencieuses et continues et elles lui rappelaient qu'elle n'était pas assez bien. Elle avait dix-sept ans et tous les hommes qu'elle avait jamais connus s'étaient effondrés à ses pieds et cela ne voulait rien dire. La seule fois où c'était important, elle n'était pas assez bien. Tout ce qu'elle savait faire c'était monter à cheval et quel intérêt cela avait-il pour un homme qui avait été regardé par la Comtesse ?

Le crépuscule arrivait quand elle entendit des bruits de pas derrière sa porte. Puis quelqu'un frappa. Bouton d'Or sécha ses larmes. On frappa encore. « C'est qui ? bailla finalement Bouton d'Or.

- Westley. »

Bouton d'Or s'étendit paresseusement en travers du lit. « Westley ? dit-elle. Est-ce que je connais un West... oh, le garçon de ferme, c'est toi, comme c'est drôle ! » Elle alla à la porte, l'ouvrit et dit avec un ton des plus joyeux : « Je suis contente que tu sois passé, je me sens un peu honteuse de la petite blague que je t'ai faite ce matin. Bien sûr tu savais que je n'étais pas sérieuse un instant, ou du moins je pensais que tu le savais, mais quand tu as commencé à fermer la porte, je me suis dit pendant un horrible instant que peut-être j'avais fait ma petite plaisanterie de façon un peu trop convaincante et, pauvre de toi, tu as pu croire que je le pensais alors que bien sûr nous savons tous les deux qu'il est totalement impossible que ça arrive un jour.

- Je suis venu dire au revoir. »

Le cœur de Bouton d'Or se cabra, mais elle garda son ton joyeux. « Tu vas te coucher, tu veux dire, et tu es venu dire bonne nuit ? Comme c'est gentil de ta part, garçon, de me montrer que tu me pardonnes ma petite plaisanterie de ce matin. J'apprécie ta gentillesse et... »

Il l'a coupée. « Je pars.

- Tu pars  ? » Le sol commençait à bouger. Elle s'accrocha à la porte. « Maintenant ?

- Oui.

- À cause de ce que j'ai dit ce matin ?

- Oui.

- Je t'ai effrayé, c'est ça ? Je vais me couper la langue. » Elle secoua la tête et secoua la tête. « Eh bien, c'est fait, tu as pris ta décision. Souviens-toi de ça : je ne te reprendrai pas quand elle en aura fini avec toi, je n'en ai rien à faire si tu me supplies. »

Il la regarda.

Bouton d'Or se dépêcha de continuer. « Simplement parce que tu es beau et parfait, cela te rend suffisant. Tu penses que les gens ne peuvent pas se lasser de toi eh bien tu as tort, ils le peuvent et c'est ce qui se passera avec elle et en plus tu es trop pauvre.

- Je vais en Amérique. Pour faire fortune. (C'était juste après l'Amérique mais bien longtemps après les fortunes.) Un bateau part de Londres bientôt. Il y a de grandes opportunités en Amérique. Je vais en profiter. Je me suis entraîné. Dans ma masure. J'ai appris à ne pas trop dormir. Seulement quelques heures. Je prendrai un job de dix heures et puis je prendrai un autre job de dix heures et j'économiserai le moindre centime en dehors de ce dont j'ai besoin pour manger et rester fort. Quand j'en aurai assez j'achèterai une ferme et je construirai une maison et je ferai un lit assez grand pour deux.

- Tu es fou si tu penses qu'elle va être heureuse dans une quelconque ferme délabrée d'Amérique. Pas avec ce qu'elle dépense en habits.

- Arrête de parler de la Comtesse ! Fais-moi ce plaisir. Avant que tu ne me rendes foooouuuuu »

Bouton d'Or le regarda.

« Est-ce que tu ne comprends vraiment rien à ce qui se passe ? »

Bouton d'Or secoua la tête.

Westley secoua la tête aussi. « Tu n'as jamais été la plus intelligente, j'imagine.

