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Approximativement
19 décembre 2005

The Princess Bride - Cinq, L'Annonce

La Grande Place de Florineville était remplie comme jamais, attendant la présentation de la future épouse du prince Humperdinck, la princesse Bouton d’Or d’Hammersmith. La foule avait commencé à se former quarante heures plus tôt, mais vingt-quatre heures avant ils étaient toujours moins d’un millier. Mais alors, comme le moment de la présentation devenait plus proche, les gens arrivèrent de tout le pays. Personne n’avait jamais vu la Princesse, mais les rumeurs sur sa beauté étaient continuelles et chacune était un peu moins possible que la précédente.

À midi, le prince Humperdinck apparu au balcon du château de son père et leva la main. La foule, qui était maintenant d’une taille dangereuse, se tut tranquillement. Il y avait des rumeurs selon lesquelles le Roi était mourant, qu’il était déjà mort, qu’il était mort depuis longtemps, qu’il allait bien.

« Mon peuple, mes bien-aimés, vous de qui nous tirons notre force, aujourd’hui est un jour de fête. Comme vous devez l’avoir entendu, la santé de mon honoré père n’est plus ce qu’elle était. Il a, bien sûr, quatre-vingt-dix-sept ans alors on ne peut pas en demander plus. Et vous savez aussi que Florin a besoin d’un héritier mâle. »

La foule commençait à s’agiter. Ce devait être la dame dont ils avaient tant entendu parler.

« Dans trois mois, notre pays célèbre son cinq centième anniversaire. Pour célébrer cette célébration, je vais, au coucher de soleil, prendre pour femme la princesse Bouton d’Or d’Hammersmith. Vous ne la connaissez pas encore. Mais vous allez la rencontrer maintenant, » il fit un large geste, les portes du balcon s’ouvrirent et Bouton d’Or avança près de lui sur le balcon.

Et la foule, assez littéralement, eut le souffle coupé.

La princesse de vingt et un ans dépassait de loin la pleureuse de dix-huit ans. Les défauts de sa figure avaient disparu, le coude trop osseux s’était joliment habillé de chair, le poignet opposé trop dodu n’aurait pas pu être plus fin. Ses cheveux, qui avaient eu la couleur de l’automne, avaient toujours la couleur de l’automne, sauf qu’avant, elle s’en occupait elle-même, alors que maintenant elle avait cinq coiffeurs à plein temps qui s’occupaient de tout pour elle. (C’était bien après les coiffeurs ; en fait, depuis qu’il y a des femmes, il y a des coiffeurs, Adam ayant été le premier, même si les universitaires du roi James ont fait de leur mieux pour ensevelir ce point.) Sa peau avait toujours la couleur de la crème glacée, mais maintenant, avec deux servantes pour chaque côté et quatre pour le reste, elle semblait, dans certaines lumières, lui donner une douce lueur, bougeant continuellement avec elle.

Le prince Humperdinck prit sa main, la leva et la foule les acclama. « Ça suffit, ne risquons pas la surexposition, » dit le Prince et il commença à rentrer dans le château.

« Ils ont attendu, certains si longtemps, répondit Bouton d’Or. J’aimerais marcher au milieu d’eux.

- Nous ne marchons pas au milieu du peuple sauf si c’est inévitable, dit le Prince.

- J’ai connu beaucoup de gens du peuple, lui dit Bouton d’Or. Ils ne vont pas me faire de mal, je pense. »

Et elle quitta le balcon, réapparu un moment plus tard en haut des grandes marches du château et, toute seule, descendit vers la foule les bras grands ouverts.

Partout où elle allait, les gens la laissaient passer. Elle traversa et retraversa la Grande Place et, toujours, devant elle, les gens lui laissaient le passage. Bouton d’Or continua, en avançant doucement et en souriant, seule, comme un messie.

La plupart des gens présents n’oublieraient jamais ce jour. Aucun d’entre eux, bien sûr, n’avait jamais été si proche de la perfection, et la grande majorité l’adora immédiatement. Il y en avait, c’est sûr, quelques-uns qui, même s’ils admettaient qu’elle était assez plaisante à voir, doutaient de ses qualités en tant que reine. Et, bien sûr, il y en avait d’autres qui étaient carrément jaloux. Très peu d’entre eux la haïrent.

Et seulement trois d’entre eux se préparaient à la tuer.

Bouton d’Or, naturellement, n’en savait rien. Elle souriait et quand les gens voulaient toucher sa robe, eh bien, elle les laissait faire, et quand ils voulaient frotter leur peau à la sienne, eh bien, elle les laissait faire aussi. Elle avait étudié dur pour faire les choses royalement et elle voulait vraiment bien faire, alors elle se tenait bien droite et souriante, et que sa mort soit si proche l’aurait fait rire si quelqu’un le lui avait dit.

Mais...

... dans le coin le plus éloigné de la Grande Place...

... dans l’immeuble le plus haut du pays...

... au fond de la plus profonde obscurité...

...l’homme en noir attendait.

Ses bottes étaient en cuir noir. Son pantalon et sa chemise étaient noirs. Son masque était noir, plus noir que le jais. Mais les plus noirs de tous étaient ses yeux étincelants.

Étincelants et cruels et mortels...


* * *


Bouton d’Or était plus que fatiguée après son triomphe. Le bain de foule l’avait exténuée, alors elle se reposa un peu, puis, vers le milieu de l’après-midi, elle mit ses habits d’équitation et alla chercher Cheval. C’était le seul aspect de sa vie qui n’avait pas changé dans les années précédentes. Elle adorait toujours chevaucher et toutes les après-midi, que le temps le permette ou pas, elle chevauchait seule pendant plusieurs heures dans la campagne sauvage derrière le château.

Elle réfléchissait mieux comme ça.

Ce n’est pas que ses réflexions aient jamais dépassé l’horizon. Pourtant, se disait-elle, elle n’était pas une idiote non plus, aussi longtemps qu’elle gardait ses réflexions pour elle, où était le mal ?

Comme elle chevauchait à travers les bois, les rivières et les bruyères, son esprit fonctionnait mieux. La balade dans la foule l’avait touchée, et d’une façon très étrange. Car, même si en trois ans elle n’avait fait que s’entraîner pour être une princesse et une reine, aujourd’hui était le premier jour où elle comprenait vraiment que tout cela allait bientôt être une réalité.

Et je n’aime pas Humperdinck, pensait-elle. Ce n’est pas que je le hais ou quoi. C’est juste que je ne le vois jamais. Il est toujours parti quelque part ou en train de jouer dans le Zoo de la Mort.

Dans l’esprit de Bouton d’Or, il y avait deux problèmes : (1) était-ce mal d’épouser quelqu’un sans avoir de sentiments, et (2) si oui, est-ce qu’il était trop tard pour faire quoi que ce soit.

Les réponses, dans son esprit, comme elle continuait à chevaucher, étaient : (1) non et (2) oui.

Ce n’était pas mal d’épouser quelqu’un qu’on n’aimait pas, c’est juste que ça n’était pas bien non plus. Si le tout le monde faisait comme ça, ça ne serait pas un si gros problème, à part que tout le monde grognerait contre tout le monde alors que les années passeraient. Mais, bien sûr, personne ne le faisait, alors oublions ça. La réponse au (2) était encore plus facile : elle avait donné sa parole qu’elle se marierait, cela suffisait. C’est vrai, il lui avait dit assez honnêtement que si elle disait « non » il se débarrasserait d’elle, de façon à garder le respect à la Couronne à un niveau convenable. Pourtant, elle aurait pu, si elle l’avait choisi, dire non.

Tout le monde lui avait dit, depuis qu’elle était devenue une apprentie princesse, qu’elle était la plus belle femme du monde. Maintenant elle allait être la plus riche et la plus puissante aussi.

Il ne faut pas trop en demander à la vie, se dit Bouton d’Or comme elle continuait à chevaucher. Apprends à être satisfaite avec ce que tu as.


* * *


Le soleil était en train de se coucher quand Bouton d’or arriva en haut de la colline. Elle était peut-être à une demi-heure du château et sa chevauchée quotidienne était à trois quarts finie. Soudainement elle arrêta Cheval car, debout dans l’ombre, il y avait le plus étrange trio qu’elle ait jamais vu.

L’homme qui était devant avait le teint mat, peut-être sicilien, avec un visage très doux, presque angélique. Il avait une jambe plus courte que l’autre et l’apparence d’un bossu, mais il bougea vers elle avec une vitesse et une agilité surprenante. Les deux autres ne bougèrent pas. Le second, au teint mat, probablement espagnol, était aussi droit et aussi svelte que la lame de métal qui était attaché à son côté. Le troisième homme, moustachu, peut-être turc, était facilement l’être humain le plus grand qu’elle ait jamais vu.

« Un mot ? » dit le Sicilien, levant la main. Son sourire était plus angélique que son visage.

Bouton d’Or s’arrêta. « Parlez.

- Nous ne sommes que de pauvres artistes de cirque, expliqua le Sicilien. Il fait noir et nous sommes perdus. On nous a dit qu’il y a un village pas très loin où nous pourrions faire nos tours.

- On vous a mal informés, lui dit Bouton d’Or. Il n’y en a pas, pas à des kilomètres.

- Alors il n’y a personne pour vous entendre crier, » dit le Sicilien et il sauta avec une agilité effrayante vers son visage.

C’est tout ce dont se souvenait Bouton d’Or. Peut-être cria-t-elle mais si elle le fit ce fut plus de terreur que de quoi que ce soit d’autre, parce qu’elle ne ressentit aucune douleur. Ses mains touchèrent expertement certains points de son cou et elle fut inconsciente.

Elle fut réveillée par un bruit d’eau.

Elle était enveloppée dans une couverture et le géant turc était en train de la déposer au fond d’un bateau. Pendant un moment elle faillit parler, mais quand ils commencèrent à discuter, elle pensa qu’il valait mieux les écouter. Et après avoir écouté un moment, cela devenait de plus en plus difficile d’écouter. À cause des terribles battements de son cœur.

« Je pense que vous devriez la tuer maintenant, dit le Turc.

- Moins tu penseras, plus je serais heureux, » répondit le Sicilien.

Il y eut un son de tissu déchiré.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda l’Espagnol.

- La même chose que j’ai attachée à sa selle, répondit le Sicilien. Du tissu d’uniforme de Guilder.

- Je pense quand même... commença le Turc.

- Elle doit être trouvée morte sur la frontière guildérienne ou on ne nous paiera pas le reste de notre salaire. Est-ce que c’est assez clair pour toi ?

- Je me sens mieux quand je sais ce qu’il se passe, c’est tout, marmonna le Turc. Les gens pensent toujours que je suis si stupide parce que je suis gros et fort et que je bave un peu quand je suis énervé.

- La raison pour laquelle les gens pensent que tu es si stupide, dit le Sicilien, c’est parce que tu es si stupide. Ça n’a rien à voir avec le fait que tu baves. »

Vint alors le bruit du bateau qui prenait la mer. « Attention à vos têtes, » prévint l’Espagnol et le bateau commença à bouger. « Les gens de Florin ne prendront pas très bien sa mort, je pense. Elle commence à être très aimée.

- Il y aura la guerre, répondit le Sicilien. Nous avons été payés pour la démarrer. Il y a une grande lignée d’experts dans ce métier. Si nous faisons ça parfaitement, nos services seront en demande constante.

- Eh bien je n’aime pas trop ça, dit l’Espagnol. Franchement, je préférerais que tu aies refusé.

- L’offre était trop grosse.

- Je n’aime pas avoir à tuer une fille, dit l’Espagnol.

- Dieu fait ça tout le temps ; s’Il ne s’en soucie pas, ne t’en soucie pas non plus. » Pendant tout ce temps Bouton d’Or n’avait pas bougé.

L’Espagnol dit : « Disons-lui simplement que nous l’avons enlevée pour une rançon. »

Le Truc acquiesça. « Elle est si belle et ça la rendrait folle si elle savait.

- Elle sait déjà, dit le Sicilien. Elle était réveillée et a entendu le moindre mot. »

Bouton d’Or, étendue sous la couverture, ne bougeait pas. Comment pouvait-il savoir ça, se demanda-t-elle ?

« Comment peux-tu en être sûr ? demanda l’Espagnol.

- Le Sicilien sent tout, » dit le Sicilien.

Vaniteux, pensa Bouton d’Or.

« Oui, très vaniteux, » dit le Sicilien.

Il doit être télépathe, pensa Bouton d’Or.

« Est-ce que tu vas à fond ? dit le Sicilien.

- Aussi vite que possible, répondit l’Espagnol du gouvernail.

- Nous avons une heure d’avance sur eux, nous ne risquons encore rien. Son cheval atteindra le château en peut-être vingt-sept minutes, ça leur prendra quelques minutes de plus pour comprendre ce qu’il s’est passé et, vu que nous avons laissé une trace évidente, ils seront sur notre piste dans une heure. Nous devrions atteindre les Falaises dans quinze minutes et, dans le pire des cas, la frontière guildérienne au crépuscule où elle mourra. Son corps devrait être encore assez chaud quand le Prince atteindra ses restes mutilés. Je souhaiterais simplement pouvoir rester pour voir sa douleur – cela devrait être homérique. »

Pourquoi me laisse-t-il connaître ses plans, se demanda Bouton d’Or.

« Vous retournez dormir maintenant, ma Dame, » dit l’Espagnol et, soudainement, ses doigts touchèrent sa tempe, son épaule, son cou et elle était de nouveau inconsciente…

Bouton d’Or ne savait pas combien de temps elle était restée évanouie, mais ils étaient toujours sur le bateau quand elle cligna des yeux, la couverture la protégeant. Et cette fois-ci, sans oser penser – le Sicilien l’aurait su d’une façon ou d’une autre – elle jeta la couverture et plongea dans le canal Florin.

Elle resta sous l’eau aussi longtemps qu’elle l’osa et puis fit surface, se mettant à nager dans l’eau sans lune avec chaque once de force qu’il lui restait. Derrière elle dans l’obscurité il y avait des cris.

« Allez-y, allez-y ! disait le Sicilien.

- Je ne sais que faire la nage du chien, répondait le Turc.

- Tu es meilleur que moi, » ajoutait l’Espagnol.

Bouton d’Or continuait à les distancer. À cause de l’effort, elle avait mal aux bras, mais elle ne les laissait pas se reposer. Ses jambes et son cœur battaient.

« Je peux l’entendre nager, dit le Sicilien. Vire à gauche. »

Bouton d’Or se mit à faire la brasse, s’éloignant en nageant silencieusement.

« Où est-elle ? hurla le Sicilien.

- Les requins ne la rateront pas, ne vous inquiétez pas, » assura l’Espagnol.

Oh non, j’aurais préféré que tu ne mentionnes pas ça, pensa Bouton d’Or.

« Princesse, appela le Sicilien, savez-vous ce qui arrive aux requins lorsqu’ils sentent du sang dans l’eau ? Ils deviennent fous. Rien ne peut contrôler leur sauvagerie. Ils déchirent et mettent en lambeaux et mâchent et dévorent, et je suis sur un bateau, Princesse, et il n’y a pas de sang dans l’eau maintenant, alors nous sommes tous les deux en sécurité, mais il y a un couteau dans ma main, ma Dame, et si vous ne revenez pas je me couperai les bras et je me couperai les jambes et je récupèrerai le sang dans une coupe et je le lancerai aussi loin que je le pourrai et les requins sentent le sang dans l’eau à des kilomètres et vous ne serez plus belle pour longtemps. »

Bouton d’Or hésita, avançant silencieusement dans l’eau. Autour d’elle maintenant, même si c’était sûrement son imagination, il lui semblait entendre le sifflement de queues géantes.

« Revenez, revenez maintenant. Il n’y aura pas d’autre avertissement. »

Bouton d’Or pensait, si je reviens, ils vont me tuer de toute façon, alors qu’elle est la différence ?

« La différence c’est que… »

Le voilà qui recommence avec ça, pensa Bouton d’Or. Il est vraiment télépathe.

« …si vous revenez maintenant, continua le Sicilien, je vous donnerai ma parole de gentleman et d’assassin que vous mourrez absolument sans souffrir. Je vous assure, vous n’aurez pas de telles promesses de la part des requins. »

Les bruits des poissons étaient plus proches maintenant.

Bouton d’or commença à trembler de peur. Elle avait terriblement honte d’elle-même, mais c’était comme ça. Elle souhaitait simplement pouvoir voir une minute s’il y avait vraiment des requins et s’il allait vraiment se couper.

Le Sicilien cria en tressaillant.

