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Approximativement
28 mai 2005

The Princess Bride - Préambule

C’est mon livre préféré de tous les livres du monde, même si je ne l’ai jamais lu.

Comment une telle chose est possible ? Je vais faire de mon mieux pour vous expliquer. Quand j’étais enfant, je n’avais simplement aucun intérêt dans les livres. Je détestais lire, je lisais très mal et de plus comment pouvait-on prendre le temps de lire quand il y avait des jeux qui n’attendaient qu’à être joués ? Basket, baseball, billes, je ne pouvais jamais en avoir assez. Je n’étais même pas un bon joueur, mais si vous me donniez un ballon de foot et un terrain de jeu, je pouvais inventer des triomphes de dernière minute qui vous auraient mis les larmes aux yeux. L’école était une torture. Miss Roginski, qui était ma maîtresse de la classe de Ce 1 à Cm 1, avait rendez-vous après rendez-vous avec ma mère. « Je n’ai pas l’impression que Billy donne son maximum. » Ou « Quand nous lui faisons passer des tests, Billy se débrouille exceptionnellement bien, quand on considère ses notes en classes. » Ou, plus souvent, « Je ne sais pas, Mme Goldman : qu’est-ce que nous allons faire de Billy ? »

Qu’est-ce que nous allons faire de Billy ? C’est la phrase qui m’a hantée ces dix premières années. Je prétendais ne pas m’en soucier, mais en secret j’étais pétrifié. Tout et tout le monde me passaient devant les yeux. Je n’avais pas de vrais amis, pas une seule personne ne partageait un intérêt égal pour les jeux. J’avais l’air occupé, occupé, occupé mais j’imagine que, sous la pression, j’aurais admis que, en dehors de toute cette frénésie, j’étais vraiment très seul.

« Qu’est-ce que nous allons faire de toi, Billy ?

- Je ne sais pas, Miss Roginsky.

- Comment as-tu pu rater ces tests de lecture ? Je t’ai entendu utiliser chaque mot avec mes propres oreilles.

- Je suis désolé, Miss Roginsky. Je ne devais pas être en train de réfléchir.

- Tu réfléchis toujours, Billy. Tu ne réfléchissais pas aux tests de lecture. » Je ne pouvais qu’approuver de la tête.  « Qu’est-ce que c’était cette fois-ci ?

- Je ne sais pas. Je ne me souviens pas.

- Était-ce Stanley Hack encore ? (Stan Hack était en troisième base dans l’équipe des Cubs pendant ces années-là et bien d’autres. Je l’ai vu jouer un jour des gradins et même à cette distance, il avait le sourire le plus doux que j’avais jamais vu et ce jour-là je jure qu’il m’a souri plusieurs fois. Je l’adorais. Et aussi il pouvait frapper avec la force d’une tonne.)

- Bronko Nagurski. C’est un footballeur. Un grand footballeur et les journaux hier soir disaient qu’il pourrait revenir et jouer à nouveau pour les Bears. Il a pris sa retraite quand j’étais petit mais s’il revient et que je peux trouver quelqu’un pour m’amener au match, je pourrai le voir jouer et peut-être, si la personne qui m’amène le connaît aussi, je pourrai le rencontrer après et peut-être, s’il a faim, je pourrai le laisser manger le sandwich que j’aurai apporté avec moi. J’essayais de trouver quel genre de sandwichs Bronko Nagurski pourrait aimer. »

Elle se pencha simplement sur son bureau. « Tu as une merveilleuse imagination, Billy. »

Je ne sais pas ce que j’ai dit. Probablement « merci » ou quelque chose comme ça.

« Je ne peux pourtant pas l’apprivoiser, continua-t-elle. Comment ça se fait ?

- Je pense que c’est parce que j’ai probablement besoin de lunettes et je ne lis pas parce que les mots sont si flous. Ça expliquerait pourquoi je suis toujours en train de loucher. Peut-être si j’allais voir un docteur des yeux qui me donnait des lunettes, je serais le meilleur lecteur de la classe et vous n’auriez pas à me garder après l’école si longtemps. »

Elle a simplement pointé derrière elle. « Va nettoyer le tableau, Billy.

- Oui, m’dame. » J’étais le meilleur pour nettoyer le tableau.

« Est-ce qu’ils ont l’air flous ? a dit Miss Roginski après un moment.

- Oh, non, je l’ai juste inventé. » Je n’ai jamais louché non plus. Mais elle semblait si étonnée. Elle avait toujours l’air étonné. Et cela durait depuis trois ans maintenant.

« Je n’arrive pas à te comprendre.

- Ce n’est pas votre faute, Miss Roginski. (Ça ne l’était pas. Je l’adorais aussi. Elle était toute boulotte et grosse mais je souhaitais qu’elle soit ma mère. Je ne pouvais jamais vraiment en tirer quelque chose de bien, à part si elle avait été mariée avec mon père d’abord et qu’ils aient finalement divorcé et mon père a épousé ma mère, ce qui était bien, puisque Miss Roginski devait travailler, donc mon père a eu ma garde ; cela semblait logique. Seulement, ils ne semblaient jamais avoir l’air de se connaître, mon père et Miss Roginski. À chaque fois qu’ils se rencontraient, chaque année pour le spectacle de Noël quand tous les parents venaient, je les scrutais comme un fou, espérant une sorte de lueur ou de regard de connivence qui pourrait seulement dire : « Alors, comment vas-tu, comment est ta vie depuis notre divorce ? » mais aucune intrigue. Ce n’était pas ma mère, c’était juste ma maîtresse et j’étais son envahissant désastre personnel.)

- Tout va bien se passer, Billy.

- J’espère bien, Miss Roginsky.

- Tu es un tardif, c’est tout. Winston Churchill était un tardif et tu es pareil. »

J’allais lui demander pour qui il jouait mais il y avait quelque chose dans son ton qui me disait de ne pas le faire.

« Et Einstein. »

Celui-là non plus je ne le connaissais pas. Ni ce qu’était un tardif. Mais bon, j’ai jamais voulu en être un.


* * *


Quand j’ai eu vingt-six ans, mon premier roman, The Temple of Gold, a été publié par Alfred A. Knopf. (Qui fait maintenant partie de Random House qui fait maintenant partie de RCA qui fait maintenant partie de ce qui n’est pas bien dans le fait de publier en Amérique aujourd’hui qui ne fait pas partie de cette histoire.) Enfin, avant la publication, les gens de la publicité à Knopf sont venus me parler en essayant de trouver ce qu’ils pourraient faire pour justifier leurs salaires, et ils m’ont demandé à qui je voulais envoyer un exemplaire de tête qui aurait une influence sur les opinions et j’ai dit que je ne connaissais personne comme ça et ils ont dit : « Réfléchissez, tout le monde connaît quelqu’un » et alors je suis devenu tout excité parce qu’une idée m’était venue et j’ai dit : « Ok, envoyez un exemplaire à Miss Roginski », ce qui me semblait être logique et génial parce que si quelqu’un influençait mes opinions, c’était elle. (Elle apparaît tout au long de The Temple of Gold, justement, seulement je l’ai appelée « Miss Patulski » ; même là j’étais créatif.)

« Qui ? la dame de la publicité a dit.

- Mon ancienne maîtresse d’école, envoyez-lui un exemplaire et je le signerai et j’écrirai peut-être un petit... » J’étais très excité jusqu’à ce que ce type de la publicité m’interrompe en disant : « Nous pensions à quelqu’un plutôt sur la scène internationale. »

Très doucement j’ai dit : « Miss Roginski, envoyez-lui un exemplaire, s’il vous plaît, d’accord ?

- Oui, a-t-il dit, oui, certainement. »

Vous vous souvenez comment je n’ai pas demandé pour qui Churchill jouait à cause de son ton ? J’ai dû faire quelque chose comme ça aussi à ce moment-là. Enfin, quelque chose a dû arriver parce qu’il a tout de suite écrit son nom en demandant si c’était « ski » ou « sky ».

« Avec un « i », » lui ai-je dit, remontant déjà les années pour retrouver sa fantastique écriture. Vous savez, intelligente, modeste, brillante et parfaite, comme ça.