- Est-ce que tu m'aimes, Westley ? C'est ça ? »

Il n'arrivait pas à le croire. « Si je t'aime ? Mon Dieu, si ton amour était un grain de sable, le mien serait un univers de plages. Si ton amour était...

- Je n'ai pas encore compris le début, » interrompit Bouton d'Or. Elle commençait à être très excitée, maintenant. « Laisse-moi y voir clair. Est-ce que tu dis que mon amour est de la taille d'un grain de sable et le tien est cette autre chose ? Les images m'embrouillent tellement... est-ce que ton affaire d'univers est plus grande que mon sable ? Aide-moi, Westley. J'ai l'impression que nous sommes au bord de quelque chose de terriblement important.

- Je suis resté dans ma masure toutes ces années à cause de toi. J'ai appris les langues étrangères à cause de toi. Je suis devenue fort parce que j'ai pensé qu'un homme fort te plairait. J'ai vécu avec seulement l'espoir qu'un matin, soudainement, tu allais regarder dans ma direction. Il n'y a pas eu un seul moment pendant toutes ces années où le fait de te voir n'a pas envoyé mon cœur taper contre ma poitrine. Il n'y a pas eu une seule nuit où ton visage ne m'a pas accompagné dans mon sommeil. Il n'y a pas eu un matin où tu n'as flotté derrière mes yeux... Est-ce que tu comprends quelque chose à ce que je te dis, Bouton d'Or, ou est-ce que tu veux que je continue encore ?

- Ne t'arrête jamais.

- Il n'y a pas eu...

- Si tu te moques de moi, Westley, je vais te tuer.

- Comment peux-tu penser que je me moque ?

- Eh bien, tu n'as jamais dit une seule fois que tu m'aimais.

- C'est tout ce dont tu as besoin ? Facile. Je t'aime. Ok ? Tu veux l'entendre plus fort ? JE T'AIME. Je dois l'épeler ? Ji-euh té-ah-ih-èm-euh. Tu veux l'entendre à l'envers ? T'aime je.

- Tu te moques de moi maintenant, non ? »

« Un petit peu peut-être. Je te l'ai dit depuis si longtemps, tu ne voulais simplement pas entendre. Chaque fois que tu disais "Garçon fais ci" tu pensais que je répondais "Comme vous voulez" mais c'est juste parce que tu entendais mal. "Je t'aime" c'est ça, mais tu n'entendais jamais et n'entendais jamais.

- Je t'entends maintenant et je te fais une promesse : je n'aimerai jamais personne d'autre. Seulement Westley. Jusqu'à ma mort. »

Il hocha la tête, fit un pas en arrière. « Je te demanderai de venir bientôt. Crois-moi.

- Est-ce que mon Westley me mentirait ? »

Il fit un autre pas. « Je suis en retard. Je dois y aller. Je déteste ça, mais je dois le faire. Le bateau embarque bientôt et Londres est loin.

- Je comprends. »

Il tendit la main droite.

Bouton d'Or respirait très difficilement.

« Au revoir. »

Elle réussit à lever sa main droite.

Ils se serrèrent la main.

« Au revoir, » dit-il encore.

Elle fit un petit signe de tête.

Il fit un troisième pas, sans se tourner.

Elle le regardait.

Il se tourna.

Et les mots sortirent d'elle : « Sans un baiser ? »

Ils tombèrent dans les bras l'un de l'autre.


* * *


Il y a eu cinq grands baisers depuis 1642 av. J.-C., quand la découverte involontaire de Saul et Dalilah Korn balaya la civilisation occidentale. (Avant ça les gens se tenaient les pouces.) Et un classement précis des baisers est terriblement difficile à faire, amenant souvent beaucoup de controverses, parce que même si tout le monde s'accorde sur la formule affection fois pureté fois intensité fois durée, personne n'a jamais été complètement satisfait avec l'importance que chaque élément doit recevoir. Mais dans n'importe quel système, il y en a cinq qui méritent selon tout le monde les meilleures notes.

Eh bien, celui-ci les laissa loin derrière.