« Il vient juste de se couper le bras, Dame, cria le Turc. Il récupère le sang dans une coupe maintenant. Il doit y avoir trois doigts de sang dedans. »

Le Sicilien cria de nouveau.

« Il s’est coupé la jambe cette fois-ci, continua le Turc. La coupe est bientôt remplie. »

Je ne les crois pas, pensa Bouton d’Or. Il n’y a pas de requins dans l’eau et il n’y a pas de sang dans la coupe.

« Mon bras est prêt à lancer, dit le Sicilien. Donnez votre position ou pas, c’est à vous de choisir. »

Je ne vais pas jeter un coup d’œil, décida Bouton d’Or.

« Adieu, » dit le Sicilien.

Il y eu le son d’un liquide tombant dans un liquide.

Puis il y eut une pause.

Puis les requins devinrent fous…


* * *


« Elle ne se fait pas manger par les requins cette fois-ci, » dit mon père.

Je levais les yeux vers lui. « Quoi ?

- Tu avais l’air d’être trop impliqué et tracassé alors j’ai pensé que je devrais te laisser te détendre.

- Oh, pour l’amour de Dieu, dis-je, tu pensais que j’étais un bébé ou quoi. Qu’est-ce que c’est que ça ? » Je semblais vraiment déconcerté, mais je vais dire la vérité : j’étais trop impliqué et j’étais heureux qu’il me l’ait dit. Je veux dire, quand vous êtes un gamin, vous ne pensez pas : Bon, puisque le livre s’appelle The Princess Bride et vu qu’on l’a à peine commencé, manifestement, l’auteur n’est pas sur le point de faire du pâté pour requin de son personnage féminin principal. Vous êtes attrapé par les choses quand vous êtes un jeune ; alors pour tous les jeunes qui lisent, je vais simplement répéter les mots de mon père puisqu’ils ont marché pour m’apaiser : « Elle ne se fait pas manger par les requins cette fois-ci. »


* * *


Puis les requins devinrent fous. Tout autour d’elle, Bouton d’Or les entendait crier et agiter leurs terribles queues. Rien ne peut me sauver, réalisa Bouton d’Or. Je suis morte.

Heureusement pour tout le monde excepté les requins, c’est à peu près à ce moment que la lune apparut.

« Elle est là, » hurla le Sicilien, et, comme l’éclair, l’Espagnol tourna le bateau et comme celui-ci s’approchait le Turc lança un bras géant et puis elle était de retour en sécurité avec ses meurtriers alors que tout autour d’eux les requins se heurtaient dans leur frustration sauvage.

« Réchauffe-la, » dit l’Espagnol du gouvernail, envoyant son manteau au Turc.

« N’attrapez pas froid, » dit le Turc, enveloppant Bouton d’Or dans les plis du manteau.

« Cela ne semble pas avoir vraiment d’importance, répondit-elle, vu que vous me tuez à l’aube.

- C’est lui qui le fera en fait, » dit le Turc en montrant le Sicilien qui était en train d’enrouler du tissu autour de ses coupures. « Nous ne ferons que vous tenir.

- Tiens ta stupide langue, » commanda le Sicilien.

Le Turc se tut immédiatement.

« Je ne pense pas qu’il soit si stupide, dit Bouton d’Or. Et je ne pense pas que vous soyez si intelligent non plus, avec toute votre histoire de sang dans l’eau. Ce n’est pas ce que j’appelle une idée de première catégorie.

- Cela a marché, n’est-ce pas ? Vous êtes revenue, n’est-ce pas ? » Le Sicilien agitait le doigt vers elle. « Une fois qu’une femme a peur, elle crie.

- Mais je n’ai pas crié, la lune est apparue, » répondit Bouton d’Or quelque peu triomphalement.

Le Sicilien la frappa.

« Ça suffit, » dit alors le Turc.

Le minuscule bossu lança un regard mortel au géant. « Tu veux te battre avec moi ? Je ne crois pas.

- Non, Monsieur, marmonna le Turc. Non. Mais n’utilisez pas la force. S’il vous plait. La force c’est moi. Frappez-moi si vous en ressentez le besoin. Ça ne me fera rien. »

Le Sicilien retourna de l’autre côté du bateau. « Elle aurait crié, dit-il. Elle allait crier. Mon plan était parfait comme tous mes plans sont parfaits. C’est la mauvaise synchronisation de la lune qui m’a volé la perfection. » Il regarda d’un air accusateur le croissant jaune au-dessus d’eux. Puis il regarda devant lui. « Là ! montra le Sicilien. Les Falaises de la Démence. »

Et elles étaient là. Se dressant droites, abruptes sur l’eau, un millier de mètres dans la nuit. Elles étaient la route la plus rapide entre Florin et Guilder, mais on ne l’utilisait jamais, on naviguait à la place par le chemin le plus long, de nombreux kilomètres pour en faire le tour. Ce n’est pas que les Falaises étaient impossibles à escalader ; dans le dernier siècle, seulement deux hommes étaient connus pour les avoir grimpées.

« Navigue droit vers l’endroit le plus escarpé, » commandé le Sicilien.

L’Espagnol dit : « C’est ce que je faisais. »

Bouton d’Or ne comprenait pas. Monter les Falaises pouvait difficilement se faire, pensa-t-elle ; et personne n’avait jamais mentionné de passages secrets qui passent à travers. Pourtant ils étaient, naviguant de plus en plus près des énormes rochets, certainement moins loin que 400 m maintenant.

Pour la première fois le Sicilien s’accorda un sourire. « Tout va bien. J’avais peur que votre petite balade dans l’eau ne me coûte trop de temps. Je m’étais donné une heure de sécurité. Il doit toujours y avoir cinquante minutes de reste. Nous avons des kilomètres d’avance sur n’importe qui et tout à fait, tout à fait, tout à fait en sécurité.

- Personne ne pourrait nous suivre cependant ? demanda l’Espagnol.

- Personne, lui assura le Sicilien. Cela serait inconcevable.

- Absolument inconcevable ?

- Absolument, totalement et de toutes les manières, inconcevable, le rassura le Sicilien. Pourquoi demandes-tu ça ?

- Pour rien, répliqua l’Espagnol. C’est juste que je viens de regarder en arrière et il y a quelque chose là-bas. »

Ils se retournèrent tous.

Quelque chose était en effet là. Moins d’un kilomètre derrière eux il y avait un autre bateau dans la lumière de la lune, petit, peint de ce qui semblait être du noir, avec une voile géante qui flottait noire dans le vent, et un homme seul à la barre. Un homme en noir.

L’Espagnol regarda le Sicilien. « Cela doit simplement être un pêcheur des environs sorti pour une virée seul la nuit dans une eau infestée de requins.

- Il y a probablement une autre explication logique, dit le Sicilien. Mais vu que personne en Guilder pourrait déjà savoir ce que nous avons fait, et personne en Florin pourrait être arrivé ici si vite, il n’est définitivement pas, peu importe à quel point il en a l’air, en train de nous suivre. C’est une coïncidence et rien d’autre.

- Il gagne du terrain sur nous, dit le Turc.

- C’est également inconcevable, dit le Sicilien. Avant que je vole ce bateau, j’ai pris beaucoup de renseignements pour savoir quel était le bateau le plus rapide du détroit de Florin et tout le monde était d’accord pour dire que c’était celui-ci.

- Vous avez raison, accorda le Turc. Il ne gagne pas du terrain sur nous. Il se rapproche, c’est tout.

- C’est simplement ton angle de vue, rien de plus, » dit le Sicilien.

Bouton d’Or ne pouvait pas quitter des yeux la grande voile noire. Les trois hommes avec qui elle était l’effrayaient certainement. Mais, d’une certaine façon, pour des raisons qu’elle ne pouvait vraiment expliquer, l’homme en noir l’effrayait encore plus.

« Très bien, regardez bien, » dit alors le Sicilien avec juste une pointe de tension dans la voix.

Les Falaises de la Démence étaient très proches maintenant.

L’Espagnol manœuvra d’une main experte le navire, ce qui n’était pas facile, et les vagues se fracassaient contre les rochers maintenant et l’écume était aveuglante. Bouton d’Or mis ses mains sur ses yeux et renversa la tête pour regarder vers le sommet dans l’obscurité qui semblait enveloppé et hors de porté.

Puis le bossu se pencha en avant et, alors que le bateau atteignait la falaise, il sauta et soudainement il y avait une corde dans sa main.

Bouton d’Or la fixait avec un étonnement abasourdi. La corde, épaisse et solide, semblait aller tout en haut des Falaises. Elle regarda le Sicilien tirer et tirer la corde avant de la tenir fermement. Elle était attachée à quelque chose au sommet – un rocher géant, un arbre comme une tour, quelque chose.

« Vite maintenant, ordonna le Sicilien. S’il est en train de nous suivre, ce qui bien sûr n’est pas humainement possible, mais il l’est, nous devons atteindre le sommet et couper la corde avant qu’il ne puisse grimper à notre suite.

- Grimper ? dit Bouton d’Or. Je ne serais jamais capable de…

- Chut ! lui ordonna le Sicilien. Prépare-toi ! ordonna-t-il à l’Espagnol. Coule-le, ordonna-t-il au Turc. »

Et puis tout le monde s’affaira. L’Espagnol prit une corde et attacha les pieds et les mains de Bouton d’Or. Le Turc leva une immense jambe et frappa du pied au centre du bateau qui prit l’eau immédiatement et commença à couler. Puis le Turc se dirigea vers la corde et la prit dans les mains.

« Charge-moi, » dit le Turc.

L’Espagnol souleva Bouton d’Or et enroula son corps autour des épaules du Turc. Puis il s’attacha à la taille du Turc. Puis le Sicilien s’accrochant en enroulant ses bras autour du cou du Turc.

« Tout le monde à bord, » dit le Sicilien. (C’était avant les trains, mais l’expression vient originellement des charpentiers qui chargeaient du bois, et c’était bien après les charpentiers.)

Cela dit le Turc se mit à grimper. Cela faisait au moins mille mètres et il les portait tous les trois mais il n’était pas inquiet. Quand il était question de puissance, rien ne l’inquiétait. Quand il était question de lire, il avait des nœuds à l’estomac, quand il était question d’écrire, il avait des sueurs froides, et quand on mentionnait une addition ou, pire, une division, il changeait toujours de sujet immédiatement.

Mais la force n’avait jamais été son ennemie. Il pouvait recevoir la ruade d’un cheval sur sa poitrine et ne pas tomber. Il pouvait prendre un sac de farine de 100 kg entre ces jambes et le déchirer en deux sans y penser. Il avait une fois tenu un éléphant en l’air en utilisant uniquement les muscles de son dos.

Mais sa vraie puissance résidait dans ses bras. Il n’y avait jamais eu, en mille ans, des bras qui égalaient ceux de Fezzik (car c’était son nom). Les bras n’étaient pas seulement gargantuesques et totalement obéissants et étonnamment rapides, mais ils étaient aussi, et c’est pourquoi il ne s’inquiétait jamais, infatigables. Si vous lui donniez une hache et lui disiez de couper une forêt, ses jambes pourraient plier d’avoir à supporter tant de poids si longtemps, ou la hache pourrait se briser en punition pour avoir coupé tant d’arbres, mais les bras de Fezzik seraient aussi frais après qu’avant.

Et donc, même avec le Sicilien à son cou et la Princesse autour des ses épaules et l’Espagnol à sa taille, Fezzik ne se sentait pas le moins du monde surchargé. Il était en fait plutôt heureux, parce que ça n’était que quand on lui demandait d’utiliser sa puissance qu’il ne se sentait pas un ennui pour tout le monde.

Il grimpait, bras après bras, bras après bras, deux cents mètres au-dessus de l’eau maintenant, huit cents mètres à faire.

Plus qu’aucun d’eux, le Sicilien avait peur de l’altitude. Tous ses cauchemars, et ils n’étaient jamais loin quand il dormait, avait à voir avec la chute. Alors cette terrifiante ascension était plus difficile pour lui, perché comme il l’était sur le cou du géant. Ou aurait dû être la plus difficile.

Mais il n’en était pas question.

Depuis le début, quand, enfant, il avait réalisé que son corps bossu ne conquerrait jamais le monde, il avait compté sur son esprit. Il l’avait entraîné, combattu, porté sur les hauteurs. Alors maintenant, trois cents mètres dans la nuit et en montant plus haut, quand il aurait dû être tremblotant, il ne l’était pas.

Au lieu de ça il réfléchissait à l’homme en noir.

Il n’y avait aucune façon pour que quelqu’un soit assez rapide pour les suivre. Et pourtant cette voile noire volant au vent était apparue de quelque monde de démon. Comment ? Comment ? Le Sicilien fouettait son esprit pour trouver une réponse, mais il ne trouvait que l’échec. Dans une frustration sauvage, il prit une profonde inspiration et, malgré ses terribles peurs, il regarda vers l’eau sombre.

L’homme en noir était toujours là, naviguant comme un éclair vers les Falaises. Il ne devait pas être plus loin qu’à quatre cents mètres d’elles maintenant.

« Plus vite ! commanda le Sicilien.

- Je suis désolé, répondit humblement le Turc. Je pensais que j’allais plus vite.

- Flemmard, flemmard, aiguillonna le Sicilien.

- Je ne serai jamais meilleur, » répondit le Turc, mais ses bras commencèrent à bouger plus vite encore. « Je ne vois pas très bien parce que vos pieds sont accrochés autour de mon visage, continua-t-il, alors pourriez-vous me dire, s’il vous plait, si nous sommes à mi-chemin déjà ?

- Un peu plus loin, je pense, dit l’Espagnol de sa position autour de la taille du géant. Tu te débrouilles merveilleusement, Fezzik.

- Merci, dit le géant.

- Et il s’approche des Falaises », ajouta l’Espagnol.

Personne n’avait besoin de demander qui était il.

Six cents mètres maintenant. Les bras continuaient de tirer, encore et encore. Six cent vingt mètres. Six cent cinquante. Plus vite que jamais maintenant. Sept cents.

« Il a laissé son bateau derrière lui, dit l’Espagnol. Il a sauté sur notre corde. Il commence à monter après nous.

- Je le sens, dit Fezzik. Son corps pèse sur la corde.

- Il ne va jamais nous rattraper ! cria le Sicilien. Inconcevable !

- Tu n’arrêtes pas de dire ce mot ! éclata l’Espagnol. Je ne pense pas que cela signifie ce que tu penses que cela signifie.

- Est-ce qu’il est rapide dans son escalade ? dit Fezzik.

- Je suis effrayé, » fut la réponse de l’Espagnol.

Le Sicilien prit de nouveau son courage à deux mains et baissa les yeux.

L’homme en noir semblait pratiquement en train de voler. Il avait déjà gagné cent mètres de terrain sur eux. Peut-être plus.

« Je pensais que tu étais supposé être tellement fort ! cria le Sicilien. Je pensais que tu étais cette grande chose puissante et pourtant il nous rattrape.

- Je transporte trois personnes, expliqua Fezzik. Il n’a que lui et…

- Les excuses sont le refuge des lâches, » interrompit le Sicilien. Il baissa encore les yeux. L’homme en noir avait gagné une autre centaine de mètres. Il leva alors les yeux. Le sommet de la falaise commençait à apparaître. Peut-être cent cinquante mètres et ils étaient en sécurité.

Attachée au mains et aux pieds, malade de peur, Bouton d’Or n’était pas sûre de ce qu’elle voulait qu’il arrive. Exceptée qu’elle savait au moins cela : elle ne voulait pas revivre quelque chose comme ça à nouveau.

« Vole, Fezzik ! hurla le Sicilien. Il reste cent mètres. »

Fezzik vola. Il vida sa tête de tout sauf des cordes et des bras et des doigts, et ses bras tiraient et ses doigts s’agrippaient et la corde était tendue et…

« Il est à mi-chemin, dit l’Espagnol.

- À mi-chemin de sa ruine, c’est là qu’il est, dit le Sicilien. Nous sommes à cinquante mètres de la sécurité, et une fois que nous y serons et que j’aurais détaché la corde… » Il s’accorda un rire.

Quarante mètres.

Fezzik tirait.

Vingt.

Dix.

C’était fini. Fezzik l’avait fait. Ils avaient atteint le sommet des Falaises, et d’abord le Sicilien avait sauté et puis le Turc avait enlevé la Princesse, et comme l’Espagnol se détachait, il regarda par dessus les Falaises.

L’homme en noir n’étais pas à plus de trois cents mètres.

« C’est presque dommage, dit le Turc en regardant en bas avec l’Espagnol. Un tel grimpeur mérite mieux que… » Il s’arrêta alors de parler.