« Prénom ? »

Cela m’a rapidement ramené à la réalité. Je ne connaissais pas son prénom. « Miss », c’était seulement comme ça que je l’appelais. Je ne connaissais pas son adresse non plus. Je ne savais même pas si elle était encore en vie. Je n’étais pas retourné à Chicago depuis dix ans, j’étais enfant unique, mes deux vieux disparus, qui avait besoin d’aller à Chicago ?

« Envoyez-le à Highland Park Grammar School, » dis-je, et la première chose que j’ai pensé écrire c’était « Pour Miss Roginski, l’arrivée de votre tardif », mais j’ai trouvé que c’était trop vaniteux, alors j’ai décidé que « Pour Miss Roginski, une graine de votre tardif » serait plus humble. Trop humble, ai-je décidé après et ça suffisait les idées brillantes pour ce jour-là. Je ne pouvais plus penser à rien. Puis je me suis dit et si elle ne se souvient même pas de moi ? Des centaines d’élèves depuis des années, pourquoi se souviendrait-elle ? Alors finalement en désespoir de cause j’ai mis, « Pour Miss Roginski de la part de William Goldman. Vous m’appeliez Billy et vous disiez que je serais tardif, ce livre est pour vous et j’espère que vous l’aimerez. J’étais dans votre classe en Ce 1, Ce 2 et Cm 1, merci beaucoup. William Goldman. »

Le livre sorti et fut bombardé ; je suis resté chez moi et j’ai fait la même chose, je me suis adapté. Non seulement il ne m’a pas établi comme la chose la plus fraîche depuis Kit Marlowe, il n’a pas non plus été lu par qui que ce soit. Faux. Il a été lu par un certain nombre de personnes, que je connais toutes. Je pense que je peux dire sans danger, cependant, qu’aucun étranger ne l’a savouré. Ce fut une expérience mortelle et j’ai réagi comme je viens de l’expliquer. Donc, quand le mot de Miss Roginski est arrivé, bien plus tard, il avait été envoyé à Knopf et ils avaient pris leur temps pour me le renvoyer, j’étais vraiment prêt pour un remontant.

« Cher M. Goldman : merci pour le livre. Je n’ai pas encore eu le temps de le lire, mais je suis sûre que c’est un bel effort. Je me souviens de vous bien sûr. Je me souviens de tous mes élèves. Très sincèrement, Antonia Roginski »

Quelle humiliation. Elle ne se souvenait pas du tout de moi. Je suis resté assis là, tenant le mot, secoué. Les gens ne se souviennent pas de moi. Vraiment. Ce n’est pas un truc de paranoïaque, j’ai simplement cette habitude de glisser à travers les mémoires. Cela ne me dérange pas plus que ça, à part que je pense que c’est un mensonge, ça me dérange. Pour certaines raisons, j’ai de bonnes notes en oubliabilité.

Alors quand Miss Roginski m’envoya ce mot qui la rendait comme n’importe qui d’autre, j’étais content qu’elle ne se soit jamais mariée, je ne l’avais jamais vraiment aimée de toute façon, elle avait toujours été une prof pourrie et ça lui allait bien de se prénommer Antonia.

« Je ne le pensais pas, » dis-je alors à haute voix. J’étais dans mon studio de travail dans le West Side glamour de Manhattan et je parlais tout seul. « Je suis désolé, je suis désolé, continuais-je. Il faut me croire, Miss Roginsky. »

Ce qui est arrivé, bien sûr, c’est que j’ai finalement vu le post-scriptum. Il était sur le verso du mot et ça disait : « Idiot. Même l’immortel S. Morgenstern ne pouvait avoir plus d’affection que moi. »

S. Morgenstern ! The Princess Bride. Elle s’était souvenue !

Flash-back.

1941. Automne. Je suis un peu grincheux parce que ma radio ne veut pas passer les matchs de football. Northwestern joue contre Notre-Dame, ça commence à une heure et à une heure trente je n’arrive pas avoir le match. De la musique, les infos, les feuilletons, tout sauf mon programme. J’appelle ma mère. Elle arrive. Je lui dis que ma radio est cassée, je ne peux pas trouver Northwestern-Notre-Dame. Elle dit : tu veux dire le football ? Oui oui oui, dis-je. C’est vendredi, dit-elle, je pensais qu’ils jouaient samedi.

Quel idiot !

Je me rallonge, j’écoute les feuilletons et après un moment j’essaie de le trouver à nouveau et ma stupide radio trouve toutes les stations de Chicago sauf celle qui passe le match. Je suis vraiment en train de hurler maintenant et ma mère entre à nouveau. Je vais jeter cette radio par la fenêtre, dis-je ; elle ne veut pas le recevoir, elle ne veut pas le recevoir, je ne peux pas la faire marcher. Recevoir quoi ? Dit-elle. Le match de football, dis-je ; tu es vraiment stupide, le maaaaatch. Samedi et fais attention à ce que tu dis, jeune homme, dit-elle ; je t’ai déjà dit , on est vendredi. Elle repart.

Y a-t-il jamais eu un tel âne ?

Humilié, j’allume ma fidèle Zenith et j’essaie de trouver le match. C’était si frustrant d’être allongé là tout transpirant, mon ventre était bizarre et je martelais la radio pour la faire marcher et c’est ainsi qu’ils ont découvert que je délirais à cause d’une pneumonie.

La pneumonie n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était avant, spécialement quand je l’ai eue. Plus ou moins dix jours à l’hôpital et puis retour à la maison pour une longue convalescence. J’imagine que j’ai dû rester trois semaines de plus au lit, un mois peut-être. Aucune énergie, même pas un jeu. J’étais juste cette masse qui essayait de retrouver ses forces.

C’est ainsi que vous devez m’imaginer au moment où j’ai découvert The Princess Bride.

C’était ma première nuit à la maison. J’étais vidé, encore à l’état de crêpe malade. Mon père entra, je pensais qu’il voulait me souhaiter bonne nuit. Il s’assit au bout de mon lit. « Chapitre un. La fiancée, » dit-il.

Ce n’est qu’à ce moment que j’ai levé les yeux et que j’ai vu qu’il tenait un livre. Rien que ça, ça m’a surpris. Mon père était presque illettré. En anglais. Il venait de Florin (le pays de The Princess Bride) et là-bas il n’était pas un idiot. Il a dit une fois qu’il aurait pu être avocat et c’était peut-être le cas. Le fait est qu’à seize ans, il a décidé de venir en Amérique, il a parié sur le pays des opportunités et a perdu. Il n’y avait jamais eu grand chose pour lui ici. Il n’était pas très beau à regarder, très petit et chauve très tôt et il était lent pour apprendre. Une fois qu’il avait compris quelque chose, c’était une fois pour toute, mais les heures que ça prenait pour lui faire entrer dans le crâne, c’était incroyable. Son anglais est toujours resté ridiculement étranger et ça ne l’aidait pas non plus. Il rencontra ma mère sur le bateau, l’épousa plus tard et quand il pensa qu’ils pouvaient se le permettre, ils m’ont eu. Il a éternellement travaillé comme numéro deux du barbier le moins populaire de Highland Park dans l’Illinois. Vers la fin, il passait sa journée à somnoler sur sa chaise. Il est parti comme ça. Il était parti depuis une heure avant que le numéro un ne le réalise, jusque-là il avait simplement pensé que mon père faisait un bon petit somme. Peut-être était-ce le cas. Peut-être ça n’était rien de plus. Quand ils me l’ont dit, j’étais perturbé, mais j’ai également pensé que c’était une façon de partir qui reflétait toute son existence.

Enfin bon, j’ai dit : « Hein ? Quoi ? Je n’ai pas entendu. » J’étais si faible, si terriblement fatigué.