* * *


Le premier matin après le départ de Westley, Bouton d'Or pensait qu'elle avait mérité de ne plus rien faire que rester assise en pleurant et en ayant pitié d'elle-même. Après tout, l'amour de sa vie était parti, la vie n'avait pas de sens, comment pouvait-on faire face au futur, etc, etc.

Mais après deux secondes de ça elle réalisa que Westley se baladait dans le monde, se rapprochant de plus en plus de Londres et si une jolie fille de la ville le séduisait alors qu'elle restait à moisir ici ? Ou, pire, s'il arrivait en Amérique, travaillait, construisait sa ferme, faisait leur lit, l'appelait et quand elle arriverait là-bas il la regardait et disait : « Je te renvoie, les pleurnicheries ont détruit tes yeux, l'apitoiement a ravagé ta peau, tu as l'air d'une flemmarde, je vais épouser une Indienne qui vit dans un tipi et qui est toujours dans une forme excellente. »

Bouton d'Or courut à son miroir. « Oh, Westley, dit-elle, je ne veux jamais te décevoir » et elle descendit en courant vers là où ses parents étaient en train de se chamailler. (Seize à treize, et le petit-déjeuner n'était pas encore fini.) « J'ai besoin d'un conseil, interrompit-elle. Qu'est-ce que je peux faire pour améliorer mon apparence.

- Commence par te laver, dit son père.

- Et fais quelque chose avec tes cheveux pendant que tu y es, dit sa mère.

- Décrasse le territoire derrière tes oreilles.

- Ne néglige pas tes genoux.

- Ça sera bien pour un début, » dit Bouton d'Or. Elle secoua la tête. « Miséricorde, mais c'est pas facile d'être propre. » Sans être découragée, elle se mit au travail.

Chaque matin, elle se réveillait si possible aux aurores et terminait rapidement les corvées de la ferme. Il y avait beaucoup à faire maintenant, avec Westley parti, et en plus de ça, depuis que le Comte était venu, tout le monde dans la région avait augmenté ses commandes de lait. Donc elle n'avait pas de temps pour l'amélioration personnelle avant tard dans l'après-midi.

Mais alors elle se mettait réellement au travail. D'abord, un bon bain froid. Puis, pendant que ses cheveux séchaient, elle trimait pour réduire les défauts de sa silhouette (un de ses coudes était trop osseux et le poignet opposé pas assez osseux). Et faisait faire de l'exercice à ce qui restait de ses rondeurs de bébé (il en restait peu, elle avait presque dix-huit ans). Et brossait et brossait ses cheveux.

Ses cheveux avaient la couleur de l'automne et n'avaient jamais été coupés, alors un millier de coups de brosse, ça prenait du temps, mais ça ne faisait rien, parce que Westley ne les avait jamais vus propres comme ça et n'allait-il pas être surpris quand elle sortirait du bateau en Amérique ? Sa peau avait la couleur de la crème glacée et elle en frottait chaque centimètre jusqu'à ce qu'elle brille, et ce n'était vraiment pas drôle, mais Westley ne serait-il pas heureux de voir comme elle était propre quand elle sortirait du bateau en Amérique ?

Et très rapidement maintenant, son potentiel commençait à se réaliser. Du vingtième rang, elle sauta en deux semaines au quinzième, un changement inaperçu à cette époque. Mais trois semaines plus tard elle en était déjà au neuvième et elle progressait. La compétition était redoutable maintenant, mais, le lendemain de son arrivée au neuvième rang, vint une lettre de trois pages de Westley à Londres et le simple fait de la lire la mit au huitième. C'est vraiment ce qui en faisait le plus pour elle, son amour pour Westley n'arrêtait pas de grandir et les gens étaient éblouis quand elle livrait le lait le matin. Certaines personnes ne pouvaient que rester bouche bée, mais beaucoup lui parlaient et ils la trouvaient plus chaleureuse et gentille qu'elle n'avait jamais été. Même les filles du village lui faisaient des signes de têtes et lui souriaient maintenant, et quelques-unes lui demandaient des nouvelles de Westley, ce qui était une erreur excepté si vous aviez beaucoup de temps à perdre, parce que quand quelqu'un demandait à Bouton d'Or comment allait Westley... eh bien elle le leur disait. Il était idéal comme d'habitude, il était spectaculaire, il était singulièrement fabuleux. Oh, elle pouvait continuer pendant des heures. Quelques fois, ça devenait un peu dur pour les gens de garder une bonne attention, mais ils faisaient de leur mieux puisque Bouton d'Or l'aimait tellement.