Le Sicilien avait défait la corde qui était autour d’un chêne. La corde semblait presque vivante, le plus grand de tous les serpents d’eau rentrant enfin à la maison. Elle fouetta l’air en courrant vers le sommet de la falaise, fit des spirales dans le détroit lunaire.

Le Sicilien rugissait maintenant, et il continua jusqu’à ce que l’Espagnol dise : « Il l’a fait.

- Fait quoi ? » Le bossu accoura près du bord de la falaise.

« Relaché la corde à temps, dit l’Espagnol. Tu vois ? » Il pointa le doigt.

L’homme en noir était suspendu dans le vide, s’accrochant à la face escarpée de la falaise, sept cents mètres au-dessus de l’eau.

Le Sicilien regardait, fasciné. « Vous savez, dit-il, vu que j’ai fait une étude sur la mort et l’agonie et que je suis un grand expert, cela devrait vous intéresser de savoir qu’il sera mort bien avant d’atteindre l’eau. C’est la chute qui le tuera, pas l’arrivée. »

L’homme en noir pendait impuissant dans le vide, s’accrochant aux Falaises des deux mains.

« Oh, comme nous sommes impolis, dit alors le Sicilien en se tournant vers Bouton d’Or, je suis sûr que vous aimeriez voir. » Il s’approcha d’elle et la fit approcher, toujours pieds et poings liés, pour qu’elle puisse voir la pathétique lutte finale de l’homme en noir trois cents mètres plus bas.

Bouton d’Or ferma les yeux et tourna la tête.

« Ne devrions-nous pas y aller ? demanda l’Espagnol. Je croyais que tu pensais que le temps était très important pour nous.

- Ça l’est, ça l’est, opina le Sicilien. Mais je ne peux simplement pas rater une mort comme ça. Je pourrais en mettre en scène une par semaine et vendre des tickets. Je pourrais arrêter le business du meurtre complètement. Regardez-le… vous pensez que sa vie est en train de passer devant ses yeux ? C’est ce que disent les livres.

- Il a des bras très puissants, commenta Fezzik. S’accrocher si longtemps.

- Il ne peut pas tenir plus longtemps, dit le Sicilien. Il va tomber bientôt. »

C’est à ce moment que l’homme en noir commença à grimper. Pas très vite, bien sûr. Et pas sans grand effort. Mais quand même, il n’y avait aucun doute qu’il allait, malgré l’escarpement des Falaises, dans une direction ascendante.

« Inconcevable ! » cria le Sicilien.

L’Espagnol se tourna violemment vers lui. « Arrête de dire ce mot. C’était inconcevable que quiconque puisse nous suivre, mais quand nous avons regardé en arrière, il y avait l’homme en noir. C’était inconcevable que quiconque puisse naviguer aussi vite que nous, et pourtant il nous rattrapait. Maintenant ça aussi c’est inconcevable, mais regarde… regarde… » Et l’Espagnol pointa son doigt dans la nuit. « Vois comme il monte. »

L’homme en noir, en effet, était en train de monter. D’une façon ou d’une autre, d’une façon pratiquement miraculeuse, ses doigts trouvaient des trous dans les crevasses, et maintenant il était peut-être plus près de quinze mètres du sommet, plus loin de la mort.

Le Sicilien avançait vers l’Espagnol maintenant, ses yeux sauvages lançant des éclairs contre l’insubordination. « J’ai l’esprit le plus intelligent qui ai jamais été utilisé à des fins illégales, commença-t-il, alors quand je te dis quelque chose, ce n’est pas une devinette ; c’est un fait ! Et le fait est que l’homme en noir ne nous suit pas. Une explication plus logique serait qu’il soit un marin ordinaire qui se distrait en grimpant des montagnes et qui se trouverait avoir la même destination que nous. Cela me satisfait complètement et j’espère que cela te satisfait. De toute façon, nous ne pouvons prendre le risque qu’il nous voit avec la Princesse, et donc l’un d’entre nous doit le tuer.

- Je dois le faire ? se demanda le Turc.

Le Sicilien secoua la tête. « Non, Fezzik, dit-il finalement. J’ai besoin de ta force pour porter la fille. Ramasse-la et dépêchons-nous. » Il se tourna vers l’Espagnol. « Nous allons nous diriger directement vers la frontière de Guilder. Rattrape-nous aussi vite que tu peux une fois qu’il est mort. »

L’Espagnol hocha la tête.

Le Sicilien s’éloigna en boitillant.

Le Turc souleva la Princesse et commença à suivre le bossu. Juste avant de perdre l’Espagnol de vue il se tourna et lança : « Rattrape-nous vite.

- C’est pas ce que je fais toujours ? dit l’Espagnol en agitant la main. Au revoir, Fezzik. »

- Au revoir, Inigo, » répliqua le Turc. Et puis il était parti et l’Espagnol était seul.

Inigo s’approcha du bord de la falaise et s’agenouilla avec son élégante rapidité habituelle. Deux cent cinquante mètres sous lui, l’homme en noir continuait sa douloureuse ascension. Inigo s’étendit et regarda en bas en essayant de percer la lumière de la lune et de découvrir le secret du grimpeur. Pendant un long moment, Inigo ne bougea pas. Il comprenait bien, mais il lui fallait du temps, il avait besoin d’étudier. Finalement, il réalisa que d’une façon ou d’une autre, par quelque mystère, l’homme en noir fermait les poings et les coinçait dans les rochers, et il les utilisait comme support. Puis il lançait l’autre main, jusqu’à ce qu’il trouve une autre fissure dans le rocher, et il fermait son poing et le coinçait dedans. Quand il pouvait trouver un support pour ses pieds, il l’utilisait, mais surtout c’étaient ses poings coincés qui rendaient la montée possible.

Inigo s’émerveillait. Quel véritablement extraordinaire aventurier cet homme en noir doit être ! Il était assez près maintenant pour qu’Inigo réalise que l’homme était masqué, une cagoule couvrant tout son visage. Un autre hors-la-loi ? Peut-être. Alors pourquoi devaient-ils se battre ? Inigo secoua la tête. C’était vraiment dommage qu’un tel type doive mourir, mais il avait des ordres, alors c’était comme ça. Quelques fois, il n’aimait pas les instructions du Sicilien, mais que pouvait-il faire ? Sans le cerveau du Sicilien, lui, Inigo, ne serait jamais capable de diriger des boulots de ce calibre. Le Sicilien était un maître stratège. Inigo était une créature du moment. Le Sicilien avait dit « tue-le », alors pourquoi gâcher de la sympathie avec l’homme en noir ? Un jour, quelqu’un tuerait Inigo, et le monde ne s’arrêterait pas pour le pleurer.

Il se leva alors, sautant rapidement sur ses pieds, son corps fin comme une lame était prêt. Pour l’action. Seulement, l’homme en noir était toujours à de nombreux mètres. Il n’y avait rien à faire que l’attendre. Inigo détestait attendre. Alors pour rendre l’attente plus plaisante, il tira de son fourreau son grand, son seul amour :

L’épée à six doigts.

Comme elle dansait dans la lumière de la lune ! Comme elle était glorieuse et réelle ! Inigo la porta à ses lèvres et avec toute la ferveur de son grand cœur espagnol baisa le métal…

INIGO

-*-


Dans les montagnes de l’Espagne centrale, perché haut dans les collines au-dessus de Tolède, il y avait le village d’Arabella. Il était très petit et le temps était toujours clair. C’était tout ce que vous pouviez dire de bien sur Arabella : un temps terrible – on pouvait voir à des kilomètres.

Mais il n’y avait pas de travail, les chiens envahissaient les rues et il n’y avait jamais assez à manger. Le temps, assez clair, était aussi trop chaud dans la journée, glacé la nuit. Quant à la vie d’Inigo, il avait toujours un rien faim, il n’avait ni frère ni sœur, et sa mère était morte dans son enfance.

Il était fantastiquement heureux.

Grâce à son père. Domingo Montoya était étrange à voir et grognon et impatient et distrait et il ne souriait jamais.

Inigo l’aimait. Totalement. Ne demandez pas pourquoi. On ne pouvait vraiment pas mettre le doigt sur une seule raison. Oh, Domingo l’aimait probablement en retour, mais l’amour c’est beaucoup de choses, mais rien de logique.

Domingo Montoya faisait des épées. Si vous vouliez une fabuleuse épée, est-ce que vous alliez chez Domingo Montoya ? Si vous vouliez un ouvrage très bien équilibré, est-ce que vous alliez dans les montagnes derrière Tolède ? Si vous vouliez un chef d’œuvre, une épée pour les âges à venir, est-ce que vos pas vous menaient à Arabella ?

Niet.

Vous alliez à Madrid, parce que Madrid était là où vivait le fameux Yeste, et si vous aviez l’argent et lui le temps, vous aviez votre arme. Yeste était gros et jovial et un des hommes les plus riches et les plus respectés de la ville. Et il le méritait. Il faisait de magnifiques épées, et les nobles se vantaient quand ils possédaient une Yeste originale.

Mais quelquefois – pas souvent, attention, peut-être une fois par an, peut-être deux – une demande arriverait pour une épée qui était plus que Yeste pouvait faire. Quand ça arrivait, est-ce que Yeste disait : « Hélas, je suis désolé, je ne peux pas le faire » ?

Niet.

Il disait : « Bien sûr, je serais enchanté, cinquante pour cent à la commande s’il vous plaît, le reste avant la livraison, revenez dans un an, merci beaucoup. »

Le jour suivant, il prenait le chemin des collines derrière Tolède.

« Alors, Domingo, » appelait Yeste quand il atteignait la cabane du père d’Inigo.

« Alors Yeste, » retournait Domingo Montoya de la porte de la cabane.

Puis les deux hommes s’embrassaient et Inigo arrivait en courant et Yeste lui ébouriffait les cheveux et puis Inigo faisait du thé pendant que les deux hommes parlaient.

« J’ai besoin de toi, » commençait toujours Yeste.

Domingo grognait.

« Cette semaine, j’ai accepté une commande pour une épée pour un membre de la noblesse italienne. Elle doit être incrustée de joyaux sur la poignée et les joyaux doivent épeler le nom de sa présente maîtresse et...

- Non. »

Ce simple mot et seulement ce mot. Mais cela suffisait. Quand Domingo Montoya disait « non » cela ne voulait rien dire d’autre.

Inigo, occupé par le thé, savait ce qui allait arriver alors : Yeste utilisait son charme.

« Non. »

Yeste utilisait sa santé.

« Non. »

Son intelligence, son merveilleux don de persuasion.

« Non. »

Il suppliait, implorait, promettait, jurait.

« Non. »

Insultes. Menaces.

« Non. »

Finalement, de vraies larmes.

« Non. Encore du thé, Yeste ?

- Peut-être une autre tasse, merci... » Puis, énorme : « Pourquoi ne veux-tu pas ? »

Inigo se dépêchait de remplir leurs tasses pour ne jamais rater un mot. Il savait qu’ils avaient été élevés ensemble, qu’ils se connaissaient depuis soixante ans, s’étaient toujours profondément aimés, et cela le faisait frissonner quand il pouvait les entendre se disputer. C’était la chose étrange : se disputer c’est tout ce qu’ils faisaient.

« Pourquoi ? Mon gros ami me demande pourquoi ? Il est assis là sur son cul de classe mondiale et il a le culot de me demander pourquoi ? Yeste. Viens me voir un jour avec un défi. Une fois, juste une, chevauche jusqu’ici et dis : « Domingo, j’ai besoin d’une épée pour un homme de quatre-vingts ans pour se battre en duel, » et je t’embrasserai et je crierai « Oui ! » Parce que faire une épée pour un homme de quatre-vingts ans pour survivre à un duel, ça serait quelque chose. Parce que l’épée devrait être assez solide pour gagner, et pourtant assez légère pour ne pas lasser son bras fatigué. Je devrais user de toutes mes qualités pour peut-être arriver à trouver un métal inconnu, solide mais très léger, ou créer une formule différente à partir d’une ancienne, mélanger un peu de bronze avec un peu de fer et un peu d’air d’une façon inconnue depuis mille ans. J’embrasserais tes pieds puants pour une opportunité comme celle-là, gros Yeste. Mais faire une stupide épée avec de stupides joyaux de la forme de stupides initiales pour qu’un stupide Italien puisse épater sa stupide maîtresse, non. Ça, je ne le ferai pas.

- Pour la dernière fois, je te le demande. S’il te plaît.

- Pour la dernière fois, je te le dis, je suis désolé. Non.

- J’ai donné ma parole que l’épée serait faite, dit Yeste. Je ne peux pas la faire. Dans le monde entier, personne ne peut sauf toi, et tu dis non. Ce qui veut dire que je suis revenu sur un engagement. Ce qui veut dire que j’ai perdu mon honneur. Ce qui veut dire vu que l’honneur est la seule chose au monde qui m’importe, et vu que je ne peux vivre sans, que je dois mourir. Et vu que tu es mon ami le plus cher, je devrais aussi bien mourir maintenant, avec toi, blotti dans la chaleur de ton affection. » Et là Yeste tirait un couteau. C’était une chose magnifique, un cadeau de Domingo pour le mariage de Yeste.

« Au revoir, petit Inigo, disait alors Yeste. Que Dieu t’accorde ton quota de sourires. »

Il était interdit à Inigo de l’interrompre à ce moment.

« Au revoir, petit Domingo, disait alors Yeste. Bien que je meure dans ta cabane, et bien que ce soit ton propre entêtement qui cause ma mort, en d’autres mots, bien que tu sois en train de me tuer, n’y pense pas. Je t’aime comme toujours et que Dieu interdise que ta conscience te pose des problèmes. » Il ouvra son manteau, approcha le couteau encore et encore plus près. « La douleur est pire que je l’imaginais ! cria Yeste.

- Comment cela peut-il te faire mal quand la pointe de l’arme est toujours à dix centimètre de ton ventre ? demanda Domingo.

- J’anticipe, ne me dérange pas, laisse-moi mourir en paix. » Il approcha la pointe de sa peau, poussa.

Domingo attrapa l’arme et l’éloigna. « Un jour, je ne t’arrêterai pas, dit-il. Inigo, mets un couvert de plus pour le souper.

- J’étais près à me tuer. Vraiment.

- Assez de drame.

- Qu’y a-t-il au menu ce soir ?

- Le gruau habituel.

- Inigo, va voir s’il n’y aurait par hasard quelque chose dans mon carrosse dehors. » Il y toujours avait un festin qui attendait dans le carrosse.

Et après le repas et les histoires, arrivait le départ, et toujours, avant le départ, arrivait la requête. « Nous serions partenaires, disait Yeste. À Madrid. Mon nom devant le tien sur le panneau, bien sûr, mais partenaires égaux en toute chose.

- Non.

- Soit. Ton nom devant le mien. Tu es le plus grand forgeron, tu mérites d’apparaître en premier.

- Bon retour.

- Pourquoi ne veux-tu pas ?

- Parce que, mon ami Yeste, tu es très célèbre et très riche, et tu dois l’être, parce que tu fais des armes magnifiques. Mais tu le fais aussi pour n’importe quel idiot qui passe. Je suis pauvre et personne ne me connaît dans ce monde excepté toi et Inigo, mais je n’ai pas besoin de subir les idiots.

- Tu es un artiste, dit Yeste.

- Non. Pas encore. Un artisan seulement. Mais je rêve d’être un artiste. Je prie qu’un jour, si je travaille avec assez de soin, si je suis très très chanceux, je ferai une épée qui sera une œuvre d’art. Appelle-moi un artiste alors, et je te répondrai. »

Yeste entra dans son carrosse. Domingo approcha de la fenêtre, murmura : « Je te rappellerai simplement ceci : quand tu auras cette épée aux initiales en joyaux, revendique-là comme tienne. Ne parle à personne de ma participation.

- Ton secret est en sécurité avec moi. »

Embrassades et signes de main. Le carrosse partait. Et c’était leur façon de vivre jusqu’à l’homme aux six doigts.

Inigo se rappelait exactement le moment où cela a commencé. Il était entrain de faire à manger – son père le laissait toujours, depuis qu’il avait six ans, faire à manger – quand quelqu’un tapa lourdement à la porte de la cabane. « Vous dedans, tonna une voix, dépêchez-vous de m’ouvrir. »

Le père d’Inigo ouvrit la porte. « Votre serviteur, dit-il.

- Vous êtes un forgeron, commença la voix tonnante. De distinction. J’ai entendu dire que c’était vrai.