« Chapitre un. La fiancée. » Il souleva le livre. « Je te le lis pour te détendre. » Il me mit pratiquement le livre dans le visage. « Par S. Morgenstern. Un grand écrivain florin. The Princess Bride. Lui aussi est venu en Amérique. S. Morgenstern. Il est mort maintenant, à New York. Il l’a traduit en anglais. Il parlait huit langues. » À ce moment-là mon père posa le livre et montra tous ces doigts. « Huit. Un jour, à Florineville, je suis allé dans son café. » Il secoua la tête, il faisait toujours ça, mon père, il secouait la tête quand il s’était trompé. « Pas son café. Il y était, moi aussi, au même moment. Je l’ai vu. S. Morgenstern. Il avait une tête comme ça, grosse comme ça, » et il fit un gros ballon avec ses mains. « Un grand homme à Florineville. Pas autant en Amérique.

- Est-ce qu’il y a du sport dedans ?

- De l’escrime. Des combats. De la torture. Du poison. Le grand amour. De la haine. De la vengeance. Des géants. Des chasseurs. Des méchants. Des gentils. Les plus belles des femmes. Des serpents. Des araignées. Des bêtes de toutes sortes. De la souffrance. La mort. Des hommes courageux. Des hommes lâches. Des poursuites. Des fuites. Des mensonges. Des vérités. De la passion. Des miracles.

- Ça m’a l’air bien, » dis-je, et j’ai commencé à fermer les yeux. « Je ferai de mon mieux pour ne pas m’endormir... mais je suis horriblement fatigué, Papa... »

Qui peut savoir quand sa vie est sur le point de changer ? Qui peut dire avant que ça n’arrive que toutes les expériences précédentes, toutes ces années, étaient une préparation pour... rien. Imaginez ça maintenant : un vieil homme illettré se débattant avec une langue ennemie, un jeune garçon exténué se débattant contre le sommeil. Et rien d’autre entre eux que les mots d’un autre étranger, difficilement traduits de mots originaux dans des mots étrangers. Qui peut penser qu’au matin un enfant différent se réveillera ? Je ne me souviens, en ce qui me concerne, que d’avoir essayé de combattre ma fatigue. Même une semaine plus tard je ne me rendais pas compte de ce qui avait commencé cette nuit-là, les portes qui se refermaient pendant que d’autres s’ouvraient sur la lumière. Peut-être aurais-je dû savoir au moins quelque chose, mais peut-être pas ; qui peut ressentir une révélation quand elle arrive ?

Ce qui est arrivé c’est simplement ça : j’ai été accroché par l’histoire.

Pour la première fois de ma vie, je suis devenue activement intéressé par un livre. Moi, le fanatique de sport, moi, le phénomène des jeux, moi, le seul enfant de dix ans de l’Illinois qui détestait l’alphabet, je voulais savoir ce qui s’était passé après.

Qu’était-il arrivé à la belle Bouton d’Or et au pauvre Westley et à Inigo, le plus grand escrimeur de l’histoire ? Et à quel point Fezzik était-il vraiment fort et y avait-il une limite à la cruauté de Vizzini, le démon sicilien ?

Chaque soir, mon père lisait, chapitre après chapitre, se battant toujours pour prononcer les mots correctement, pour en souligner le sens. Et je restais étendu là, les yeux presque fermés, mon corps recouvrant doucement sa force. Cela a pris, comme j’ai dit, probablement un mois et, pendant cette période, il m’a lu The Princess Bride deux fois. Même quand j’ai été capable de lire moi-même, ce livre est resté le sien. Je n’aurais jamais rêvé l’ouvrir. Je voulais sa voix, ses mots. Plus tard, des années plus tard, je disais quelquefois : « Pourquoi ne pas lire le duel sur les falaises entre Inigo et l’homme en noir ? » et mon père grognait, grommelait, prenait le livre, mouillait son pouce et tournait les pages jusqu’au début du combat. J’adorais ça. Même maintenant, c’est ainsi que je me souviens de mon père quand j’en ai besoin. Penché sur les mots, louchant et hésitant, me donnant le chef d’œuvre de Morgenstern le mieux qu’il pouvait. The Princess Bride appartenait à mon père.

Tout le reste était à moi.

Il n’y avait pas une histoire d’aventure où que ce soit qui pouvait m’échapper. « Allez, » disais-je à Miss Roginski quand je fus à nouveau en bonne santé. « Stevenson, vous continuez à dire Stevenson, j’ai fini Stevenson, vous savez ? » Et elle disait : « Bon, essaie Scott, on va voir si tu l’aimes, » alors j’essayais Sir Walter Scott et je l’aimais bien assez pour me faire une demi-douzaine de livres en décembre (une bonne partie pendant les vacances de Noël pendant lesquelles je n’avais pas besoin d’interrompre ma lecture si ce n’est pour manger de temps en temps). « Qui d’autre, qui d’autre ? - Cooper, peut-être, » disait-elle, alors j’ai commencé The Deerslayer et toute la série des Leatherstocking et puis un jour, je suis tombé sur Dumas et D’Artagnan et il m’ont mené jusqu’à fin février, ces gars-là. « Tu es devenu, devant mes yeux, un drogué de livres, dit Miss Roginski. Est-ce que tu te rends compte que tu passes plus de temps maintenant à lire que tu n’en passais à jouer ? Est-ce que tu sais que tes notes en arithmétique sont en train de baisser ? » Je ne faisais jamais attention quand elle me houspillait. Nous étions seuls dans la classe et je cherchais quelqu’un de bon à dévorer. Elle secoua la tête. « Tu es clairement en train d’éclore, Billy. Devant mes yeux. Je ne sais juste pas ce qui va en sortir. »

Je suis simplement resté là en attendant qu’elle me dise de lire quelqu’un.

« Tu es impossible, debout, là, à attendre. » Elle réfléchit une seconde. « D’accord. Essaie Hugo. Le Bossu de Notre-Dame.

- Hugo, dis-je. Le Bossu. Merci, » et je me suis retourné, prêt à commencer mon sprint vers la bibliothèque. Je l’ai entendue murmurer derrière moi alors que j’étais en train de partir.

« Ça ne peut pas durer. Ça ne peut vraiment pas durer. »

Mais ça a duré.

Et ça dure encore. Je suis autant un adorateur d’aventure maintenant qu’alors et ça ne va jamais s’arrêter. Ce premier de mes livres dont j’ai parlé, The Temple of Gold, savez-vous d’où vient le titre ? Du film Gunga Din, que j’ai vu seize fois et que je considère toujours comme le plus grand film d’aventure jamais jamais jamais réalisé. (La vérité avec Gunga Din : quand je suis sorti du service militaire, j’ai fait le vœu de ne jamais retourner dans une caserne. Ok, maintenant je suis à la maison le lendemain et j’ai un pote à Fort Sheridan pas très loin qui m’appelle pour avoir de mes nouvelles et qui me dit, « Eh, devine ce qui passe au cinéma de la caserne ce soir ? Gunga Din. - On y va, dis-je. - Ça va être dur, dit-il, tu es un civil. » Résultat : je me suis retrouvé dans un uniforme le premier soir de ma sortie et je me suis faufilé dans une caserne pour voir ce film. Faufilé. Comme un voleur dans la nuit. Le cœur battant, la transpiration et tout.) Je suis dépendant à l’action, l’aventure, appelez-ça comme vous voudrez, dans toutes ses formes. Je n’ai jamais raté un film d’Alan Ladd ou d’Errol Flynn. Je ne rate toujours aucun film de John Wayne.

Ma vie a réellement commencé quand mon père m’a lu le Morgenstern à mes dix ans. Voici un fait : Butch Cassidy and the Sundance Kid est sans aucun doute la chose la plus populaire à laquelle j’ai jamais contribué. Quand je mourrais, si le Times me fait une nécro, ça sera à cause de Butch. Ok, maintenant quelle est la scène dont tout le monde parle, l’unique moment qui nous reste en mémoire à vous, à moi et à tout le public ? Réponse : quand ils sautent de la falaise. Eh bien, quand j’ai écrit ça, je me souviens que j’ai pensé que ces falaises desquelles ils sautaient, c’étaient les Falaises de la Démence que tout le monde essaie de grimper dans The Princess Bride. Dans ma tête, quand j’ai écrit Butch, je pensais à il y a bien longtemps, je me souvenais de mon père me lisant la montée avec une corde des Falaises de la Démence et la mort qui se cachait derrière.