C'est pourquoi la nouvelle de la mort de Westley la frappa ainsi.

Il lui avait écrit juste avant d'embarquer pour l'Amérique. Son bateau était le Queen's Pride et il l'aimait. (C'était comme ça qu'il faisait toutes ses phrases : Il pleut aujourd'hui et je t'aime. Mon rhume va mieux et je t'aime. Dis bonjour à Cheval et je t'aime. Comme ça.)

Puis il n'y eut plus de lettres, mais c'était naturel, il était en mer. Puis elle entendit. Elle revenait de la tournée et ses parents étaient impassibles. « Sur la côte de la Caroline, » murmura son père.

Sa mère murmura : « Sans prévenir. La nuit.

- Quoi ? dit Bouton d'Or.

- Des pirates, » dit son père.

Bouton d'Or pensa qu'elle ferait mieux de s'asseoir.

Silence dans la pièce.

« Il a été fait prisonnier alors ? » réussit à dire Bouton d'Or.

Sa mère fit : « Non.

- C'était Robert, dit son père. Robert Le Redoutable Pirate.

- Oh, dit Bouton d'Or. Celui qui ne laisse pas de survivants.

- Oui, » dit son père.

Silence dans la pièce.

Soudainement Bouton d'Or se mit à parler très vite : « Il a été poignardé ?... S'est-il noyé ?... Est-ce qu'ils lui ont coupé la gorge quand il dormait ?... Est-ce qu'ils l'ont réveillé, vous pensez ?... Peut-être ils l'ont fouetté à mort... » Elle se leva. « Je suis bête, excusez-moi. » Elle secoua la tête. « Comme si la façon dont ils l'ont tué avait une importance. Excusez-moi, s'il vous plaît. » Et cela dit elle couru dans sa chambre.

Elle y resta de nombreux jours. D'abord ses parents essayèrent de l'attirer dehors, mais elle ne se laissait pas faire. Ils lui laissaient de la nourriture dehors et elle en prenait des petits bouts, assez pour rester en vie. On n'entendait jamais un bruit à l'intérieur, pas de plaintes, pas de lamentations.

Et quand elle est finalement sortie, ses yeux étaient secs. Ses parents levèrent les yeux de leur petit-déjeuner silencieux pour la regarder. Ils commencèrent tous les deux à se lever, mais elle les arrêta de la main. « Je peux prendre soin de moi, s'il vous plaît. » Elle se prépara un peu à manger. Ils la regardèrent de près.

En fait, elle n'avait jamais eu l'air si bien. Quand elle était entrée dans sa chambre, elle était une fille incroyablement jolie. La femme qui avait émergé était un tantinet plus fine, beaucoup plus sage, un océan plus triste. Celle-là comprenait la nature de la douleur et, sous la splendeur de son apparence, il y avait du caractère et une connaissance de la souffrance.

Elle avait dix-huit ans. Elle était la plus belle femme depuis cent ans. Cela n'avait pas l'air de l'intéresser.

« Tu vas bien ? » demanda sa mère.

Bouton d'Or sirotait son cacao. « Ça va, dit-elle.

- Tu es sûre ? demanda son père.

- Oui, » répondit Bouton d'Or. Il y eut un très long silence. « Mais je n'aimerai plus jamais. »


Et elle n'aima plus jamais.

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Commentaires
M
1. C'est quand qu'on a droit à la suite ?<br /> 2. C'est vachement bien :)) <br /> 3. Tu devrais mettre le début des paragraphes en "chapeau", et le reste dans un "lire la suite", comme ca on verrait mieux les billets (là c'est un peu compliqué à lire :)) )
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