- Si seulement je l’étais, répliqua Domingo. Mais je n’ai pas de grandes qualités. Je fais surtout du travail de réparation. Peut-être si vous aviez une lame de dague qui se ternissait, je pourrais vous plaire. Mais quoi que ce soit de plus est trop pour moi. »

Inigo s’approcha derrière son père et jeta un coup d’œil dehors. La voix tonnante appartenait à un puissant homme, avec les cheveux noirs et de larges épaules, qui était assis sur un élégant cheval marron. Clairement un noble, mais Inigo ne pouvait pas dire de quel pays.

« Je désire que me soit faite la plus grande épée depuis Excalibur.

- J’espère que votre désir se réalisera, dit Domingo. Et maintenant, si vous le voulez bien, notre déjeuner est presque prêt et…

- Je ne vous donne pas la permission de bouger. Vous restez exactement où vous êtes ou vous risquez ma colère, qui, je dois vous le dire d’avance, est considérable. Mon tempérament est meurtrier. Maintenant, que disiez-vous à propos de votre déjeuner ?

- Je disais qu’il ne serait pas prêt avant des heures ; je n’ai rien à faire et je rêverais de changer d’avis.

- Il y a des rumeurs, dit le noble, selon lesquelles loin dans les collines derrière Tolède vit un génie. Le plus grand forgeron du monde.

- Il vient ici quelques fois – c’est ce qui a dû vous tromper. Mais son nom est Yeste et il vit à Madrid.

- Je paierai cinq cents pièces d’or pour mes désirs, dit le noble aux larges épaules.

- C’est plus d’argent que tous les hommes de tout ce village gagneront dans leur vie, dit Domingo. Vraiment, j’adorerais accepter votre offre. Mais je ne suis pas l’homme que vous cherchez.

- Ces rumeurs me font croire que Domingo Montoya résoudra mon problème.

- Quel est votre problème ?

- Je suis un grand escrimeur. Mais je ne peux trouver une arme qui s’harmonise avec mes particularités, et donc je ne peux pas atteindre mes plus hautes compétences. Si j’avais une arme qui s’harmonisait avec mes particularités, il n’y aurait personne dans le monde pour m’égaler.

- Quelles sont ces particularités dont vous parlez ? »

Le noble leva sa main droite.

Domingo commença à être excité.

L’homme avait six doigts.

« Vous voyez ? commença le noble.

« Bien sûr, interrompit Domingo, l’équilibre de l’épée est faussé pour vous parce que chaque équilibre a été conçu pour cinq. La prise de chaque poignée vous donne des crampes, parce qu’elle a été faite pour cinq. Pour un escrimeur ordinaire, cela ne ferait rien, mais un grand escrimeur, un maître, doit se sentir mal à l’aise. Et le plus grand escrimeur du monde doit toujours se sentir à l’aise. La prise de l’arme doit être aussi naturelle que le clignement de l’œil, et ne doit lui imposer aucune pensée.

- Clairement, vous comprenez mes difficultés… » commença de nouveau le noble.

Mais Domingo avait voyagé jusqu’à l’endroit où les mots des autres ne pouvaient l’atteindre. Inigo n’avait jamais vu son père si frénétique. « Les mesures… bien sûr… chaque doigt et la circonférence du poignet, et la distance entre le sixième ongle et la pulpe de l’index… tant de mesures… et vos préférences… Préférez-vous croiser ou trancher? Si vous croisez, préférez-vous le mouvement de droite à gauche ou peut-être le parallèle ?… Quand vous tranchez, appréciez-vous une botte ascendante, et combien de puissance désirez-vous mettre dans l’épaule, combien dans le poignet ?… et désirez-vous votre pointe plaquée pour entrer plus facilement ou appréciez-vous voir votre adversaire grimacer ?…Tant à faire, tant à faire… » et sans arrêt il continuait jusqu’à ce que le noble mette pied à terre et doive pratiquement le prendre par les épaules pour le calmer.

« Vous êtes l’homme de la rumeur. »

Domingo hocha la tête.

« Et vous allez me faire la plus grande épée depuis Excalibur.

- Je frapperais mon corps jusqu’à le mettre en pièce pour vous. Peut-être vais-je échouer. Mais personne ne va autant essayer.

- Et le règlement ?

- Quand vous aurez l’épée vous me règlerez. Maintenant laissez-moi prendre vos mesures. Inigo. Mes instruments. »

Inigo se précipita vers le coin le plus noir de la cabane.

« J’insiste pour laisser quelque chose en acompte.

- Ce n’est pas nécessaire ; je pourrais échouer.

- J’insiste.

- Très bien. Une pièce d’or. Laissez ça. Mais ne m’ennuyez pas avec l’argent quand il y a du travail qui doit être commencé. »

Le noble sorti une pièce d’or.

Domingo la mit dans un tiroir et la laissa, sans même un regard. « Sentez vos doigts maintenant, commanda-t-il. Frottez fort vos mains, secouez vos doigts – vous serez excité quand vous vous battrez en duel et cette poignée doit s’harmoniser avec votre main dans cette excitation ; si je vous mesurais quand vous êtes détendu, il y aurait une différence, un millième de centimètre et cela nous volerait la perfection. Et c’est ce que je recherche. Perfection. Je ne me reposerai pas pour moins. »

Le noble eut un sourire. « Et combien de temps cela prendra-t-il pour l’atteindre ?

- Revenez dans un an, » dit Domingo, et cela dit il se mit au travail.

Quelle année.

Domingo ne dormait que quand il tombait d’épuisement. Il ne mangeait que quand Inigo l’y forçait. Il étudiait, s’impatientait, se plaignait. Il n’aurait jamais dû prendre le boulot ; c’était impossible. Le jour suivant, il volait : il n’aurait jamais dû prendre le boulot ; c’était trop simple pour mériter son labeur. De la joie au désespoir, de la joie au désespoir, de jour en jour, d’heure en heure. Quelques fois Inigo se réveillait pour le trouver un pleur : « Qu’est-ce qu’il y a, Père ? – Il y a que je ne peux pas le faire. Je ne peux pas faire l’épée. Je ne peux pas faire obéir mes mains. Je pourrais me tuer, mais que ferais-tu alors ? – Va dormir, Père. – Non, je n’ai pas besoin de dormir. Les échecs ne nécessitent pas de sommeil. De toute façon, j’ai dormi hier. – S’il te plaît, Père, un petit somme. – Soit ; quelques minutes ; pour t’empêcher de me harceler. »

Certaines nuits Inigo se réveillait pour le voir danser. « Qu’est-ce qu’il y a, Père ? – Il y a que j’ai trouvé les erreurs, j’ai corrigé mes mauvaises évaluations. – Alors ça sera fait bientôt, Père ? – Ça sera fait demain et ça sera un miracle. – Tu es merveilleux, Père. – Je suis plus merveilleux que merveilleux, comment oses-tu m’insulter. »

Mais la nuit suivante, encore des larmes ; « Qu’est-ce qu’il y a ; Père ? – L’épée, l’épée, je ne peux pas faire l’épée. – Mais la nuit dernière, Père, tu disais que tu avais trouvé les erreurs ? – J’étais dans l’erreur ; ce soir, j’en ai trouvé de nouvelles, des pires. Je suis la plus misérable des créatures. Dis que cela ne te ferait rien si je me tuais pour que je puisse en finir avec cette existence. – Mais cela me ferait, Père. Je t’aime et je mourrais si tu t’arrêtais de respirer. –  Tu ne m’aimes pas vraiment ; tu ne le dit que par pitié. – Qui pourrait avoir pitié du plus grand forgeur d’épée de l’histoire du monde ? – Merci, Inigo. – De rien, Père. – Je t’aime aussi, Inigo. – Dors, Père. – Oui, dors. »

Toute une année de ça. Une année de la poignée est bien, mais l’équilibre est faux, de l’équilibre est bien, mais le bord tranchant trop émoussé, du bord tranchant aiguisé, mais ça a détruit l’équilibre à nouveau, de l’équilibre de retour, mais maintenant la pointe est épaisse ; de la pointe qui est redevenue tranchante, seulement maintenant, la lame est trop courte et tout devait disparaître, tout devait être jeté, tout devait être recommencé. Encore. Encore. La santé de Domingo commença à le quitter. Il avait toujours de la fièvre maintenant, mais il forçait sa frêle carcasse, parce qu’elle devait être la plus fine depuis Excalibur. Domingo se battait avec une légende, et cela le détruisait.

Quelle année.

Une nuit Inigo se réveilla pour trouver son père assis. Le regard fixe. Calme. Inigo suivit son regard.

L’épée à six doigts était faite.

Même dans l’obscurité de la cabane, elle miroitait.

« Enfin, » murmura Domingo. Il ne pouvait pas enlever ses yeux de la gloire de l’épée. « Après toute une vie. Inigo. Inigo. Je suis un artiste. »

Le noble aux larges épaules n’était pas de cet avis. Quand il revint pour acheter l’épée, il la regarda à peine un moment. « Pas la peine d’attendre tant, » dit-il.

Inigo se tenait dans le coin de la cabane en regardant, retenant sa respiration.

« Vous êtes déçu ? » Domingo pouvait à peine prononcer les mots.

« Je ne dis pas que c’est de la camelote, vous comprenez, continua le noble. Mais cela ne vaut certainement pas cinq cents pièces d’or. Je vous en donnerai dix ; c’est probablement ce que ça vaut.

- Faux ! cria Domingo. Cela n’en vaut pas dix. Cela n’en vaut même pas une. Tenez. » Et il ouvrit le tiroir où la pièce d’or était restée pendant l’année sans qu’on la touche. « L’or est à vous. Tout. Vous n’avez rien perdu. » Il reprit l’épée et se retourna.

« Je vais prendre l’épée, dit le noble. Je n’ai pas dit que je ne la prendrais pas. J’ai seulement dit que je la paierai ce qu’elle vaut. »

Domingo fit volte-face, les yeux brillants. « Vous avez chipoté. Vous avez marchandé. De l’art était impliqué et vous ne voyiez que l’argent. La beauté était à portée de main et vous ne voyiez que votre grosse bourse. Vous n’avez rien perdu ; il n’y a plus de raison pour que vous restiez ici. S’il vous plait partez.

- L’épée, dit le noble.

- L’épée appartient à mon fils, dit Domingo. Je la lui donne maintenant. C’est la sienne à jamais. Au revoir.

- Vous êtes un paysan et un fou et je veux mon épée.

- Vous êtes un ennemi de l’art et j’ai pitié de votre ignorance, » dit Domingo.

C’étaient les derniers mots qu’il prononcerait jamais.

Le noble le tua, sans prévenir ; un éclair de l’épée du noble et le cœur de Domingo était découpé en morceaux.

Inigo hurla. Il ne pouvait pas le croire ; cela n’était pas arrivé. Il hurla encore. Son père allait bien ; ils allaient bientôt prendre le thé. Il ne pouvait pas s’arrêter de hurler.

Le village entendit. Vingt hommes étaient à la porte Le noble les poussa pour passer. « Cet homme m’a attaqué. Vous voyez ? Il tient une épée. Il m’a attaqué et je me suis défendu. Maintenant, éloignez-vous de mon chemin. »

C’étaient des mensonges, bien sûr, et tout le monde le savait. Mais c’était un noble alors que pouvait-on faire ? Ils s’écartèrent, et le noble monta sur son cheval.

« Lâche ! »

Le noble fit volte-face.

« Porc ! »

De nouveau, la foule s’écarta.

Inigo se tenait là, tenant l’épée à six doigts ; répétant les mots : « Lâche. Porc. Assassin.

- Que quelqu’un surveille le bébé avant qu’il ne dépasse la mesure, » dit le noble à la foule.

Inigo s’avança en courrant, se tint devant le cheval du noble, bloquant le chemin du noble. Il leva des deux mains l’épée à six doigt et cria, « Moi, Inigo Montoya, te défie, toi, lâche, porc, assassin, âne, fou, en duel.

- Enlevez-le de mon chemin. Bougez le nourrisson.

- Le nourrisson a dix ans et il reste, dit Inigo.

- Assez de personnes de ta famille sont morte en un jour ; soit content, dit le noble.

- Quand tu me supplieras de te laisser la vie, alors je serais contenté. Maintenant descends ! »

Le noble descendit.

« Tire ton épée. »

Le noble dégaina sa mortelle arme.

« Je dédie ta mort à mon père, dit Inigo. Commençons. »

Il commencèrent.

Ce n’était pas égal, bien sûr. Inigo fut désarmé en moins d’une minute. Mais pendant les quinze premières secondes, le noble était mal à l’aise. Pendant ces quinze secondes, d’étranges pensées traversèrent son esprit. Même à l’âge de dix ans, le génie d’Inigo était là.

Désarmé, Inigo se tint très droit. Il ne dit pas un mot, ne supplia pas.

« Je ne vais pas te tuer, dit le noble. Parce que tu as du talent et tu es brave. Mais tu manques aussi de manières, et cela va te poser des problèmes si tu ne fais pas attention. Alors je t’aiderai à avancer dans la vie en te laissant de quoi te souvenir que les mauvaises manières doivent être évitées. » Et cela dit la lame étincela.

Et le visage d’Inigo commença à saigner. Deux rivières de sang coulaient de son front à son menton, chacune traversant une joue. Tous ceux qui regardaient le savait : le garçon était effrayé pour la vie.

Inigo ne tomba pas. Le monde devint blanc devant ses yeux, mais il ne tomba pas sur le sol. Le sang continua à couler. Le noble replaça son épée, remonta à cheval et partit.

C’est seulement à ce moment qu’Inigo laissa l’obscurité le réclamer.

Il se réveilla en face du visage de Yeste.

« J’ai été vaincu, murmura Inigo. Je l’ai trahi. »

Yeste put seulement dire : « Dors. »

Inigo dormit. Le saignement s’arrêta après un jour et la douleur s’arrêta après une semaine. Ils enterrèrent Domingo, et pour la première et la dernière fois, Inigo quitta Arabella. Son visage bandé, il voyagea dans le carrosse de Yeste jusqu’à Madrid, où il vécut dans la maison de Yeste, obéit aux ordres de Yeste. Après un mois, les bandages furent enlevés, mais les cicatrices étaient toujours d’un rouge profond. Finalement, elles s’adoucirent un peu ; mais elles restèrent le principal trait sur le visage d’Inigo : les géantes cicatrices parallèles courant chacune d’un côté, de la tempe au menton. Pendant deux ans, Yeste prit soin de lui.

Puis un matin, Inigo était parti. À sa place, il y avait trois mots : « Je dois apprendre » sur une note épinglée à l’oreiller.

Apprendre ? Apprendre quoi ? Qu’existait-il au-delà de Madrid que l’enfant devait engranger dans sa mémoire ? Yeste leva les épaules et soupira. C’était bien loin de lui. Il n’y avait plus d’enfants compréhensifs. Tout était en train de changer trop vite et les jeunes étaient différents. Loin de lui, loin de lui, la vie était loin de lui, le monde était loin de lui, ce que vous voulez était loin de lui. Il était un gros homme qui faisait des épées. Ça, il le savait.

Alors il fit des épées et il devint plus gros et les années passèrent. Comme sa figure s’élargissait, sa célébrité aussi. De partout autour du monde, ils venaient, suppliant pour avoir des armes, alors il doubla ses prix parce qu’il ne voulait plus travailler trop dur, il devenait vieux, mais quand il doubla ses prix, quand la nouvelle se répandit du duc au prince au roi, ils le voulurent encore plus désespérément. Maintenant l’attente était de deux ans pour une épée et la liste d’attente de la royauté n’en finissait plus et Yeste devenait fatigué, alors il doubla ses prix à nouveau, et comme cela ne les arrêta pas, il décida de tripler ses prix déjà doublés et redoublés et en plus de cela, toute œuvre devait être payée en joyaux à l’avance et l’attente était montée à trois ans, mais rien ne les arrêtait. Ils devaient avoir une épée de Yeste, ou rien, et bien que le travail le plus fin n’était plus ce qu’il avait été (Domingo, après tout, n’était plus là pour le sauver) les stupides hommes riches ne s’en aperçurent pas. Tout ce qu’ils voulaient c’était ses armes et ils se bousculaient pour lui donner des joyaux.

Yeste devint très riche.

Et très lourd.

Chaque partie de son corps s’affaissait. Il avait le seul pouce gras de Madrid. S’habiller prenait une heure, petit-déjeuner pareil, tout allait doucement.

Mais il pouvait toujours faire des épées. Et les gens les sollicitaient toujours. « Je suis désolé, » dit-il au jeune Espagnol qui était entré dans sa boutique un certain matin. « L’attente est de quatre ans et même moi, ça m’embarrasse de mentionner le prix. Faites faire votre arme par un autre.