Ce livre est la seule vraiment bonne chose qui me soit arrivée (désolé Helen ; Helen est ma femme, la pédopsychiatre surdouée), eh bien avant que je sois seulement marié, je savais que j’allais le partager avec mon fils. Je savais aussi que j’allais avoir un fils. Alors quand Jason est né (si ça avait été une fille, elle se serait appelée Pamby, est-ce que vous pouvez croire ça, une pédopsychiatre qui donne de tels noms à ses enfants ?) enfin, quand Jason est né, j’ai noté dans un coin de ma mémoire de lui acheter un exemplaire de The Princess Bride pour son dixième anniversaire.

Après quoi j’ai rapidement oublié tout ça.

Avançons rapidement : l’hôtel Beverly Hills en décembre dernier. Je deviens fou à force d’avoir des réunions sur Stepford Wives d’Ira Levin que je suis en train d’adapter pour Silver Screen. J’appelle ma femme à New York à l’heure du dîner, ce que je fais tous les jours, ça lui donne l’impression d’être désirée, et on discute et, à la fin, elle dit : « Oh. Nous offrons un vélo dix vitesses à Jason. Je l’ai acheté aujourd’hui. Je pense que ça tombe à pic, qu’est-ce que tu en penses ?

- Qu’est-ce qui tombe à pic ?

- Oh allez, Willy, dix ans, dix vitesses.

- Il a dix ans demain ? Ça m’était carrément sorti de la tête.

- Appelle-nous à l’heure du dîner demain et tu pourras lui souhaiter un joyeux anniversaire.

- Helen ? dis-je alors. Écoute, rends-moi un service. Appelle la librairie Neuf-neuf-neuf et demande-leur de t’envoyer un exemplaire de The Princess Bride.

- Laisse moi trouver un crayon, » et elle part quelques instants. « Ok. Vas-y. The Princess quoi ?

- Bride. Par S. Morgenstern. C’est un classique pour enfants. Dis-lui que je lui poserai des questions dessus quand je reviendrai la semaine prochaine et qu’il n’a pas besoin de l’aimer ou quoi que ce soit mais s’il ne l’aime pas, dis-lui que je me tuerai. Donne-lui ce message exactement comme ça s’il te plaît ; je ne voudrais pas lui mettre plus de pression ou quoi que ce soit.

- Embrasse-moi, mon idiot.

- Mmmm-wah.

- Pas de starlettes maintenant. » C’était toujours ses derniers mots quand j’étais seul et libre sous le soleil de Californie.

« Elles ont disparu, abrutie. » C’étaient les miens. Nous avons raccroché.

Le lendemain après-midi, il est arrivé quelque chose : de nulle part, une starlette bronzée bien vivante et qui respirait est apparue. Je paresse à côté de la piscine et elle arrive dans un Bikini et elle est superbe. Je suis libre pour l’après-midi, je ne connais pas une âme, alors je commence à faire un petit jeu pour savoir comment je peux approcher cette fille sans qu’elle ne rie très fort. Je n’ai jamais rien fait, mais mater est un bon exercice et je suis un mateur de première classe. Je n’arrive pas à imaginer une approche qui puisse être réalisable, alors je commence à faire des longueurs. Je nage cinq cents mètres par jour parce que j’ai une vertèbre mal placée à la base de la colonne vertébrale.

Aller-retour, aller-retour, dix-huit longueurs et quand j’ai fini je m’accroche au bord le plus profond, essoufflé et arrive la starlette en nageant. Elle s’accroche au bord du côté le plus profond aussi, peut-être vingt centimètres plus loin, les cheveux mouillés et brillants et son corps est sous l’eau mais vous savez qu’il est là et elle dit (c’est arrivé maintenant) : « Excusez-moi, mais vous ne seriez pas William Goldman qui a écrit Boys and Girls Together ? C’est mon livre préféré de tous les livres du monde, au moins. »

Je serre le bord de la piscine et je fais oui de la tête ; je ne me souviens plus exactement ce que j’ai dit. (Mensonge : je me souviens exactement ce que j’ai dit, sauf que c’est trop débile pour que je l’écrive, bon sang, j’ai quarante ans. « Goldman, oui Goldman, je m’appelle Goldman. » C’est sorti comme un seul mot, aucune idée dans quelle langue elle a dû croire que je lui répondais.)

« Je m’appelle Sandy Sterling, dit-elle. Salut.

- Salut, Sandy Sterling, » ai-je sorti, ce qui était très urbain, pour moi en tout cas. Je le dirai encore si la même situation se répétait.

Puis, de mon nom, on est passé à autre chose. « Les Zanuck ne me laissent jamais tranquille, » dis-je et elle a éclaté de rire et je me suis précipité sur le téléphone en me demandant si c’était vraiment si drôle et au moment où je suis arrivé, j’ai décidé que oui, ça l’était, et j’ai dit : « Drôle. » Pas « Salut. » Pas « Billy Goldman. » « Drôle », c’est ce que j’ai dit.

« Est-ce que tu as dit « drôle », Willy ? » C’est Helen.

« Je suis en pleine réunion rédactionnelle, Helen, et on se parlera ce soir à l’heure du dîner. Pourquoi est-ce que tu m’appelles à midi ?

- Hostile, hostile. »

Ne jamais débattre de l’hostilité avec sa femme quand c’est une freudienne certifiée. « C’est juste qu’ils me rendent fou avec des notions stupides dans cette réunion. Qu’est-ce qu’il y a ?

- Rien probablement, c’est juste le Morgenstern qui est épuisé. Nous avons vérifié avec Doubleday’s aussi. Tu avais l’air de penser que c’était important donc je te préviens que Jason va devoir se satisfaire avec un vélo dix vitesses qui tombe vraiment à pic.

- Pas important, » dis-je. Sandy Sterling souriait. Du bord du côté le plus profond. Directement vers moi. « Merci quand même. » J’allais raccrocher, puis j’ai dit : « Bon, étant donné que tu as déjà fait tout ça, appelle la librairie Argosy sur la Cinquante-neuvième rue. Ils sont spécialisés dans les trucs épuisés.

- Argosy. Cinquante-neuvième. C’est noté. On se parle au dîner. » Elle raccrocha.

Sans dire : « Aucune starlette maintenant. » Elle termine chaque appel comme ça et cette fois elle ne l’a pas fait. Est-ce que j’aurais laissé quelque chose transparaître dans ma voix ? Helen est très angoissante avec ça, vu qu’elle est psy et tout.

La culpabilité, comme le pudding, commença à faire des bulles du côté brûlant.

Je revins à mon transat. Seul.

Sandy Sterling nagea quelques longueurs. J’ai attrapé le New York Times. Une certaine dose de tension sexuelle dans les environs. « Fini de nager ? » demande-t-elle. Je pose mon journal. Elle était au bord de la piscine maintenant, tout près de moi.

J’ai fait oui de la tête en la regardant.

« Lequel des Zanuck, Dick ou Darryl ?

- C’était ma femme, » dis-je. Emphase sur le dernier mot.

Cela ne l’a pas déconcertée. Elle sorti et s’allongea sur la chaise à côté. Le buste lourd mais bronzé. Si vous les aimez comme ça vous deviez aimer Sandy Sterling. Je les aimais comme ça.

« Vous êtes ici pour le Levin, c’est ça ? Stepford Wives ?

- Je fais le scénario.

- J’ai adoré ce livre. C’est mon livre préféré de tous les livre du monde, au moins. J’adorerais tourner dans un film comme ça. Écrit par vous. Je ferais n’importe quoi pour une opportunité comme ça. »

Ça y était. Elle le disait clairement, carte sur table.

