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Approximativement
15 juin 2005

Pauline Réage - Histoire d'O

Histoire d’O ou la soumission manipulatrice.

 

Nous fêtions l’année dernière le cinquantième anniversaire d’Histoire d’O. Cinquante ans d’effroi, de délice et de scandale. Histoire d’O est devenu un classique de la littérature érotique, à classer dans ceux qu’il faut avoir lus, ne serait-ce que pour sa culture générale : La Philosophie dans le boudoir, La Vénus à la fourrure, Emmanuelle, j’en passe et des plus jouissifs. C’est quelquefois difficile de se rendre compte du raz-de-marée qu’a provoqué ce livre à sa sortie. 1954 n’est pas vraiment dans la période de libération des mœurs. Les femmes portent encore leurs jupes sous les genoux, les relations en dehors du mariage sont un tabou, les pratiques sexuelles, si elles existent, restent immuablement tacites. Les romans érotiques de l’époque sont soit ceux que l’on relègue aux erreurs du passé (Sade par exemple) soit ceux qu’on achète sous le manteau, qu’on lit d’une main et qui ne sont pas écrits dans un soucis de style. C’est donc une chose nouvelle que ce récit d’une femme moderne et intelligente, ni garce ni naïve, qui se soumet corps et âme aux désirs de son amant, lui-même homme respectable au demeurant. Le style est sobre, précis, rapide et sans vocabulaire vulgaire ou grossièreté gratuite. Le scandale est donc double : scandale du roman au sujet nouveau, scandale du talent mis au service d’une œuvre érotique. Le roman paraît au nom de Pauline Réage, mais nombreux sont ceux qui pense y voir la patte d’un homme. Son éditeur est Jean-Jacques Pauvert (aujourd’hui les Éditions Pauvert existent toujours), un petit éditeur qui marquera dès ce jour sa ligne éditoriale d’un cachet sulfureux et original. Le livre est préfacé par Jean Paulhan, éditeur chez Gallimard. Le doute s’installe donc quant à l’identité de l’auteur. Homme, femme, éditeur respectable, auteur honteux de son œuvre ?

 

Mais en définitive, c’est surtout le sujet du roman qui pose problème (et le présent est toujours de mise). En dehors de l’image commune de la catin soumise qui prend un plaisir vulgaire dans la jouissance et la souffrance, bien loin de la pauvre Justine souffrant de ses infortunes, O est une amante masochiste et manipulatrice. Contrainte à la réclusion et à la servilité sous l’autorité de nombreux hommes inconnus, O prend un plaisir subtil à être punie de son insolence, à souffrir sous les coups de cravache, à être violée par des hommes des plus virils, à être humiliée, enfin, par et pour son amant. Mais la jouissance n’est que physique pour ces hommes. O, elle, prend du plaisir à voir l’effet de sa soumission sur les mâles qui l’entourent. Chacun d’entre eux est hypnotisé par la beauté de sa souffrance, son amant, surtout, est envoûté par les sacrifices qu’elle fait pour lui. Et, tout en prenant du plaisir dans son humiliation, O s’attache à jamais l’amour et le désir de cet homme. Et d’autres.

 

Esclave en apparence, O est l’ultime gagnante de son histoire, victorieuse de sa propre fin.

 

Je dois avouer que, comme beaucoup de gens, et principalement des femmes, j’ai été choquée, dégoûtée, lors de ma première lecture. Dégoûtée de cette mise en scène perverse de la sexualité. Choquée par la préface de Jean Paulhan qui affirme que les femmes « ont simplement besoin d’un bon maître, et qui se défie de sa bonté, […] qu’il faut prendre un fouet quand on va les voir », que chaque femme, enfin, aimerait pouvoir se soumettre à un homme comme le fait O. C’était, bien sûr, l’aveuglement dû aux émois de cette première lecture érotique (enfin, disons que Sade ne m’avait pas vraiment émoustillée). Je ne pouvais voir l’amour qui se cachait sous les larmes d’O. Peut-être faut-il de l’expérience, tant amoureuse que sexuelle, pour comprendre la vie d’O ; peut-être faut-il une empathie que je n’ai jamais eue ; peut-être faut-il une réelle ouverture d’esprit aux différentes façons d’aimer, de celles qu’on a vécues, à celles qu’on n’imaginait pas. Histoire d’O fut rapidement mis du côté des livres que je n’aimais pas. Et le temps fit son métier. Je retouchais du doigt le roman de Pauline Réage lorsque je vis le fabuleux documentaire sur le livre et son auteur diffusé sur arte en fin d’année. Travaillant alors dans une maison d’édition sœur de la maison Pauvert, je me fis le plaisir de m’acheter le livre chez eux, merveilleux ouvrage couvert d’un rose éclatant. Et je lus avec un plaisir autant physique qu’intellectuel la déclaration d’amour d’une femme à l’homme de son lit.