- J’ai mon arme, » dit l’Espagnol.

Et il jeta l’épée à six doigts sur l’établi de Yeste.

Quelles embrassades.

« Ne pars plus jamais, dit Yeste. Je mange trop quand je me sens seul.

- Je ne peux pas rester, lui dit Inigo. Je suis ici seulement pour te poser une question. Comme tu le sais, j’ai passé les dix dernières années à apprendre. Maintenant je suis venu te voir pour que tu me dises si je suis prêt.

- Prêt ? Pour quoi ? Qu’est-ce que tu as appris ?

- L’épée.

- Folie, dit Yeste. Tu as passé dix années entières seulement à apprendre l’escrime ?

- Non, pas seulement à apprendre l’escrime, répondit Inigo. J’ai fait beaucoup d’autres choses aussi.

- Dis-moi.

- Alors, commença Inigo, qu’est-ce que dix ans ? À peu près trois mille six cent jours. Et c’est à peu près – j’ai calculé ça un jour, alors je m’en souviens plutôt bien – à peu près quatre vingt six mille heures. Eh bien, j’ai toujours mis un point d’honneur à dormir quatre heures par nuit. C’est quatorze mille heures d’un coup, ça me laissait peut-être soixante-douze mille heures à remplir.

- Tu as dormi. Je te suis. Quoi d’autre ?

- Eh bien, j’ai serré des pierres.

- Je suis désolé, mon ouïe me trompe parfois ; j’ai cru que tu avais dit que tu serrais des pierres.

- Pour rendre mes poignets forts. Pour pouvoir contrôler l’épée. Des pierres comme des pommes. Cette taille. Je les serrais dans chaque main pendant peut-être deux heures par jour. Et je passais deux autres heures par jour à sautiller et esquiver et bouger rapidement, pour que mes pieds soient capables de me mettre en position de donner correctement le coup d’épée. Ça fait quatorze mille autres heures. Il m’en reste cinquante-huit mille maintenant. Eh bien, j’ai toujours couru deux heures par jour aussi vite que je pouvais, pour que mes jambes, tout en étant rapides, soient aussi fortes. Et cela m’amène à à peu près cinquante mille heures. »

Yeste examina le jeune homme devant lui. Fin comme une lame, 1,83 m, droit comme un jeune arbre, les yeux brillants, tendu ; même sans bouger il semblait rapide comme un lévrier. « Et ces cinquante mille dernières heures ? Elles ont été passées à étudier l’épée ? »

Inigo hocha la tête.

« Où ?

- Partout où je pouvais trouver un maître. Venise, Bruges, Budapest.

- Je pouvais t’enseigner ici.

- Vrai. Mais tu faisais attention à moi. Tu n’aurais pas été rude. Tu aurais dit : « Excellente parade, Inigo, maintenant ça suffit pour un jour ; allons souper. »

- Ça me ressemble en effet, admit Yeste. Mais pourquoi était-ce si important ? Pourquoi cela valait-il tant de ta vie ?

- Parce que je ne pouvais pas le trahir à nouveau.

- Trahir qui ?

- Mon père. J’ai passé toutes ces années à me préparer à trouver l’homme aux six doigts et à le tuer en duel. Mais c’est un maître, Yeste. Il l’a dit et j’ai vu l’a façon dont son épée a volé vers Domingo. Je ne dois pas perdre ce duel quand je le trouverai, alors je suis venu vers toi maintenant. Tu connais les épées et les escrimeurs. Tu ne dois pas mentir. Suis-je prêt ? Si tu dis que je le suis, je chercherai à travers le monde. Si tu dis non, je passerai dix autres années et dix autres après, si j’en ai besoin. »

Alors ils allèrent dans la cour de Yeste. C’était en fin de matinée. Chaud. Yeste posa son corps dans une chaise et la chaise dans l’ombre. Inigo attendit debout dans le soleil. « Nous n’avons pas besoin de tester le désir et nous savons que tu as suffisamment de motivation pour donner le coup fatal, dit Yeste. Donc nous n’avons besoin que de sonder ton savoir et ta vitesse et ton endurance. Nous n’avons pas besoin d’un ennemi pour ça. L’ennemi est toujours dans l’esprit. Visualise-le. »

Inigo tira son épée.

« L’homme aux six doigts te nargue, appela Yeste. Fais ce que tu peux. »

Inigo commença à sautiller autour de la cour, la grande épée étincelant.

« Il utilise la défense Agrippa, » cria Yeste.

Immédiatement, Inigo changea de position, accéléra la vitesse de l’épée.

« Maintenant il te surprend avec l’attaque Bonetti. »

Mais Inigo ne fut pas surpris longtemps. À nouveau ses pieds changèrent de position ; il bougea son corps d’une façon différente. La transpiration coulait sur sa fine chemise maintenant et la grande lame était aveuglante. Yeste continua de crier. Inigo continua de changer de position. La lame ne s’arrêtait jamais.

À trois heures de l’après-midi, Yeste dit : « Ça suffit. Je suis épuisé de t’avoir regardé. »

Inigo rengaina l’épée à six doigts et attendit.

« Tu désires savoir si je sens que tu es prêt à te battre en duel à mort avec un homme assez impitoyable pour tuer ton père, assez riche pour acheter une protection, plus vieux et plus expérimenté, un maître reconnu. »

Inigo hocha la tête.

« Je vais te dire la vérité, et c’est à toi de vivre avec. Premièrement, il n’y a jamais eu un maître aussi jeune que toi. Trente ans au moins pour que ce rang soit atteint, et tu as à peine vingt-deux ans. Eh bien, la vérité c’est que tu es un garçon fougueux dirigé par la folie et que tu n’es pas maintenant et tu ne seras jamais un maître.

- Merci de ton honnêteté, dit Inigo. Je dois dire que j’espérais de meilleures nouvelles. J’ai beaucpup de mal à parler en ce moment, alors si tu m’excuses, s’il te plaît, je serai sur…

- Je n’ai pas fini, dit Yeste.

- Qu’y a-t-il de plus à dire ?

- J’ai aimé ton père très chèrement, ça tu le sais, mais ceci tu ne le sais pas : quand nous étions jeunes, pas encore vingt ans, nous avons vu, avec nos propres yeux, une représentation par le Magicien corse, Bastia.

- Je ne sais rien des magiciens.

- C’est le rang au-dessus de maître dans l’escrime, dit Yeste. Bastia fut le dernier homme ainsi désigné. Bien avant ta naissance, il est mort en mer. Il n’y a eu aucun magicien depuis, et tu ne l’aurais absolument jamais battu. Mais je vais te dire ceci : il ne t’aurait absolument jamais battu. »

Inigo resta silencieux un long moment. « Je suis prêt alors.

- Je n’aimerais pas être l’homme aux six doigts, » fut tout ce que répondit Yeste.

Le matin suivant, Inigo commença la traque. Il avait tout soigneusement préparé dans sa tête. Il allait trouver l’homme aux six doigts. Il irait vers lui. Il dirait simplement : « Bonjour, mon nom est Inigo Montoya, vous avez tué mon père, préparez-vous à mourir, » et puis, oh oui, le duel.

C’était un plan charmant vraiment. Simple, direct. Sans fioriture. Au début, Inigo avait toutes sortes de notions de vengeance sauvage, mais progressivement, la simplicité avait semblé être la meilleure manière. À l’origine, il avait toutes sortes de saynètes élaborées dans sa tête – l’ennemi pleurerait et supplierait, l’ennemi ramperait et crierait, l’ennemi le soudoierait et baverait et agirait toujours lâchement. Mais finalement, elles aussi laissèrent la place dans sa tête à la simplicité : l’ennemi dirait simplement : « Oh, oui, je me souviens de l’avoir tué ; je serais trop heureux de te tuer aussi. »

Inigo n’avait qu’un problème : il ne pouvait pas trouver l’ennemi.

Il ne lui était jamais venu à l’esprit qu’il y aurait la moindre difficulté. Après tout, combien de noble y avait-il avec six doigts à la main droite ? Sûrement, cela serait connu dans tout le pays. Quelques questions : « Pardon, je ne suis pas fou, mais auriez-vous vu un noble avec six doigts dernièrement ? » et sûrement tôt ou tard, il y aurait une réponse « oui ».

Mais ce n’est pas venu tôt.

Et plus tard ce n’était pas le genre de choses pour lesquelles vous vouliez retenir votre respiration non plus.

Le premier mois n’était pas si décourageant. Inigo traversa l’Espagne et le Portugal. Le deuxième mois, il alla en France et passa le reste de l’année là-bas. L’année suivante fut son année italienne, et puis arriva l’Allemagne et toute la Suisse.

Ce n’est qu’après cinq solides années d’échec qu’il commença à s’inquiéter. À ce moment, il avait vu tous les Balkans et une grande partie de la Scandinavie et il avait visité les Florins et les natifs de Guilder et dans la mère Russie et pas après pas autour de l’entière Méditerranée.

À ce moment-là, il savait ce qui était arrivé : dix ans à apprendre étaient dix ans de trop ; trop de choses avaient eues le temps d’arriver. L’homme aux six doigts était probablement en train de faire une croisade en Asie. Ou en train de devenir riche en Amérique. Ou ermite dans les indes orientales. Ou… ou…

Mort ?

Inigo, à l’âge de vingt-sept ans, commença à prendre quelques verres de vin de plus le soir, pour l’aider à dormir. À vingt-huit ans, il prenait quelques verres de plus pour l’aider à digérer son déjeuner. À vingt-neuf ans, le vin était indispensable pour le réveiller le matin. Son monde s’effondrait autour de lui. Non seulement vivait-il un échec quotidien, quelque chose de quasiment aussi effroyable commençait à lui arriver :

Se battre commençait à l’ennuyer.

Il était simplement trop bon. Il gagnait de quoi vivre pendant ses voyages en trouvant le champion local quand il y en avait un, et ils se battaient en duel, et Inigo le désarmait et acceptait quoi qu’ils aient parié. Et, avec ses gains, il payait sa nourriture et son toit et son vin.

Mais les champions locaux n’étaient rien. Même dans les grandes cités, les experts locaux n’étaient rien. Même dans les capitales, les maîtres locaux n’étaient rien. Il n’y avait aucune compétition, rien pour l’aider à garder le cap. Sa vie commença à lui sembler vaine, sa quête vaine, tout, tout, sans raison.

Il était une carcasse. La plus grande machine d’escrime depuis le Magicien corse pratiquait à peine l’épée.

Il était dans cette situation quand le Sicilien le trouva.

D’abord le petit bossu lui fournit seulement du vin plus fort. Mais ensuite, avec une combinaison de prières et de coups de pouce, le Sicilien commença à lui faire quitter la bouteille. Parce que le Sicilien avait un rêve : avec son astuce plus la force du Turc plus l’épée de l’Espagnol, ils pourraient devenir l’organisation criminelle la plus efficace du monde civilisé.

Ce qui est précisément ce qu’ils devinrent.

Dans les endroits sombres, leurs noms frappaient plus fort que la peur ; tout le monde avait des besoins difficile à contenter. La Bande du Sicilien (on était une bande dès trois personnes, même alors) devint de plus en plus célèbre et de plus en plus riche. Rien n’était au-dessus d’eux ni en dessous d’eux. La lame d’Inigo étincelait de nouveau, plus que jamais comme l’éclair. La force du Turc devenait plus prodigieuse avec les mois.

Mais le bossu était le chef. Il n’y avait aucun doute. Sans lui, Inigo savait où il serait : sur le dos mendiant du vin dans une allée. La parole du Sicilien n’était pas seulement parole de loi, c’était parole d’évangile.

Alors quand il disait : « Tue l’homme en noir, » toutes les autres possibilités arrêtaient d’exister. L’homme en noir devait mourir…

* * *

Inigo faisait les cent pas au bord de la falaise en claquant les doigts. Cinquante mètres sous lui maintenant, l’homme en noir grimpait toujours. L’impatience d’Inigo commençait à bouillir hors de contrôle. Il baissa les yeux vers la lente ascension. Trouver une crevasse, coincer la main, trouver une autre crevasse, coincer une autre main ; quarante-huit mètres à faire. Inigo frappa la poignée de son épée, et il commença à claquer des doigts plus rapidement. Il examina le grimpeur cagoulé, en espérant à moitié qu’il ait six doigts, mais non ; celui-ci avait l’assortiment de doigts adéquat.

Quarante-sept mètres à faire maintenant.

Maintenant quarante-six.

« Salut là-bas, » lança Inigo quand il ne put plus attendre.

L’homme en noir leva les yeux et grogna.

« J’étais en train de vous regarder. »

L’homme en noir hocha la tête.

« Ça avance doucement, dit Inigo.

- Regardez, je ne veux pas être impoli, dit finalement l’homme en noir, mais je suis plutôt occupé là tout de suite, alors essayez de ne pas me distraire.

- Je suis désolé, » dit Inigo.

L’homme en noir grogna de nouveau.

« Je suppose que vous ne pouvez pas accélérer les choses, dit Inigo.

- Si vous voulez tellement accélérer les choses, dit l’homme en noir, clairement en colère maintenant, vous pourriez descendre une corde ou une branche d’arbre ou trouver autre chose d’utile à faire.

- Je pourrais faire ça, accorda Inigo. Mais je ne pense pas que vous accepteriez mon aide vu que je ne vous attends que pour vous tuer.

- Cela met certainement un bémol dans nos relations, dit l’homme en noir alors. Je crains que vous ne deviez attendre. »

Encore quarante-trois mètres.

Quarante et un.

« Je pourrais vous donner ma parole d’Espagnol, dit Inigo.

- Ça n’irait pas, répliqua l’homme en noir. J’ai connu trop d’Espagnols

- Je deviens fou ici, dit Inigo.

- Si vous voulez échanger nos places, je serais heureux d’accepter. »

Trente-neuf mètres.

Et repos.

L’homme en noir pendait dans le vide, les pieds se balançant, le poids entier de son corps supporté par la force de ses mains coincées dans la crevasse.

« Allez, venez, implora Inigo.

- C’est une bonne escalade, expliqua l’homme en noir, et je suis fatigué. J’irai mieux dans un quart d’heure. »

Encore un quart d’heure ! Inconcevable. « Écoutez, il reste ici un morceau de corde dont nous n’avions pas besoin quand nous avons fait notre escalade à l’origine, je vais la descendre vers vous et vous l’attraperez et je tirerai et…

- Ça n’irait pas, répéta l’homme en noir. Vous tirerez peut-être, mais encore une fois, vous lâcherez peut-être également, ce qui, étant donné que vous êtes pressé de me tuer, serait certainement rapide pour faire le travail.

- Mais vous n’auriez jamais su que j’allais vous tuer si je n’avais pas été celui qui vous l’avait dit. Cela ne vous laisse pas penser qu’on peut me faire confiance ?

- Franchement, et j’espère que vous ne serez pas insulté, non.

- Il n’y a aucune façon pour que vous me fassiez confiance ?

- Rien ne me vient à l’esprit. »

Soudainement Inigo leva sa main droite… « Je jure sur l’âme de Domingo Montoya que vous atteindrez le sommet en vie ! »

L’homme en noir resta silencieux pendant un long moment. Puis il leva les yeux. « Je ne connais pas ce Domingo Montoya dont vous parlez, mais quelque chose dans votre ton me dit de vous croire. Lancez-moi la corde. »

Inigo la noua rapidement autour d’un rocher et la lança. L’homme en noir l’attrapa, suspendu seul dans le vide. Inigo tira. En un instant, l’homme en noir fut à côté de lui.

« Merci, » dit l’homme en noir et il s’écroula sur le rocher.

Inigo s’assit près de lui. « Nous attendrons que vous soyez prêt, » dit-il.

L’homme en noir respira profondément. « Encore merci.

- Pourquoi nous avez-vous suivi ?

- Vous transportez des bagages de grande valeur.

- Nous n’avons aucune intention de vendre, dit Inigo.

- C’est votre affaire.

- Et vous ? »

L’homme en noir ne répondit pas.

Inigo se leva et s’éloigna, surveillant le terrain où ils allaient se battre. C’était un plateau splendide, vraiment, remplit d’arbres pour esquiver et de racines pour trébucher et de petites pierres pour perdre l’équilibre et de rochers pour sauter si on pouvait les escalader assez rapidement et baignant, l’ensemble de l’endroit, la lumière de la lune. On ne pouvait pas demander un sol plus convenable pour un duel, décida Inigo. Il avait tout ce qu’il fallait, avec les merveilleuses Falaises d’un côté, après lesquelles il y avait la merveilleuse chute de mille mètres, quelque chose à toujours garder à l’esprit quand on élaborait une tactique. C’était parfait. L’endroit était parfait.