Naturellement je lui ai mis les points sur les « i ». « Écoutez, dis-je. Je ne fais pas ce genre de choses. Si je le faisais, je le ferais, parce que vous êtes magnifique, ça va sans dire, et je vous souhaite plein de bonheur, mais la vie est assez compliquée comme ça sans ce genre de choses. »

C’est ce que j’ai pensé dire. Mais là je me suis dit : eh attends une minute, quelle est la loi qui dit que je dois être le puritain du show business ? J’ai travaillé avec des gens qui gardaient des fichiers sur ce genre de choses. (C’est vrai, demandez à Joyce Haber.) « Est-ce que vous avez beaucoup joué dans des longs-métrages ? » me suis-je entendu demander. Alors là vous savez que je voulais passionnément savoir la réponse à celle-là.

« Rien qui n’ait vraiment élargi mes connaissances, vous voyez ?

- M. Goldman ? »

J’ai levé les yeux. C’était l’assistant du maître nageur.

« C’est encore pour vous. » Il me tendit le téléphone.

« Willy ? » Le simple son de la voix de ma femme me remplit de doutes purement irraisonnés dans la moindre partie de mon corps.

« Oui, Helen ?

- Tu as l’air bizarre.

- Qu’est-ce qu’il y a, Helen ?

- Rien, mais...

- Ça ne peut pas être rien sinon tu ne m’aurais pas appelé.

- Quel est le problème, Willy ?

- Rien. J’essaye juste d’être logique. C’est toi, après tout, qui m’appelles. J’essayais juste de déterminer pourquoi. » Je peux être vraiment distant quand je m’y mets.

« Tu me caches quelque chose. »

Rien ne me rend plus dingue que quand Helen fait ça. Parce que, vous voyez, avec son horrible éducation psychiatrique, elle m’accuse de lui cacher quelque chose seulement quand je lui cache quelque chose. « Helen, je suis en plein milieu d’une réunion rédactionnelle en ce moment, alors dis-moi ce qu’il y a ! »

Et voilà. Je mentais à ma femme à propos d’une autre femme, et l’autre femme le savait.

Sandy Sterling, sur la chaise à côté, me sourit en me regardant droit dans les yeux.

« Argosy n’a pas le livre, personne n’a le livre, salut, Willy. » Elle raccrocha.

« Votre femme encore ? »

Je fis oui de la tête et posais le téléphone sur la table à côté de mon transat.

« Vous vous parlez souvent.

- Vous savez, lui ai-je dit. C’est mortel pour arriver à écrire quoi que ce soit. »

J’imagine qu’elle a souri.

Il n’y avait aucun moyen d’arrêter mon cœur de taper.

« Chapitre un. La fiancée, » dit mon père.

J’ai dû sursauter parce qu’elle a dit : « Hein ? »

« Mon pè... ai-je commencé. Je pens... Rien, » dis-je finalement.

« Calmez-vous. » dit-elle et elle me fit un sourire vraiment très doux. Elle passa sa main sur la mienne pendant une seconde, très gentil et rassurant. Je me demandais si c’était possible qu’elle soit compréhensive aussi. Sublime et compréhensive ? Est-ce que c’était légal ? Helen n’était jamais compréhensive. Elle disait toujours qu’elle l’était : « Je comprends pourquoi tu dis ça, Willy », mais elle était secrètement en train de m’ouvrir le cerveau. Non, j’imagine qu’elle était compréhensive, mais pas compatissante. Et, bien sûr, elle n’était pas sublime non plus. Mince, oui. Brillante, oui.

« J’ai rencontré ma femme à l’université, dis-je à Sandy Sterling. Elle passait son doctorat. »

Sandy Sterling avait un peu de mal à suivre mes pensées.

« On n’était que des gamins. Quel âge avez-vous ?

-Vous voulez mon véritable âge ou mon âge au cinéma ? »

J’ai vraiment ri cette fois-ci. Sublime et compréhensive et drôle ?

« De l’escrime. Des combats. De la torture, dit mon père. L’amour. De la haine. De la vengeance. Des géants. Des bêtes de toutes les sortes. Des vérités. De la passion. Des miracles. »

Il était 12 h 35 et j’ai dit : « Je vais donner un coup de fil, ok ?

- Ok.

- New York City information, » dis-je dans le téléphone et quand je les ai eus, j’ai dit : « Pouvez-vous me donner les noms de quelques librairies de la Quatrième avenue, s’il vous plaît. Il doit y en avoir des vingtaines. » Le Quatrième avenue est le centre des livres d’occasions et épuisés du quartier anglophone du monde civilisé. Pendant que l’opératrice cherchait, je me suis tourné vers la créature dans le salon à côté et dit : « Mon fils a dix ans aujourd’hui, j’aimerais bien qu’il reçoive ce livre de ma part, un cadeau, ça ne va pas prendre une seconde.

- Allez-y, dit Sandy Sterling.

- J’ai une librairie qui s’appelle la Librairie de la Quatrième avenue, » dit l’opératrice et elle me donna le numéro.

« Vous ne pouvez pas m’en donner d’autres ? Il y en a une bonne poignée là-bas.

- Si vous me don-nez leur nom, je pour-rais vous ai-der, dit l’opératrice en parlant comme une horloge.

- Je me débrouillerai avec celle-là, » dis-je et j’ai demandé à l’opératrice de l’hôtel de les appeler pour moi. « Écoutez, j’appelle de Los Angeles, dis-je, et j’ai besoin de The Princess Bride pas S. Morgenstern.

- Non. Désolé, » dis le gars et avant que j’ai pu dire : « Bon, pouvez-vous me donner les noms des autres librairies à côté », il avait raccroché. « Redonnez-moi ce numéro, s’il vous plaît, » dis-je à l’opératrice de l’hôtel et quand j’eus de nouveau le gars en ligne j’ai dit : « C’est votre correspondant de Los Angeles, ne raccrochez pas si rapidement cette fois-ci.

- J’l’ai pas, m’sieur.

- Je comprends ça. Ce que j’aimerais, vu que je suis en Californie, pourriez-vous me donner les noms et numéros de quelques autres librairies à côté ? Ils pourraient l’avoir et il n’y a pas vraiment des tonnes de Pages Jaunes de New York qui traînent ici.

- Ils ne m’aident pas, je ne les aide pas. » Il raccrocha encore.

Je restais assis là le combiné dans la main.

« C’est quoi ce livre si spécial ? demanda Sandy Sterling.

- C’est pas important, » dis-je et je raccrochais. Puis j’ai dit : « Si ça l’est » et je décrochais à nouveau, j’arrivais finalement à avoir ma maison d’édition à New York, Harcourt Brace Jovanovitch et, après quelques autres « finalements », la secrétaire de mon éditeur me lut les noms et les numéros de chaque librairie du coin de la Quatrième avenue.

« Des chasseurs, disait maintenant mon père. Des méchants. Des gentils. Les plus belles des femmes. » Il était incrusté dans mon crâne, le dos courbé, chauve et louchant, essayant de lire, essayant de me plaire, essayant de garder son fils en vie et les loups à distance.

Il était 13 h 10 avant que j’aie toute la liste et que je raccroche.

Puis j’ai commencé les librairies. « Écoutez, j’appelle de Los Angeles pour le livre de Morgenstern, The Princess Bride, et...

- ... Désolé...

- ... Désolé... »

Occupé.

« ... Pas depuis des années ... »

Un autre occupé.

13h35.

Sandy nage. Elle est un peu en colère aussi. Elle devait penser que je la faisais marcher. Ce n’était pas le cas, mais ça en avait certainement l’air.

« ... Désolé, j’en avais un exemplaire en décembre...

- ... Pas du tout, désolé ...

- Ceci est un message enregistré. Le numéro que vous avez composé n’est plus en service actuellement. Veuillez essayer ...

- ... Non ... »

Sandy est très énervée maintenant. Regarde, essaie de rassembler ce qui reste.

« ... Qui lit Morgenstern aujourd’hui ? ... »

Sandy s’en va, s’en va, sublime, partie.

« ... Désolé, nous fermons ... »

13 h 55 maintenant. 16 h 55 à New York.

Panique à Los Angeles.

Occupé.

Pas de réponse.

Pas de réponse.

« En florin, je crois que je l’ai. Quelque part à l’arrière. »

Je m’assis sur mon transat. Il avait un fort accent. « J’ai besoin de la traduction anglaise.