 

Il est primordial, pour comprendre l’histoire d’O, de connaître l’histoire du livre. Sous le pseudonyme de Pauline Réage, se cache bel et bien une femme : Dominique Aury. Elle déclara finalement être l’auteur de ce chef d’œuvre en 1994, quelques années avant sa mort. Dominique Aury était éditrice chez Gallimard. Et c’était la maîtresse de son directeur, Jean Paulhan. Dans la France des années cinquante, les amours hors mariage d’un homme reconnu et de son employée ne se vivaient pas au grand jour. Amour de l’ombre, donc, rencontres sous les ponts de Paris, rendez-vous furtifs… Amour incertain puisque tacite, même entre eux. Mais amour dévorant pour elle. Alors, un jour, la maîtresse timide et rangée se mit à écrire un roman érotique qu’elle lut à son amant chapitre par chapitre. Œuvre de l’amour, donc, et non pas de la concupiscence vulgaire. Subtil mélange de fantasmes inavoués, de désir latent, de démonstration de sentiments. Jean Paulhan insista pour que le texte fût publié, non pas chez la respectable Gallimard, bien sûr, mais chez un nouvel éditeur. Il préfaça le texte, hommage discret aux sentiments de l’auteur.

 

Comme il n’est pas question ici de vous présenter un passage représentatif de l’œuvre, car cela reste un texte érotique et ce n’est point le but de ce lieu, c’est un extrait plus sobre que je vous propose de lire…

 

[Il lui dit, tout en la tenant par le collier, deux doigts glissés entre le cuir et le cou, qu’il entendait qu’elle fût désormais mise en commun entre lui et ceux dont il déciderait, et ceux qu’il ne connaîtrait pas qui étaient affiliés à la société du château, comme elle l’avait été la veille au soir. Que c’est de lui, et de lui seul qu’elle dépendait, même si elle recevait des ordres d’autres que lui, qu’il fût présent ou absent, car il participait par principe à n’importe quoi qu’on pût exiger d’elle ou lui infliger, et que c’était lui qui la possédait et jouissait d’elle à travers ceux aux mains de qui elle était remise, du seul fait qu’il la leur avait remise. Elle devait leur être soumise et les accueillir avec le même respect avec lequel elle l’accueillait, comme autant d’images de lui. Il la posséderait ainsi comme un dieu possède ses créatures, dont il s’empare sous le masque d’un monstre ou d’un oiseau, de l’esprit invisible ou de l’extase. Il ne voulait pas se séparer d’elle. Il tenait d’autant plus à elle qu’il la livrait davantage. Le fait qu’il la donnait lui était une preuve, et devait en être une pour elle, qu’elle lui appartenait ; on ne donne que ce qui vous appartient. Il la donnait pour la reprendre aussitôt, et le reprenait enrichie à ses yeux, comme un objet ordinaire qui aurait servi à un usage divin et se trouverait par là consacré. Il désirait depuis longtemps la prostituer, et il sentait avec joie que le plaisir qu’il en tirait était plus grand qu’il ne l’avait espéré, et l’attachait à elle davantage comme il l’attacherait à lui, d’autant plus qu’elle serait plus humiliée et plus meurtrie. Elle ne pouvait, puisqu’elle l’aimait, qu’aimer ce qui lui venait de lui. O écoutait et tremblait de bonheur, puisqu’il l’aimait, tremblait, consentante. Il le devina sans doute, car il reprit : « C’est parce qu’il t’est facile de consentir que je veux de toi ce à quoi il te sera impossible de consentir, même si d’avance tu l’acceptes, même si tu dis oui maintenant, et que tu t’imagines capable de te soumettre. Tu ne pourras pas ne pas te révolter. On obtiendra ta soumission malgré toi, non seulement pour l’incomparable plaisir que moi ou d’autres y trouveront, mais pour que tu prennes conscience de ce qu’on a fait de toi. » O allait répondre qu’elle était son esclave, et portait ses lien avec joie. Il l’arrêta : « On t’a dit hier que tu ne devais, tant que tu serais dans ce château, ni regarder un homme au visage, ni lui parler. Tu ne le dois pas davantage à moi, mais te taire, et obéir. Je t’aime. Lève-toi. Tu n’ouvriras désormais ici la bouche, en présence d’un homme, que pour crier ou caresser. » O se leva donc.]

 

À consulter, la page, très complète, du thema d’arte : http://www.arte-tv.com/fr/art-musique/726758.html

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