À condition que l’homme en noir puisse se battre.

Vraiment se battre.

Inigo fit alors ce qu’il faisait toujours avant un duel : il prit la grande épée de son fourreau et toucha son visage du bord de l’épée deux fois, une fois le long d’une cicatrice, une fois le long de l’autre.

Puis il examina l’homme en noir. Un bon marin, oui ; un puissant grimpeur, sans question ; courageux, sans aucun doute.

Mais pouvait-il se battre ?

Vraiment se battre ?

S’il vous plaît, pensa Inigo. Cela fait si longtemps que j’ai été testé, laissez cet homme me tester. Laissez-le être un glorieux escrimeur. Laissez-le être à la fois vif et rapide. Donnez-lui un esprit sans égal pour la tactique, des antécédents comme les miens. S’il vous plaît, s’il vous plaît, cela fait si longtemps : laissez… le… être… un… maître !

« J’ai retrouvé ma respiration maintenant, dit l’homme en noir du rocher. Merci pour m’avoir laissé me reposer.

- Nous ferions mieux de nous y mettre alors, répliqua Inigo.

L’homme en noir se leva.

« Vous semblez être un type honorable, dit Inigo. Je déteste vous tuer.

- Vous semblez être un type honorable, répondit l’homme en noir. Je déteste mourir.

- Mais l’un d’entre nous le doit, dit Inigo. En garde. » Et en disant cela il prit l’épée à six doigts. Et la mit dans sa main gauche.

Il avait commencé tous ses duels en gaucher dernièrement. C’était un bon exercice pour lui, et bien qu’il ait été le seul magicien vivant du monde avec sa main habituelle, la droite, il était pourtant plus que méritant avec la gauche. Peut-être y avait-il trente hommes vivants qui étaient ses égaux quand il utilisait la gauche. Peut-être autant que cinquante ; peut-être aussi peu que dix.

L’homme en noir aussi était gaucher et cela réchauffa Inigo ; cela rendait les choses plus justes. Sa faiblesse contre la force de l’autre homme. Tout pour le mieux.

Ils croisèrent leurs épées, et l’homme en noir commença immédiatement la défense Agrippa, ce qu’Inigo pensa juste, quand on considère le terrain rocailleux, car l’Agrippa gardait d’abord les pieds immobile, et rendait les chances de glisser minimes. Naturellement, il contra avec le Capo Ferro ce qui surprit l’homme en noir, mais il se défendit bien, utilisant les principes de Thibault.

Inigo était forcé de sourire. Personne n’avait utilisé l’attaque contre lui depuis si longtemps et c’était passionnant ! Il laissa l’homme en noir avancer, le laissa prendre courage, battant gracieusement en retraite entre quelques arbres, laissant sa défense Bonetti le garder en sécurité.

Puis ses jambes sautillèrent et il était derrière l’arbre le plus proche, et l’homme en noir ne s’y attendait pas et réagissait lentement. Inigo se projeta immédiatement loin de l’arbre, attaquant lui-même maintenant, et l’homme en noir battit en retraite, trébucha, reprit équilibre, continua de s’éloigner.

Inigo était impressionné par la rapidité du retour à l’équilibre. La plupart des hommes de la taille de l’homme en noir se seraient écroulés ou, au moins, seraient tombés sur une main. L’homme en noir n’avait fait aucun des deux ; il fit simplement quelques petits pas, tordit son corps pour le relever continua de se battre.

Ils bougeaient parallèlement aux Falaises maintenant, et les arbres étaient presque derrière eux. L’homme en noir était lentement forcé de reculer vers un groupe de grands rochers, car Inigo était désireux de voir comment il bougeait quand l’espace était limité, quand on ne pouvait pas allonger une botte ou parer avec une totale liberté. Il continua de le forcer, et puis les rochers les encerclaient. Inigo jeta soudainement son corps contre un rocher proche, rebondit dessus avec une force étonnante, portant une botte avec une incroyable vitesse.

Le premier sang était pour lui.

Il avait transpercé l’homme en noir, l’éraflant simplement, le long du poignet gauche. Une écorchure c’était tout. Mais il saignait.

Immédiatement l’homme en noir se hâta de battre en retraite, prenant position loin des rochers, se dirigeant vers l’espace libre du plateau. Inigo suivit, sans se soucier d’essayer de vérifier la fuite de l’autre homme ; il y aurait toujours du temps pour ça plus tard.

Puis l’homme en noir lança son plus grand assaut. Cela arriva sans prévenir avec une vitesse et une force terrifiantes. Sa lame étincelait encore et encore dans la lumière, et d’abord, Inigo était simplement trop heureux de battre en retraite. Il n’était pas totalement habitué au style de l’attaque ; c’était presque une McBone, mais il y avait des traces de Capo Ferro, et il continuait de reculer pendant qu’il se concentrait sur l’ennemi, cherchant la meilleure façon de bloquer l’assaut.

L’homme en noir continuait d’avancer, et Inigo était conscient qu’il s’approchait de plus en plus près du bord des Falaises, mais ça ne pouvait pas moins le concerner. La chose importante, c’était de penser plus loin que l’ennemi, de trouver ses faiblesses, en le laissant avoir son moment d’exultation.

Soudainement, comme les Falaises étaient encore plus proches, Inigo réalisa quel était le défaut de l’attaque qui s’abattait sur lui ; une simple manœuvre Thibault la détruirait entièrement, mais il ne voulait pas la lancer si tôt. Laissons l’autre homme avoir sa minute de triomphe encore un moment ; la vie n’en donne pas beaucoup.

Les Falaises étaient très proches derrière lui maintenant.

Inigo continua de battre en retraite : l’homme en noir continua d’avancer.

Puis Inigo contra avec la Thibault.

Et l’homme en noir la bloqua.

Il la bloqua !

Inigo répéta le coup Thibault et de nouveau il ne marcha pas. Il passa au Capo Ferro, il essaya Bonetti, il en vint à Fabris ; en désespoir, il commença un coup utilisé seulement deux fois, par Sainct.

Rien ne marcha !

L’homme en noir continuait d’attaquer.

Et les Falaises étaient presque là.

Inigo ne paniqua pas – ne s’en approcha même pas. Mais il décida certaines choses très rapidement, parce qu’il n’y avait pas de temps pour l’examen, et ce qu’il décida c’est que même si l’homme en noir était lent à réagir aux coups derrière les arbres, et pas meilleur du tout au milieu des rochers, quand les mouvements étaient restreints, pourtant, dans un espace libre, où il y avait de la place, c’était une terreur. Une terreur gauchère masquée de noir. « Vous êtes vraiment excellent, » dit-il. Son pied était sur le bord de la falaise. Il ne pouvait plus battre en retraite.

« Merci, répondit l’homme en noir. J’ai travaillé très dur pour le devenir.

- Vous êtes meilleur que moi, admit Inigo.

- Il semblerait. Mais si c’est vrai, pourquoi riez-vous alors ?

- Parce que, répondit Inigo, je sais quelque chose que vous ne savez pas.

- Et qu’est-ce que c’est ? demanda l’homme en noir.

- Je ne suis pas gaucher, » répondit Inigo, et sur ces mots, il lança l’épée à six doigts dans sa main droite, et le vent de la bataille tourna.

L’homme en noir battit en retraite avant que la grande épée ne le frappe. Il essaya de faire un pas de côté, il essaya de parer, il essaya d’échapper d’une façon ou d’un autre à la ruine qui était maintenant inévitable. Mais il n’y avait aucun moyen. Il put bloquer cinquante bottes ; la cinquante et unième le frappa, et maintenant son bras gauche saignait. Il put contrecarrer trente ripostes, mais pas trente et une, et maintenant son épaule saignait.

Les blessures n’étaient pas encore graves, mais elles continuaient d’augmenter comme ils esquivaient les rochers, et maintenant l’homme en noir se retrouva au milieu des arbres et c’était mauvais pour lui, alors il fuit devant la charge d’Inigo, et puis il fut de nouveau dans un espace libre, mais Inigo continuait d’avancer, rien ne pouvait l’arrêter, et puis l’homme en noir était de retour au milieu des rochers, et c’était encore pire pour lui que les arbres et il cria de frustration et courut pratiquement jusqu’où il y avait de nouveau de l’espace.

Mais il n’y avait pas de discussion avec le magicien, et doucement, à nouveau, les mortelles Falaises devinrent un facteur dans la bataille, seulement maintenant c’était l’homme en noir qui était forcé vers la ruine. Il était courageux, et les estafilades ne le faisaient pas demander grâce, et il ne montrait aucune peur derrière son masque noir. « Vous êtes stupéfiant, » cria-t-il, alors qu’Inigo accélérait l’aveuglante rapidité de son épée.

« Merci. Cela n’est pas venu sans effort. »

La mise à mort était à portée de main maintenant. Encore et encore Inigo lançait des coups, et encore et encore l’homme en noir se débrouillait pour parer les attaques, mais à chaque fois c’était plus dur, et la force du poignet d’Inigo était sans fin et il frappait toujours plus férocement et rapidement l’homme en noir devint faible. « Vous ne pouvez pas le savoir, dit-il alors, parce que je porte une cape et un masque. Mais je suis en train de sourire maintenant.

- Pourquoi ?

- Parce que je ne suis pas gaucher non plus, » dit l’homme en noir.

Et lui aussi changea de main, et maintenant la bataille aboutissait finalement.

Et Inigo commença à battre en retraite.

« Qui êtes-vous ? hurla-t-il.

- Personne d’important. Un autre amoureux de l’épée.

- Je dois savoir !

- Habituez-vous à être déçu. »

Ils couraient le long du plateau maintenant, et les lames étaient toutes les deux invisibles, mais oh, la Terre tremblait, et ohhhh, les cieux était secoués, et Inigo perdait. Il essaya d’aller vers les arbres, mais l’homme en noir ne voulait rien de ça. Il essaya de battre en retraite dans les rochers, mais cela lui fut refusé aussi.

Et dans un espace libre, aussi impensable que cela pouvait être, l’homme en noir était supérieur. Pas de beaucoup. Mais d’une multitude de minuscules façons, il était d’une qualité légèrement meilleure. Plus vif d’un cheveu, plus fort d’une fraction, plus rapide d’un grain. Pas vraiment plus.

Mais c’était assez.

Ils se retrouvèrent au centre du plateau pour l’assaut final. Aucun des deux hommes ne concéda quoi que ce soit. Le son du métal heurtant le métal s’éleva. Un élan final d’énergie enfla les veines d’Inigo et il fit toutes les tentatives, essaya toutes les ruses, utilisa chaque jour de ses années d’expérience. Mais il était bloqué. Par l’homme en noir. Il était gêné. Par l’homme en noir. Il était déjoué, contrecarré, muselé.

Battu.

Par l’homme en noir.

Une dernière pichenette et la grande épée à six doigts s’envola de sa main. Inigo resta là, impuissant. Puis il plia les genoux, baissa la tête, ferma les yeux. « Faites vite, dit-il.

- Que mes mains tombent de mes poignets avant que je ne tue un artiste comme vous, dit l’homme en noir. Je pourrais aussi bien détruire De Vinci. Cependant – et là il mit le pommeau de son épée contre la tête d’Inigo – étant donné je ne peux vous laisser me suivre non plus, s’il vous plaît comprenez que je vous tient en très haute estime. » Il frappa une fois de plus et l’Espagnol tomba inconscient. L’homme en noir attacha rapidement les mains d’Inigo autour d’un arbre et le laissa là, pour le moment, endormi et impuissant.

Puis il rengaina son épée, retrouva la piste du Sicilien et couru dans la nuit…

* * *

« Il a battu Inigo ! » dit le Turc, pas vraiment sûr de vouloir le croire, mais positivement certain que les nouvelles étaient mauvaises ; il aimait bien Inigo. Inigo était le seul qui ne riait pas quand Fezzik lui demandait de jouer aux rimes.

Ils couraient le long d’un sentier montagneux sur le chemin vers la frontière guildérienne. Le sentier était étroit et jonché de pierres comme des boulets de canons, alors le Sicilien avait beaucoup de difficultés à avancer. Fezzik portait légèrement Bouton d’Or sur ses épaules ; elle avait toujours les mains et les pieds liés.

« Je ne t’ai pas entendu, tu peux répéter ? » appela le Sicilien, alors Fezzik attendit que le bossu le rattrape.

« Vous voyez ? » montra alors Fezzik. Loin en bas, au bout du sentier de montagne, on pouvait voir l’homme en noir courir. « Inigo est battu. »

« Inconcevable ! » explosa le Sicilien.

Fezzik n’osait jamais contredire le bossu. « Je suis si stupide, dit Fezzik en hochant la tête. Inigo n’a pas perdu contre l’homme en noir, il l’a vaincu. Et pour le prouver il a mis tous les vêtements et masques et cagoules et bottes de l’homme en noir et a pris 35 kg. »

Le Sicilien loucha vers la silhouette qui courait. « Idiot, hurla-t-il au Turc. Après toutes ces années, tu ne peux pas reconnaître Inigo quand tu le vois ? Ce n’est pas Inigo.

- Je n’apprendrais jamais, accorda le Turc. Quelle que soit la question, on peut toujours compter sur moi pour me tromper.

- Inigo doit avoir glissé ou avoir été trompé ou sinon battu par une tricherie. C’est la seule explication concevable. »

Concevable recevable, pensa le géant. Seulement il n’osa pas le dire à haute voix. Pas au Sicilien. Il aurait pu le murmurer à Inigo tard dans la nuit, mais c’était avant qu’Inigo soit mort. Il aurait aussi put murmurer percevable, lessivable, soulevable, mais c’est aussi loin qu’il allât avant que le Sicilien se remette à parler, et cela voulait toujours dire qu’il devait faire très attention. Rien ne mettait plus vite le bossu en colère que se mettre au niveau de la pensée de Fezzik. Étant donné qu’il imaginait à peine que quelqu’un comme Fezzik soit capable de penser, il ne lui demandait jamais ce qu’il avait à l’esprit, parce qu’il n’aurait pas pu moins sans soucier. S’il avait découvert que Fezzik faisait des rimes, il aurait ri et puis il aurait trouvé de nouvelles façons de faire souffrir Fezzik.

« Détache ses pieds, » commanda le Sicilien.

Fezzik posa la Princesse et rompit les cordes qui liaient ses jambes. Puis il frotta ses chevilles pour qu’elle puisse marcher.

Le Sicilien l’attrapa immédiatement et la traîna avec lui. « Rattrape-nous vite, dit le Sicilien.

- Des instructions ? » appela Fezzik, pratiquement paniqué. Il détestait être laissé à lui-même comme ça.

« Finis-le, finis-le. » Le Sicilien devenait irrité. « Réussis, puisqu’Inigo nous a failli.

- Mais je ne peux pas faire d’escrime, je ne sais pas comment faire de l’escrime…

- À ta façon. » Le Sicilien pouvait à peine se contrôler maintenant.

« Oh, oui, bien, ma façon, merci, Vizzini, » dit Fezzik au bossu. Puis, rassemblant tout son courage : « J’ai besoin d’un conseil.

- Tu dis toujours à quel point tu comprends la force, à quel point la force t’appartient. Utilise-là, je ne me soucie pas comment. Attends-le là derrière – il pointa le doigt vers un virage serré du sentier de montagne – et écrase sa tête comme une coquille d’œuf. » Il pointa le doigt vers des rochers de la taille de boulets de canon.

« Je pourrais faire ça, oui, » dit Fezzik en hochant la tête. Il était très bon pour lancer des choses lourdes. « Ça ne semble juste pas très sportif, si ? »

Le Sicilien perdit contrôle. C’était terrifiant quand il faisait ça. La plupart des gens criaient et braillaient et sautaient partout. Vizzini, c’était différent : il devenait très très tranquille, et sa voix sonnait comme si elle venait d’une bouche morte. Et ses yeux devenaient des flammes. « Je te le dis et te le dis une fois : arrête l’homme en noir. Arrête-le pour de bon. Si tu échoues, il n’y aura aucune excuse ; je trouverai un autre géant.

- S’il vous plaît ne m’abandonnez pas, dit Fezzik.

- Alors fais ce qu’on te dit. » Il attrapa de nouveau Bouton d’Or et clopina hors de vue sur le sentier de montagne.