- On reçoit pas tellement de coups de fil pour Morgenstern de nos jours. Je ne me souviens plus de ce que j’ai à l’arrière. Passez demain, vous regarderez.

- Je suis en Californie, dis-je. Vous me rendriez un grand service si vous regardiez.

- Vous restez en ligne ? Je ne vais pas payer un appel.

- Prenez votre temps, » dis-je.

Ça lui a pris dix-sept minutes. Je suis resté en ligne à écouter. De temps en temps j’entendais des bruits de pas, des livres tombant par terre ou un grognement... « han... han ».

Finalement : « Bon, j’ai le florin, comme je le pensais. »

Si près. « Mais pas l’anglais, » dis-je.

Et tout d’un coup, il hurle : « Quoi, vous êtes fou ? Je me suis cassé le dos et il dit que je ne l’ai pas, si, je l’ai, je l’ai devant moi et, croyez-moi, vous allez le payer un paquet.

- Génial... vraiment, je ne plaisante pas, maintenant écoutez, voilà ce que vous allez faire, appelez un taxi et dites-lui d’apporter les livres à Park et...

- Monsieur Californie, vous allez m ‘écouter maintenant... il y a une tempête de neige qui arrive et je ne vais nulle part, ni ces livres, sans argent... six cinquante chacun, vous voulez l’anglais, vous devez prendre le florin et je ferme à six heures. Ces livres ne sortent pas de chez moi sans qu’on m’ait donné treize dollars.

- Ne bougez pas, » dis-je en raccrochant. Et qui appelez-vous quand il est tard et que Noël approche ? Votre avocat, il n’y a que lui. « Charley, dis-je quand je l’ai eu. S’il te plaît, rends-moi un service. Va dans la Quatrième avenue, chez Abramowitz, donne lui treize dollars pour deux livres, prends un taxi pour chez moi et dis au concierge de les monter à mon appartement et oui, je sais qu’il neige, alors tu veux bien ?

- C’est une demande si bizarre que je vais devoir accepter de le faire. » J’ai rappelé Abramowitz. « Mon avocat accourt. » « Pas de chèque, dit Abramowitz.

- Vous êtes adorable. » J’ai raccroché et j’ai commencé à réfléchir. Un appel longue distance de 120 minutes à 1,35$ les trois minutes plus treize pour les livres plus probablement dix pour le taxi de Charley plus probablement soixante pour son déplacement, cela fait... ? Deux cent cinquante peut-être. Tout ça pour que Jason ait le Morgenstern. Je me suis adossé et j’ai fermé les yeux. Deux cent cinquante sans parler des deux bonnes heures de tourment et d’angoisse, sans oublier Sandy Sterling.

Un vol.

Ils m’ont appelé à sept heures trente. J’étais dans ma suite. « Il adore le vélo, dit Helen. Il est pratiquement hors de contrôle.

- Géant, dis-je.

- Et tes livres sont arrivés.

- Quels livres ? » dis-je. Maurice Chevalier n’a jamais été aussi désinvolte.

« The Princess Bride. Dans plusieurs langues, l’un d’entre eux, heureusement, en anglais.

- Bon, c’est bien, dis-je, toujours décontracté. J’avais pratiquement oublié que je les avais fait envoyer.

- Comment sont-ils arrivés ici ?

- J’ai appelé la secrétaire de mon éditeur pour qu’elle m’en fasse offrir une paire. Ils les avaient peut-être à Harcourt, qui sait ? (Ils avaient bien des exemplaires à Harcourt, vous croyez ça ? Je dirai pourquoi dans les prochaines pages, probablement.) Passe-moi le gamin.

- Salut, dit-il une seconde plus tard.

- Écoute, Jason, lui ai-je dit. On avait pensé te donner un vélo pour ton anniversaire mais on a finalement décidé autre chose.

- Oh ! là ! là ! pas du tout, je l’ai déjà. »

Jason a hérité du total manque d’humour de sa mère. Je ne sais pas, peut-être est-il drôle et pas moi. Ce dont je suis sûr c’est qu’on ne rigole pas trop tous les deux. Mon fils Jason est ce gamin incroyable à voir ; peignez-le en jaune, il serait immédiatement pris dans l’équipe de sumos de l’école. Un dirigeable. Tout le temps en train de se remplir la bouche. Je pense à mon poids et la vieille Helen qui n’est visible que de face, en plus de quoi elle est le psy pour enfants de Manhattan, et notre gamin peut rouler plus vite qu’il ne marche. « Il s’exprime à travers la nourriture, dit toujours Helen. Ses angoisses. Quand il se sentira prêt, il maigrira. »

« Eh, Jason ? Man m’a dit qu’un livre est arrivé aujourd’hui. The Princess truc ? J’aimerais beaucoup si tu y jetais un coup d’œil pendant que je suis pas là. Je l’ai adoré quand j’étais petit et je suis plutôt curieux de connaître ta réaction.

- Est-ce que je dois l’adorer aussi ? » C’est tout à fait le fils de sa mère.

« Jason, non. Seulement la vérité, exactement ce que tu penses. Tu me manques, chef. Et on se parlera pour ton anniversaire.

- Oh ! là ! là ! pas du tout, c’est aujourd’hui mon anniversaire. »

On a papoté encore un peu, bien après qu’on ait quoi que ce soit à se dire. Puis j’ai fait la même chose avec mon épouse et j’ai raccroché en promettant de revenir avant une semaine.

Ça m’en a pris deux.

Les conférences ont traîné, les producteurs avaient des inspirations qu’il fallait soigneusement faire disparaître, les ego des directeurs avaient besoin d’être flattés. Enfin bon, je suis resté plus longtemps que prévu dans la Californie ensoleillée. Finalement, pourtant, j’eus la permission de retrouver les soins et la sécurité de ma famille, alors j’ai rapidement filé à l’aéroport de L.A. avant que qui que ce soit ne change d’avis. J’arrivais tôt, comme d’habitude quand je reviens, parce que je devais remplir mes poches de trucs et de machins pour Jason. Chaque fois que je rentre à la maison après un voyage, il court (dandinant) vers moi en hurlant : « Laisse-moi voir, laisse-moi voir dans les poches » puis il  fouille mes poches, prend ces pots-de-vin et quand le pillage est fini, il me fait un bon câlin. N’est-ce pas horrible ce qu’on peut faire pour se sentir désiré ?

« Laisse-moi voir dans les poches, » cria Jason, courant à travers le salon. C’était l’heure du dîner jeudi et, pendant qu’il faisait son rituel, Helen émergea de la bibliothèque et me fit une bise en disant : « Quel bel homme j’ai là », ce qui est aussi un rituel, et, chargé de cadeau, Jason me fit une sorte de câlin et se rua (dandinant) dans sa chambre. « Angelica est justement en train de faire le repas, dit Helen ; tu ne pouvais pas arriver à un meilleur moment.

- Angelica ? »

Helen mit son doigt sur ses lèvres et murmura : « C’est son troisième jour, mais je pense que c’est une perle. »

J’ai murmuré aussi : « Quel était le problème avec la perle qui était là quand je suis parti ? Elle n’est restée qu’une semaine du coup.

- Elle s’est révélé être une déception, » dit Helen. C’était tout. (Helen est cette brillante dame, docteur à l’université, tous les honneurs académiques imaginables, vraiment une intelligence et un talent à couper le souffle, seulement elle ne peut pas garder une femme de ménage. Premièrement, j’imagine qu’elle se sent coupable d’en avoir, étant donné que toutes les femmes de ménage aujourd’hui sont noires ou espagnoles et Helen est ultra-super libérale. Deuxièmement, elle est si efficace qu’elle leur fait peur. Elle peut tout faire mieux qu’elles et elle le sait et elle sait qu’elles le savent. Troisièmement, une fois qu’elle les a fait paniquer, elle essaie de leur expliquer comme une analyste pourquoi elles ne devraient pas avoir peur, et après une bonne grosse demi-heure de recherche de l’ego avec Helen, elles sont vraiment effrayées. Enfin, nous avons une moyenne de quatre « perles » par an depuis des années.)