Fezzik lança un regard vers la silhouette qui remontait le sentier en courant vers lui. Encore à une bonne distance. Assez de temps pour s’exercer. Fezzik attrapa une pierre de la taille d’un boulet de canon et visa un trou dans la montagne à trente mètres.

Hop.

Pile au centre.

Il attrapa une plus grosse pierre et la jeta dans une ligne d’ombre deux fois plus loin.

Pas si hop.

Deux doigts sur la droite.

Fezzik était raisonnablement satisfait. À deux doigts près, ça écraserait toujours une tête si on visait au centre. Il tâtonna autour de lui, trouva une pierre parfaite pour lancer ; elle tenait bien dans sa main. Puis il alla dans le virage serré du sentier, recula dans l’ombre la plus noire. Invisible, silencieux, il attendit patiemment avec la pierre tueuse, contant les secondes jusqu’à ce que l’homme en noir meure…

FEZZIK

-*-

Les femmes turques sont célèbres pour la taille de leurs bébés. Le seul heureux nouveau-né à jamais peser 10 kg à la sortie fut le fruit d’une union du sud de la Turquie. Les registres de l’hôpital donnent une liste d’un total de onze enfants qui pesaient plus de 9 kg à la naissance. Et quatre-vingt-quinze de plus qui pesaient entre 6 et 9 kg. Alors, tous ces cent six chérubins firent ce que les bébés font habituellement à la naissance : ils perdirent entre 50 et 80 g et cela leur prit la meilleure partie de la semaine pour les reprendre. Plus précisément, cent cinq d’entre eux perdirent du poids après être nés.

Pas Fezzik.

La première après-midi, il prit 500 g. (Vu qu’il pesait bien 6 k et vu que sa mère accoucha deux semaines à l’avance, les docteurs n’étaient pas excessivement inquiets. « C’est parce que vous avez enfanté deux semaines trop tôt, expliquèrent-ils à la mère de Fezzik. Cela explique tout. » En fait, bien sûr, cela n’expliquait rien, mais à chaque fois que les docteurs sont embarrassés à propos de quelque chose, ce qui est vraiment plus fréquent qu’aucun de nous pourrait bien penser, ils attrapent quelque chose en rapport avec le cas et ajoutent : « Cela explique tout. » Si la mère de Fezzik avait enfanté tard, ils auraient dit : « Eh bien, vous avez enfanté tard, cela explique tout. » Ou : « Eh bien, il pleuvait pendant l’accouchement, ce poids supplémentaire est simplement de l’humidité, cela explique tout. »)

Un bébé en bonne santé double son poids en six mois et le triple en un an. Quand Fezzik eut un an, il pesait 38 kg. Il n’était pas gras, comprenons-nous bien. Il ressemblait à un enfant de 38 kg parfaitement normal. Pas si normal, en fait. Il était plutôt poilu pour un an.

Quand il atteint l’âge d’aller au jardin d’enfants, il était prêt à être rasé. Il avait la taille d’un homme normal à ce moment-là, et tous les autres enfants rendaient sa vie misérable. D’abord, naturellement, ils eurent une peur bleue (même alors, Fezzik semblait féroce), mais quand ils découvrirent qu’il était peureux, eh bien, ils n’étaient pas prêts à laisser une opportunité comme ça passer.

« Tyran, tyran, narguaient-ils Fezzik à l’heure de la pause yaourt du matin.

- C’est pas vrai, » disait Fezzik à haute voix. (En lui-même il se disait : « Étirant, étirant. » Il n’aurait jamais osé se considérer poète, parce qu’il n’était rien de ça ; il aimait juste les rimes. Quoi que vous disiez à haute voix, il le rimait en lui. Quelquefois les rimes avaient un sens, quelquefois pas. Fezzik ne se souciait jamais du sens ; tout ce qui importait c’était le son.)

« Lâche. »

Apache. « C’est pas vrai. »

« Alors, bas-toi, » disait l’un d’entre eux, et il lança tout ce qu’il avait et frappa Fezzik à l’estomac, convaincu que tout ce que Fezzik ferait c’est « ouf » et il resterait là, parce qu’il ne rendait pas les coups, peu importe ce qu’on lui faisait.

« Ouf. »

Un autre coup. Un autre. Un bon swing bien sec dans les reins peut-être. Peut-être un coup de pied dans le genou. Cela continuait comme ça jusqu’à ce que Fezzik fonde en larmes en fuyant.

Un jour à la maison, le père de Fezzik l’appela: « Viens ici. »

Fezzik, comme toujours, obéit.

« Sèche tes larmes, » dit sa mère.

Deux enfants l’avaient frappé vraiment méchamment juste avant. Il fit ce qu’il put pour s’arrêter de pleurer.

« Fezzik, ça ne peut pas continuer, dit sa mère. Ils doivent arrêter de te harceler. »

Morceler. « Ça ne me fait rien, dit Fezzik.

- Et bien cela devrait te faire, » dit son père. C’était un charpentier, avec de grosses mains. « Viens dehors. Je vais t’apprendre à te battre.

- S’il te plaît, je ne veux pas...

- Obéis à ton père. »

Ils se rassemblèrent dans l’arrière-cour.

« Serre le poing, » dit son père.

Fezzik fit de son mieux.

Son père regarda sa mère, puis les cieux. « Il ne peut même pas serrer le poing, dit son père.

- Il essaie, il n’a que six ans ; ne soit pas si dur avec lui. »

Le père de Fezzik se souciait vraiment beaucoup de son fils et il essayait de garder une voix calme, pour que Fezzik ne fonde pas en larme. Mais ce n’était pas facile. « Chéri, dit le père de Fezzik, regarde : quand tu serres le poing, ne mets pas le pouce dans tes doigts, garde ton pouce dehors, parce que si tu mets ton pouce dans tes doigts et que tu frappes quelqu’un, ce qui arrivera c’est que tu te casseras le pouce, et ce n’est pas bon, parce que le but quand tu frappes quelqu’un c’est de blesser l’autre gars, pas toi. »

Stresser. « Je ne veux blesser personne, Papa.

- Je ne veux pas que tu blesses qui que ce soit, Fezzik. Mais si tu sais prendre soin de toi, et s’ils le savent, ils ne t’embêteront plus. »

Hébéteront. « Ça ne me fait rien.

- Eh bien, cela nous fait, dit sa mère. Ils ne devraient pas te harceler, Fezzik, juste parce que tu as besoin de te raser.

- Revenons-en au poing, dit son père. Est-ce que tu as compris comment on fait ?

- Il apprend naturellement vite, » dit sa mère. Elle se souciait de lui autant que son père.

« Maintenant frappe-moi, dit le père de Fezzik.

- Non, je ne veux pas faire ça.

- Frappe ton père, Fezzik.

- Peut-être ne sait-il pas comment on frappe, dit le père de Fezzik.

- Peut-être pas. » La mère de Fezzik secoua tristement la tête.

« Regarde, chéri, dit le père de Fezzik. Tu vois ? Simple. Tu serres juste le poing comme tu sais déjà le faire et puis tu mets ton bras un peu en arrière et tu vises ce que tu veux toucher et tu y vas.

- Montre à ton père comment tu apprends naturellement vite, dit la mère de Fezzik. Donne-lui un coup de poing. Frappe-le un bon coup. »

Fezzik lança un coup de poing vers le bras de son père.

Le père de Fezzik leva à nouveau les yeux de frustration.

« Il est passé près de ton bras, dit rapidement la mère de Fezzik, avant que le visage de son fils ne se voile. C’était très bien pour un début, Fezzik ; dis-lui comme il a bien commencé, dit-elle à son mari.

- C’était grosso modo dans la bonne direction, réussit à dire le père de Fezzik. Si seulement je me tenais un mètre plus vers l’ouest, ça aurait été parfait.

- Je suis très fatigué, dit Fezzik. Quand on apprend tant de choses si vite, on est vite fatigué. En tout cas, moi, je le suis. S’il vous plaît, puis-je être excusé ?

- Pas encore, dit la mère de Fezzik.

- Chéri, s’il te plaît, frappe-moi, frappe-moi vraiment, essaie. Tu es un garçon malin ; frappe-moi un bon coup, supplia le père de Fezzik.

- Demain, Papa ; c’est promis. » Les larmes commençaient à se former.

« Pleurer ne va pas marcher, Fezzik, explosa son père. Ça ne va pas marcher sur moi et ça ne va pas marcher sur ta mère, tu vas faire ce que je te dis et je te dis que tu vas me frapper et si ça prend toute la nuit, on va rester exactement ici et si ça prend toute la semaine, on va rester exactement ici et si ça... »

                          S

                             P

                                L

                                    O

                                        F

                                           !!!!

(C’était avant les urgences, et c’était dommage, au moins pour le père de Fezzik, parce qu’il n’y avait nulle part où l’emmener après qu’il ait reçu le coup de poing de Fezzik, à part son propre lit, où il resta les yeux fermés pour un jour et demi, à part quand le laitier est venu arranger sa mâchoire cassée – ce n’était pas avant les docteurs, mais en Turquie ils n’avaient pas encore commencé à réclamer les affaires d’os ; les laitiers avaient toujours la charge des os, puisque c’était logique que le lait étant bon pour les os, qui pourrait en savoir plus sur les os cassés qu’un laitier ?)

Quand le père de Fezzik fut capable d’ouvrir les yeux autant qu’il le voulait, ils eurent une discussion de famille, tous les trois.

« Tu es très fort, Fezzik, dit son père. (En fait, ce n’est pas strictement vrai. Ce que son père voulait dire c’était : « Tu es très fort, Fezzik. » Mais ce qui sortit était plus comme ça : « Zz zz zzzz zzzz, Zzzzzz. » Depuis que le laitier avait remis en place sa mâchoire avec du fil de fer, tout ce qu’il arrivait à faire c’était la lettre z. Mais il avait un visage très expressif, et sa femme le comprenait parfaitement.)

- Il a dit : "Tu es très fort, Fezzik."

- C’est ce que je pensais, répondit Fezzik. L’année dernière j’ai frappé un arbre quand j’étais vraiment en colère. Je l’ai fait tomber. C’était un petit arbre, mais quand même, je me suis dit que cela devait vouloir dire quelque chose.

- Zz zzzzzz zzzzzz zz zzzzzzz zz zzzzzzzzzzzz, Zzzzzz.

- Il dit qu’il laisse tomber le travail de charpentier, Fezzik.

- Oh non, dit Fezzik. Tu iras mieux bientôt, Papa ; le laitier me l’a pratiquement promis.

- Zz zzzz zzzzzzz zzzzzz zz zzzzzzz zz zzzzzzzzzzz, Zzzzzz.

- Il veut laisser tomber le travail de charpentier, Fezzik.

- Mais qu’est-ce qu’il va faire ? »

La mère de Fezzik répondit elle-même à celle-ci ; elle et son mari étaient restés debout toute la nuit pour se mettre d’accord sur la décision. « Il va devenir ton manager, Fezzik. La lutte est le sport national de Turquie. Nous allons tous être riches et célèbres.

- Mais Maman, Papa, je ne me sens pas de me battre. »

Le père de Fezzik tendit la main et tapota gentiment le genou de son fils. « Zz zz zzzz zzzzzzzzzzz, dit-il.

- Ça va être merveilleux, » traduit sa mère.

Fezzik ne put que fondre en larmes.

Ils eurent leur premier match professionnel dans le village de Sandiki, un dimanche bien chaud. Les parents de Fezzik eurent terriblement de difficultés à le faire monter sur le ring. Ils étaient absolument confiants dans la victoire, parce qu’ils avaient travaillé très dur. Ils avaient enseigné Fezzik pendant trois solides années avant qu’ils soient mutuellement d’avis qu’il était prêt. Le père de Fezzik s’occupait de la tactique et de la stratégie sur le ring, pendant que sa mère était plus en charge du régime et de l’entraînement, et ils n’avaient jamais été si heureux.

Fezzik n’avait jamais été aussi misérable. Il était effrayé et apeuré et terrifié, tout en un. Ils avaient beau le rassurer, il refusait d’entrer dans l’arène. Parce qu’il savait quelque chose : même si dehors il avait l’air d’avoir vingt ans, et sa moustache commençait déjà à être belle, dedans il était toujours un enfant de neuf ans qui aimait faire rimer les choses.

« Non, disait-il, je n’irai pas, je n’irai pas, et vous ne m’y ferez pas aller.

- Après tout ce travail d’esclave pendant ces trois ans, dit son père. (Sa mâchoire était presque aussi bonne que neuve maintenant.)

- Il va me faire mal ! dit Fezzik.

- La vie est douleur, dit sa mère. Celui qui dit autre chose veut vendre quelque chose.

- S’il vous plaît. Je ne suis pas prêt. J’ai oublié les prises. Je n’ai aucune grâce et je tombe beaucoup. C’est vrai. »

Ça l’était. Leur seule vraie peur c’était : est-ce qu’ils le bousculaient ? « Quand le chemin est difficile, la difficulté est sur le chemin, dit la mère de Fezzik.

- Sur le ring, Fezzik, » dit son père.

Fezzik tint bon.

« Écoute, nous n’allons pas te menacer, dirent les parents de Fezzik, plus ou moins ensemble. Nous nous soucions trop les uns des autres pour faire ça. Si tu ne veux pas te battre, personne ne va te forcer. Nous te laisserons simplement seul pour toujours » (L’idée de l’enfer de Fezzik c’était être seul pour toujours. Il le leur avait dit quand il avait cinq ans.)

Ils entrèrent alors dans l’arène pour faire face au champion de Sandiki.

Qui avait été champion depuis onze ans, depuis qu’il avait vingt-quatre ans. Il était très gracieux et large et faisait 1 m 82 de haut, seulement 15 cm de moins que Fezzik.

Fezzik n’avait pas une chance.

Il était trop maladroit ; il n’arrêtait pas de tomber ou de faire ses prises à l’envers alors ce n’étaient pas des prises. Le champion de Sandiki joua avec lui. Fezzik n’arrêtait pas d’être envoyé à terre ou jeté à terre ou culbuté par terre ou flanqué par terre. Il se relevait toujours et essayait encore, mais le champion de Sandiki était bien trop rapide pour lui, et trop intelligent, et beaucoup, beaucoup trop expérimenté. La foule riait et mangeait des baklavas et appréciait le spectacle.

Jusqu’à ce Fezzik mette ses bras autour du champion de Sandiki.

La foule devint très silencieuse alors.

Fezzik le souleva.

Aucun bruit.

Fezzik serra.

Et serra.

« Ça suffit maintenant, » dit le père de Fezzik.

Fezzik posa l’autre homme par terre. « Merci, dit-il. Vous êtes un lutteur fantastique et j’ai eu de la chance. »

L’ancien champion de Sandiki fit une sorte de grognement.

« Lève les mains, tu es le vainqueur, » lui rappela sa mère.

Fezzik se tint là au milieu du ring avec ses mains levées.

« Hoouuu, dit la foule

- Animal.

- Singe !

- Gorille !

- Hoooooouuuuuu !!! »

Ils ne s’attardèrent pas longtemps à Sandiki. En fait, ce n’était pas très sûr pour eux de s’attarder longtemps où que ce soit. Ils se battirent contre le champion d’Ispir. « Hooooouuuuuu !!! » Le champion de Simal. « Hooooouuuuuu !!! » Ils se battirent à Bolu. Ils se battirent à Zile.

« Hooooouuuuuu !!!

- Je ne me soucie pas de ce qu’on dit, lui dit une après-midi d’hiver la mère de Fezzik. Tu es mon fils et tu es merveilleux. » Il faisait gris et sombre et ils partaient en galopant de Constantinople aussi vite qu’ils le pouvaient parce que Fezzik venait juste de démolir leur champion avant que la majorité de la foule soit assise.

« Je ne suis pas merveilleux, dit Fezzik. Ils ont raison de m’insulter. Je suis trop gros. Quand je me bats, on dirait que je harcèle quelqu’un.

- Peut-être, commença le père de Fezzik en hésitant un peu ; peut-être, Fezzik, si tu pouvais juste si possible d’une certaine façon perdre quelques combats, ils ne hurleraient pas tant après toi. »

La femme se tourna vers le mari. « Ce garçon a onze ans et tu veux déjà qu’il perde délibérément des combats ?

- Rien de ça, non, ne t’énerve pas, mais peut-être s’il avait au moins l’air de souffrir un peu, ils se calmeraient un peu.

- Je souffre, dit Fezzik. (Il souffrait, il souffrait.)

- Montre-le un peu plus.

- J’essaierai, Papa.

- Tu es un bon garçon.

- Je ne peux pas m’empêcher d’être fort ; ce n’est pas de ma faute. Je ne m’entraîne même pas.