« Nous avons joué de malchance, mais cela va changer, » dis-je, aussi rassurant que je savais devoir l’être. Je l’ai longtemps questionnée à propos de ce problème, mais j’ai appris que ce n’était pas nécessairement judicieux.

Le dîner fut prêt un peu plus tard et, un bras autour de ma femme et un bras autour de mon fils, je m’avançais vers la salle à manger. Je me sentais, à ce moment-là, en sécurité, en paix, toutes ces bonnes choses. Le dîner était sur la table : épinards à la crème, purée, sauce et viande bouillie ; génial, sauf que je ne mange pratiquement pas de viande mais les épinards en crème sont mon péché mignon, alors, l’un dans l’autre, un festin plus que comestible était disposé sur la nappe. Nous nous sommes assis. Helen servit la viande : nous nous sommes fait passer le reste. Ma tranche de viande n’était pas terriblement fondante, mais la sauce la faisait passer. Helen sonna. Angelica apparut. Peut-être dix-huit ou vingt ans, basanée, lente. « Angelica, commença Helen, voici M. Goldman. »

J’ai souri, dit « Salut » et secoué une fourchette. Elle me fit un signe de tête.

« Angelica, cela n’est pas dit comme une critique, puisque c’est complètement de ma faute, mais dans le futur nous devons essayer très fort toutes les deux de nous rappeler que M. Goldman aime son rosbif...

- C’est du rosbif ? » dis-je.

Helen me décocha un regard. « Voilà, Angelica, il n’y a pas de problème, et j’aurais dû vous dire bien plus tôt les préférences de M. Goldman, mais la prochaine fois que nous aurons du rosbif désossé, essayons de faire de notre mieux pour qu’il soit bleu, d’accord ? »

Angelica retourna dans la cuisine. Un autre « perle » de perdue.

Souvenez-vous bien, nous avons commencé ce repas joyeusement. Deux d’entre nous sont toujours dans cet état, Helen étant clairement perturbée.

Jason était en train d’empiler la purée sur son assiette avec un geste régulier et assuré.

J’ai souri à mon gamin. « Eh, tentais-je, on va essayer de se calmer hein, mon gars ? »

Il jeta une autre grosse cuillère dans son assiette.

« Jason, elles sont grosses ces cuillères, dis-je alors.

- J’ai vraiment faim, Pa, dit-il sans me regarder.

- Cale-toi avec de la viande alors, non ? dis-je. Mange toute la viande que tu veux, je ne dirai rien.

- Je mange plus rien ! » dit Jason, et il repoussa son assiette, croisa les bras et regarda dans le vide.

« Si j’étais une vendeuse de canapé, me dit Helen, ou peut-être une guichetière dans une banque, je pourrais comprendre ; mais comment as-tu pu être marié à une psychiatre toutes ces années et parler comme ça ? Tu dates du Moyen Âge, Willy.

- Helen, ce garçon a trop de poids. Tout ce que je proposais c’était qu’il laisse un peu de purée pour le reste du monde et qu’il se cale avec cet excellent et délicieux rosbif que ta perle a préparé pour mon retour triomphals.

- Willy, je ne veux pas te choquer, mais il se trouve que Jason n’a pas seulement une très grande intelligence mais aussi une exceptionnelle vue. Quand il se regarde dans le miroir, je t’assure qu’il sait qu’il n’est pas svelte. C’est parce qu’il ne choisit pas, pour le moment, d’être svelte.

- Il n’est pas si loin de flirter, Helen ; comment ça va se passer ?

- Jason a dix ans, chéri, et n’est pas intéressé, pour le moment, par les filles. Pour le moment, il est intéressé par les fusées. Quelle différence cela fait pour un amoureux des fusées un petit cas de surpoids ? Quand il choisira d’être svelte, je t’assure, il aura l’intelligence et la volonté pour devenir svelte. Jusque-là, s’il te plaît, en ma présence, ne frustre pas cet enfant. »

Sandy Sterling dansait devant mes yeux dans son Bikini.

« Je mange pas et c’est tout, dit alors Jason.

- Mon chéri, dit Helen au gamin, avec ce ton qu’elle réserve sur cette Terre uniquement à ces moments-là, sois logique. Si tu ne manges pas ta purée, tu ne seras pas content et je ne serai pas contente ; ton père, clairement, est déjà mécontent. Si tu manges ta purée, je serai contente, tu seras content, ton estomac sera content. On ne peut rien faire pour ton père. Tu as le pouvoir de mécontenter tout le monde ou une seule personne pour qui, comme je l’ai déjà dit, on ne peut rien faire. Donc, la conclusion doit être claire, mais j’ai foi en ta capacité à la trouver seul. Fais comme tu veux, Jason. »

Il commença à se remplir.

« Tu es en train de faire un pédé de ce gamin, » dis-je, assez bas pour que personne, en dehors de moi et Sandy Sterling, n’entende. Puis j’ai pris une profonde, profonde inspiration, parce qu’à chaque fois que je reviens, il y a toujours des problèmes parce que, selon Helen, j’amène de la tension avec moi, j’ai toujours besoin de preuves inhumaines que je leur ai manqué, que je suis toujours désiré, aimé, etc. Tout ce que je sais c’est que je déteste être loin, mais rentrer est encore pire. Il n’y a vraiment aucune chance pour que je puisse dire un « bon, quoi de neuf depuis que je suis parti » puisque Helen et moi nous sommes parlé chaque soir de toute façon.

« Je parie que tu es un pro à vélo, dis-je alors. Peut-être qu’on pourra aller faire un tour ce week-end. »

Jason leva les yeux de sa purée. « J’ai vraiment adoré le livre, Pa. Il est génial. »

J’étais surpris qu’il le dise, puisque, naturellement, j’étais juste en train de m’approcher du sujet. Mais bon, comme le dit toujours Helen, c’est pas un crétin. « Bon, je suis content, » dis-je. Et je l’étais vraiment.

Jason fit un signe de tête. « Peut-être que c’est même le meilleur que j’ai lu de toute ma vie. »

Je mâchonnais mes épinards. « Quel est ton passage préféré ?

- Chapitre un. La fiancée, » dit Jason.

Ça m’a vraiment surpris. C’est pas que le chapitre un est pourri ou quoi, mais il n’y a pas vraiment quoi que ce soit qui s’y passe comparé aux trucs incroyables après. Bouton d’Or grandit, c’est à peu près tout. « T’as pensé quoi de la montée des Falaises de la Démence ? » dis-je alors. C’est dans le chapitre cinq.

« Oh, génial, dis Jason.

- Et la description du Zoo de la Mort du prince Humperdinck ? » C’est dans le deuxième chapitre.

« Encore plus génial, dis Jason.

- Ce qui m’étonne là-dedans, dis-je, c’est que c’est vraiment un tout petit passage sur le Zoo de la Mort mais tu sais quand même que tu vas revoir ça plus tard. Est-ce que t’as eu cette impression ?

- Mmm-hmmm. fit Jason. Génial. »

À ce moment-là je savais qu’il ne l’avait pas lu.

« Il a essayé de le lire, coupa Helen. Il a vraiment lu le premier chapitre. Le chapitre deux, c’était impossible pour lui, alors, après qu’il ait suffisamment et raisonnablement essayé, je lui ai dit d’arrêter. Chacun ses goûts. Je lui ai dit que tu comprendrais, Willy. »

Bien sûr je comprenais. Pourtant je me sentais tellement abandonné.

« J’l’ai pas aimé, Pa. Je voulais. »

Je lui ai souri. Comment il pouvait ne pas l’aimer ? De la passion. Des duels. Des miracles. Des géants. Le grand amour.

« Tu ne manges pas les épinards non plus ? » dit Helen.

Je me levais. « Décalage horaire ; je n’ai pas faim. » Elle n’a rien dit jusqu’à ce qu’elle m’entende ouvrir la porte d’entrée. « Où vas-tu ? » appela -t-elle. Si j’avais su, j’aurai répondu.

J’ai erré dans le mois de décembre. Sans manteau. Je ne me rendais pas compte que j’avais froid cependant. Tout ce que je savais c’est que j’avais quarante ans et que je n’avais pas voulu être là à quarante ans, enfermé avec ce génie de psy pour femme et ce ballon pour enfant. Il devait être neuf heures quand je me suis retrouvé assis au milieu de Central Park, seul, personne près de moi, pas d’autre banc occupé.

C’est alors que j’ai entendu le bruit dans les buissons. Ça s’est arrêté. Puis ça a recommencé. Trrrès doucement. Plus près.

Je me suis tourné en criant : « Arrêtez de m’emmerder ! » et quoi que ça avait été, ami, ennemi, imagination, c’est parti. Je l’ai entendu courir et j’ai réalisé quelque chose : à ce moment-là, précisément, j’étais dangereux.

Puis il a fait froid. Je suis rentré à la maison. Helen relisait quelques notes dans le lit. Normalement, elle y serait allée avec quelque chose sur moi qui suis un peu vieux pour les attitudes puériles. Mais il devait toujours y avoir du danger qui me collait au corps. Je pouvais le voir dans ses yeux intelligents. « Il a vraiment essayé, dit-elle.

- Je n’ai jamais pensé le contraire, répondis-je. Où est le livre ?

- La bibliothèque, je pense. » Je me suis tourné et je suis sorti.  « Est-ce que tu veux quelque chose ? »

J’ai dit non. Puis je suis allé dans la bibliothèque, me suis enfermé, et ai cherché The Princess Bride. Il était en très bon état ais-je réalisé en vérifiant la reliure et j’ai remarqué qu’il était édité par ma maison d’édition, Harcourt Brace Jovanovitch. C’était avant ça ; ça n’était même pas Harcourt, Brace & World. Simplement la vieille période Harcourt, Brace. J’ai feuilleté jusqu’à la page de titre, ce qui était bizarre puisque je ne l’avais jamais fait avant ; c’était toujours mon père qui l’avait eu entre les mains. J’ai ri quand j’ai vu le vrai titre parce que ça disait :

THE PRINCESS BRIDE

Un Classique de Conte de Grand Amour

et de Grande Aventure

par S. Morgenstern


Il fallait admirer un gars qui appelait son dernier roman un classique avant qu’il soit publié et que personne d’autre n’ait eu la chance de le lire. Peut-être il s’était dit que s’il ne le faisait pas, personne ne le ferait, ou peut-être qu’il essayait juste d’aider les critiques ; je ne sais pas. J’ai lu en travers le premier chapitre et il était tout à fait comme je me le rappelais. Puis, je suis passé au deuxième chapitre, celui qui est sur le prince Humperdinck et l’espèce de description tentatrice du Zoo de la Mort.

Et c’est alors que j’ai commencé à comprendre le problème.

C’est pas que la description n’y était pas. Elle y était et aussi tout à fait comme je me la rappelais. Mais avant d’y arriver il y avait peut-être soixante pages de texte expliquant l’ascendance du prince Humperdinck et comment son ascendance a pris le pouvoir à Florin et ce mariage-ci et cet enfant-là qui a engendré cet autre qui a épousé quelqu’un d’autre et puis je suis passé au troisième chapitre. Les fiançailles, et tout ça sur l’histoire de Guilder et comment ce pays a atteint sa place dans le monde. Plus j’avançais, plus j’en savais : Morgenstern n’écrivait pas un livre pour enfant ; il écrivait une sorte d’histoire satyrique de son pays et du déclin de la monarchie dans la civilisation occidentale.

Mais mon père ne m’a lu que les trucs d’actions, les meilleurs passages. Il n’a jamais fait attention au côté sérieux.

À à peu près deux heures du matin, j’ai appelé Hiram au vignoble de Martha. Hiram Haydn a été mon éditeur depuis une douzaine d’année, depuis Soldier in the Rain, et nous sommes passé à travers beaucoup de choses ensemble mais jamais jusqu’à des coups de fil à deux heures du mat’. Je sais qu’il ne comprend toujours pas pourquoi je n’ai pas pu attendre jusqu’au lendemain matin. « Tu es sûr que tout va bien, Bill, » n’arrêtait-il pas de dire.

« Eh, Hiram, commençais-je après au moins six sonneries. Écoute, vous avez publié un livre juste après la Première Guerre mondiale. Est-ce que tu penses que ça serait une bonne idée si je l’abrégeais et que vous l’éditiez à nouveau ?

- Tu es sûr que tout va bien, Bill ?

- Bien, parfaitement, et tu vois, je vais seulement utiliser les meilleurs passages. Je passerai là où il n’y a pas de récit et je ne laisserai que les meilleurs passages. Qu’est-ce que tu en penses ?

- Bill, il est deux heures du matin ici. Tu es toujours en Californie ? »

J’ai fait comme si j’étais très surpris. Comme ça il ne penserait pas que je suis dingue. « Je suis désolé, Hiram. Mon Dieu, quel idiot ; il est seulement onze heures à Beverly Hills. Est-ce que tu penses que tu pourrais demander à M. Jovanovitch quand même ?

- Tu veux dire maintenant ?

- Demain ou après-demain, c’est pas important.

- Je lui demanderai, mais je ne suis pas vraiment sûr de comprendre ce que tu veux exactement. Tu es sûr que tout va bien, Bill ?

- Je serai à New York demain. Je t’appelle pour les détails, ok ?

- Est-ce que tu pourras appeler un peu plus tôt dans la journée, Bill ? »

J’ai ri, nous avons raccroché et j’ai appelé Zig en Californie. Evans Ziegler est mon agent pour le cinéma depuis à peu près huit ans. Il a fait le contrat de Butch Cassidy pour moi et je l’ai réveillé aussi. « Eh, Zig, est-ce que tu pourrais m’avoir un délai pour le Stepford Wives ? Il y a cet autre truc qui vient d’arriver.

- Tu t’es engagé à commencer maintenant ; long comment le délai ?

- Je ne peux pas être sûr ; j’ai jamais fait d’abrègement avant. Dis-moi simplement ce que tu penses qu’ils feront.

- Je pense que si le délai est trop long ils vont menacer de te poursuivre et tu vas finir par perdre le boulot. »

Ça c’est passé pratiquement comme il a dit ; ils ont menacé de me poursuivre, j’ai presque perdu le boulot et un peu d’argent et je ne me suis fait aucun ami dans le « business », comme nous appelons les films dans le showbiz.

Mais l’abrègement a été fait et vous le tenez entre vos mains. La version des « meilleurs passages ».


* * *


Pourquoi est-ce que j’ai raconté tout ça ?

Helen m’a mis la pression pour que je pense à une réponse. Elle pensait que c’était important, pas qu’elle sache, mais que je sache pourquoi. « Parce que tu as agi comme un cinglé, mon petit Willy, dit-elle. Tu m’a fait vraiment peur. »

Alors pourquoi ?

Je n’ai jamais valu un radis en examen personnel. Tout ce que j’écris est impulsif. Ça me semble bien, ça sonne mal, comme ça. Je ne peux pas analyser, pas mes propres actions en tout cas.

Je sais que je ne m’attends pas à ce que ça change la vie de qui que ce soit comme ça a changé la mienne.

Mais prenez le titre, « grand amour et grande aventure », j’ai cru en ça. Je pensais que ma vie allait suivre ce chemin. Prié que ça arrive. Visiblement ça n’a pas été le cas, mais je ne pense pas qu’il reste encore de grande aventure. Personne ne sort une épée de nos jours et crie : « Bonjour. Mon nom est Inigo Montoya. Vous avez tué mon père ; préparez-vous à mourir ! »

Et le grand amour, vous pouvez l’oublier aussi. Je ne sais pas si j’ai eu un amour plus grand que pour le bifteck chateaubriand de chez Peter Luger et l’enchilada au fromage de chez El Parador. (Désolé, Helen.)

Enfin, voici la version des « meilleurs passages ». S. Morgenstern l’a écrit. Et mon père me l’a lue. Et maintenant, je vous la donne. Ce que vous en faites sera mieux que partager l’intérêt de nous tous.

New York

Décembre 1972

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