- Je pense qu’il est temps d’aller en Grèce, dit alors le père de Fezzik. Nous avons battu tout le monde qui se battrait avec nous en Turquie et l’athlétisme est en Grèce. Personne n’apprécie le talent comme la Grèce.

- Je déteste juste quand ils font "hooooouuuuuu !!!" dit Fezzik. (Il le détestait. Maintenant son idée personnelle de l’enfer, c’était d’être seul avec tout le monde faisant « hooooouuuuuu !!! » pour toujours.)

- Ils vont t’adorer en Grèce, » dit la mère de Fezzik.

Ils se battirent en Grèce.

« Aarrrggggh !!! » (Aarrrggggh !!! était l’équivalent grec de hooooouuuuuu !!!)

Bulgarie.

Yougoslavie.

Tchécoslovaquie. Roumanie.

« Hooooouuuuuu !!! »

Ils essayèrent l’Orient. Le champion de jiu-jitsu de Corée. Le champion de karaté du Siam. Le champion de kung-fu de toute l’Inde.

« Sssssssssssss !!! » (Voir la note sur aarrrggggh !!!)

En Mongolie, ses parents moururent. « Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour toi, Fezzik, bonne chance, » dirent-ils, et ils étaient partis. C’était terrible, une peste qui ravageait tout devant elle. Fezzik serait mort aussi, seulement naturellement il n’était jamais malade. Seul, il continua, à travers le désert de Gobi, faisant quelquefois du stop avec les caravanes qui passaient. Et c’est là qu’il apprit comment les faire arrêter de huuuuuuuuuuu !!!er.

Combattre des groupes.

Tout commença dans une caravane dans le Gobi quand le chef de caravane dit : « Je parie que mes chameliers peuvent te battre. » Ils n’étaient que trois, alors Fezzik dit : « Bien, » il essaierait, et il essaya, et il gagna, naturellement.

Et tout le monde semblait content.

Fezzik était enthousiasmé. Il ne combattrait plus jamais une seule personne si c’était possible. Pendant un moment il voyagea de place en place en combattant des gangs pour des organisations caritatives locales, mais son affaire n’allait pas bien et, de plus, faire les choses seul était encore moins attrayant qu’avant pour lui maintenant qu’il arrivait à la fin de l’adolescence.

Il rejoignit un cirque nomade. Tous les autres artistes grognèrent contre lui parce que, disaient-ils, il mangeait plus que sa part de nourriture. Alors il restait plutôt de son côté quand il ne travaillait pas.

Mais alors, un soir, quand Fezzik venait juste de se débarrasser de vingt hommes, il eut le choc de sa vie : les hooooouuuuuu !!! étaient de retour. Il ne pouvait pas le croire. Il venait juste d’écraser une douzaine d’hommes dans la soumission, craquer la tête d’une demi-douzaine d’autres. Que voulaient-ils de lui ?

La vérité était simplement celle-ci : il était devenu trop fort. Il ne se mesurerait jamais, mais tout le monde murmurait qu’il faisait plus de 2 m 10, et il ne monterait jamais sur une balance, mais les gens disaient qu’il pesait plus de 180 kg. Et en plus, il était rapide maintenant. Toutes ces années d’expérience l’avaient rendu pratiquement inhumain. Il connaissait tous les trucs, il pouvait contrer toutes les prises.

« Animal.

- Singe !

- Gorille !

- Hooooouuuuuu !!! »

Cette nuit-là, seul sous sa tente, Fezzik pleura. Il était un monstre. (Contre – il aimait toujours les rimes.) Un cyclope à deux yeux. (Galope – comme les larmes qui galopaient maintenant, galopaient de ses yeux à demi fermés.) Le lendemain matin, il avait repris contrôle de lui-même : au moins il avait toujours ses amis du cirque autour de lui.

Cette semaine-là le cirque le vira. Les foules les huuuuuuuuuuu !!!aient eux aussi maintenant, et la femme énorme menaçait de partir et les nains rageaient et c’en était de Fezzik.

C’était au milieu du Groenland, et, comme tout le monde le sait, le Groenland alors comme maintenant était l’endroit le plus solitaire de la Terre. Au Groenland, il y a une personne pour un kilomètre carré de terrain. Probablement que le cirque était vraiment stupide de prendre des réservations là-bas, mais ce n’est pas la question.

La question c’est que Fezzik était seul.

Dans l’endroit le plus solitaire du monde.

Assis là sur un rocher à regarder le cirque partir.

Il était toujours assis là le lendemain quand Vizzini le Sicilien le trouva. Vizzini le flatta, lui promis de garder les hooooouuuuuus au loin. Vizzini avait besoin de Fezzik. Mais pas à moitié comme Fezzik avait besoin de Vizzini. Tant que Vizzini était là, on ne pouvait pas être seul. Quoi que dise Vizzini, Fezzik le faisait. Et si cela voulait dire écraser la tête de l’homme en noir...

Alors qu’il en soit ainsi.

* * *

Mais pas par une embuscade. Pas d’une façon lâche. Rien de pas sportif. Ses parents lui avaient toujours dit de suivre les règles. Fezzik se tenait dans l’ombre, le grand rocher serré dans ses grandes mains. Il pouvait entendre les pas de l’homme en noir qui s’approchait. S’approchait.

Fezzik bondit de sa cachette et jeta le rocher avec une puissance incroyable et une précision parfaite. Il s’écrasa contre un rocher à trente centimètres du visage de l’homme en noir. « J’ai fait exprès, » dit alors Fezzik, attrapant un autre rocher, prêt à le lancer. « Je ne devais pas me rater.

- Je vous crois, » dit l’homme en noir.

Ils se tenaient face à face sur l’étroit sentier de montagne.

« Maintenant, que se passe-t-il ? demanda l’homme en noir.

- Nous nous battons comme Dieu l’a voulu, dit Fezzik. Pas de tricherie, pas d’armes, le talent seul face au talent.

- Vous voulez dire que vous poserez votre rocher et que je poserai mon épée et nous essaierons de nous tuer comme des gens civilisés, c’est ça ?

- Si vous préférez, je peux vous tuer maintenant, dit gentiment Fezzik, et il leva le rocher. Je vous donne une chance.

- En effet et je l’accepte, » dit l’homme en noir, et il commença à retirer son épée et son fourreau. « Bien que, franchement, je pense que les chances sont légèrement de votre côté au combat à mains nues.

- Je vais vous dire ce que je dis à tout le monde, expliqua Fezzik. Je ne peux pas m’empêcher d’être le plus grand et le plus fort ; ce n’est pas de ma faute.

- Je ne vous blâme pas, dit l’homme en noir.

- Allons-y alors, » dit Fezzik, et il laissa tomber son rocher et se mit en position de combat, regardant l’homme en noir se déplaçant lentement vers lui. Pendant un moment, Fezzik se sentit mélancolique. C’était clairement un type bien, même s’il avait tué Inigo. Il ne se plaignait ni n’essayait ni ne suppliait ni ne le soudoyait. Il acceptait juste son destin. Pas de plainte, rien de ça. Visiblement un criminel de caractère. (Était-il un criminel, cependant, se demanda Fezzik. Sûrement le masque l’indiquait. Ou était-ce pire que ça : était-il défiguré ? son visage brûlé par l’acide peut-être, ou peut-être était-il né hideux ?)

« Pourquoi portez-vous un masque et une capuche ? demanda Fezzik.

- Je pense que tout le monde en portera dans peu de temps, fut la réponse de l’homme en noir. Ils sont terriblement confortables. »

Ils se faisaient face sur le sentier de montagne. Il y eut une pause. Puis ils s’engagèrent. Fezzik laissa l’homme en noir fignoler un peu, testa la force de l’homme, qui était considérable pour quelqu’un qui n’était pas un géant. Il laissa l’homme en noir feindre et esquiver et essayer une prise ici, une prise là. Puis, quand il fut assez sûr que l’homme en noir n’irait pas à son créateur embarrassé, Fezzik mis fermement ses bras autour de lui.

Fezzik souleva.

Et serra.

Et serra.

Puis il prit les restes de l’homme en noir, le jeta d’un côté, le jeta de l’autre, lui cassa le cou d’une main, de l’autre la base de l’épine, mit ses jambes en l’air, enroula ses bras flasques autour, et jeta le paquet de ce qui avait été humain dans une crevasse proche.

C’était la théorie, en tout cas.

En fait, voilà ce qui arriva :

Fezzik souleva.

Et serra.

Et l’homme en noir se libéra en glissant.

Hmmm, pensa Fezzik, c’était certainement une surprise. Je pensais être sûr de l’avoir. « Vous êtes très rapide, complimenta Fezzik.

- Et c’est tant mieux, » dit l’homme en noir.

Puis ils s’engagèrent à nouveau. Cette fois Fezzik ne donna pas une chance de fignoler à l’homme en noir. Il l’attrapa simplement, le fit tourner autour de sa tête une fois, deux fois, écrasa son crâne contre le rocher le plus proche, le martela, le roua de coup, le serra encore une bonne fois pour faire bonne mesure et jeta les restes de ce qui avait été humain dans une crevasse proche.

C’étaient ces intentions, en tout cas.

En fait, il ne finit même pas avec beaucoup de succès la partie où il l’attrapait. Parce que, dès que les grandes mains de Fezzik s’avancèrent, l’homme en noir se baissa et tournoya et se tordit et était lâché et libre et toujours bien en vie.

Je ne comprends pas une chose de ce qui arrive, pensa Fezzik. Se pourrait-il que je perde ma force ? Se pourrait-il qu’il y ait une maladie de montagne qui enlève la force ? Il y a eu une maladie du désert qui a enlevé la force de mes parents. Ça doit être ça, je dois avoir attrapé une peste, mais si c’est ça, pourquoi n’est-il pas faible ? Non, je dois toujours être fort, ça doit être quelque chose d’autre, mais quoi ?

Soudainement il sut. Il ne s’était pas battu avec un homme depuis si longtemps qu’il avait simplement oublié maintenant. Il s’était battu avec des groupes et des gags et des bandes depuis tant d’années, que l’idée d’avoir seulement un adversaire mettait du temps à se faire connaître de lui. Parce qu’on les combat entièrement différemment. Quand ils sont douze contre vous, vous faites certains mouvements, essayez certaines prises, réagissez d’une certaine façon. Quand il n’y en a qu’un, vous devez complètement vous réadapter. Rapidement maintenant, Fezzik revint en arrière dans le temps. Comment avait-il combattu le champion de Sandiki ? Il repassa ce combat dans son esprit, puis il se souvint de toutes les autres victoires contre les autres champions, les hommes d’Ispir et Simal et Bolu et Zile. Il se souvint d’avoir fui de Constantinople parce qu’il avait battu leur champion si vite. Si facilement. Oui, Fezzik pensa. Bien sûr. Et soudainement il réadapta son style à ce qu’il avait été avant.

Mais, à ce moment, l’homme en noir l’avait attrapé par le cou !

L’homme en noir le chevauchait, et ses bras étaient fermés sur sa trachée-artère, un devant, un derrière. Fezzik tendit les bras en arrière, mais l’homme en noir était dur à attraper. Fezzik ne pouvait pas mettre ses bras dans son dos et déloger l’ennemi. Fezzik couru vers un rocher et, au dernier moment, fit volte face pour que l’homme en noir reçût toute la force de la charge. C’était une terrible secousse ; Fezzik le savait.

Mais la prise sur sa trachée-artère devint encore plus forte.

Fezzik chargea de nouveau le rocher, fit de nouveau volte face, et de nouveau il savait la puissance du coup que l’homme en noir avait prise. Il frappa ses poings géants l’un contre l’autre.

Maintenant il n’avait plus d’air.

Fezzik continua de se débattre. Il pouvait sentir un vide dans ses jambes maintenant ; il pouvait voir le monde devenir pâle. Mais il ne laissa pas tomber. Il était le puissant Fezzik, amoureux des rimes, et l’on ne laissait pas tomber, quoi qu’il arrive. Maintenant le vide était dans ses bras et le monde neigeait.

Fezzik tomba sur les genoux.

Il frappait encore, mais faiblement. Il se battait toujours, mais ses coups n’auraient pas blessé un enfant. Pas d’air. Il n’y avait plus d’air. Il n’y avait plus rien, pas pour Fezzik, pas dans ce monde. Je suis battu, je vais mourir, pensa-t-il juste avant de tomber sur le sentier de montagne.

Il avait seulement à moitié tort.

Il y a un moment entre l’inconscience et la mort, et alors que le géant s’écroulait sur le sentier rocailleux, ce moment arriva, et juste avant qu’il n’arrive, l’homme en noir le lâcha. Il chancela et s’appuya contre un rocher jusqu’à ce qu’il puisse marcher. Fezzik était étalé par terre, respirant faiblement. L’homme en noir chercha autour de lui une corde pour attacher le géant, laissa tomber sa recherche aussitôt. À quoi bon des cordes contre une force telle que celle-ci. Il les casserait simplement. L’homme en noir avança vers l’endroit où il avait laissé son épée. Il la remit.

Deux en moins et encore un (le plus dur)…

* * *

Vizzini l’attendait.

En effet, il avait préparé un petit pique-nique. Dans la musette qu’il portait tout le temps, il avait pris un petit mouchoir et dessus il avait placé deux gobelets de vins. Au centre, il y avait une petite gourde de vin en cuir, et, à côté, du fromage et des pommes. L’endroit n’aurait pas pu être plus charmant : un point élevé du sentier de montagne avec une vue splendide sur toute la route vers le détroit de Florin. Bouton d’Or était couchée sans défense à côté du pique-nique, bâillonnée et attachée et les yeux bandés. Vizzini tenait son long couteau contre sa gorge blanche.

« Bienvenue, » appela Vizzini quand l’homme en noir fut presque sur eux.

L’homme en noir s’arrêta et surveilla la situation.

« Vous avez battu mon Turc, dit Vizzini.

Il semblerait.

Et maintenant, il ne reste plus que vous. Et il ne reste plus que moi.

Il semblerait aussi, » dit l’homme en noir, se rapprochant juste d’un demi-pas du long couteau du bossu.

Avec un sourire, le bossu appuya le couteau plus fort contre la gorge de Bouton d’Or. Elle allait bientôt saigner. « Si vous désirez qu’elle meure, avancez par tous les moyens, » dit Vizzini.

L’homme en noir se figea.

« C’est mieux, » approuva Vizzini.

Aucun bruit maintenant sous la lumière de la lune.

« Je comprends parfaitement ce que vous essayez de faire, dit finalement le Sicilien, et je veux qu’il soit clair que je suis contrarié par votre attitude. Vous essayez de kidnapper ce que j’ai légitimement volé, et je trouve cela assez discourtois.

Laissez-moi vous expliquer… commença l’homme en noir, avançant un peu.

Vous la tuez ! » cria le Sicilien, appuyant plus fort avec le couteau. Une goutte de sang apparut alors sur la gorge de Bouton d’Or, rouge sur blanc.

L’homme en noir recula. « Laissez-moi vous expliquer, » dit-il de nouveau, mais d’une certaine distance.

À nouveau, le bossu l’interrompit. « Il n’y a rien que vous puissiez me dire que je ne connaisse déjà. Je n’ai pas eu l’éducation de certains, mais pour ce qui est de la connaissance en dehors des livres, il n’y a personne au monde qui se rapproche de moi. Les gens disent que je lis dans les pensées, mais ce n’est pas, en toute honnêteté, vrai. Je prédis simplement la vérité en utilisant la logique et la sagacité, et je dis que vous êtes un kidnappeur, admettez-le.

Je vais admettre que, pour une rançon, elle a de la valeur ; rien de plus.

J’ai été sommé de lui faire certaines choses. C’est très important que je suive ces instructions. Si je le fais correctement, j’aurais de la demande à vie. Et mes instructions n’incluent pas de rançon, elles incluent la mort. Alors vos explications sont dénuées de sens ; nous ne pouvons pas faire affaire. Vous désirez la garder en vie pour une rançon, alors qu’il est terriblement important pour moi qu’elle arrête de respirer dans un futur très proche.

Vous est-il venu à l’esprit que j’ai fait beaucoup d’efforts et de dépenses, de même que des sacrifices personnels, pour atteindre ce point, répliqua l’homme en noir. Et que si j’échoue maintenant, je pourrais être très en colère. Et que si elle arrête de respirer dans un très proche futur, il est tout à fait possible que vous attrapiez la même maladie mortelle ?

Je ne doute pas que vous me tuiez. N’importe quel homme qui peut battre Inigo et Fezzik n’aurait aucun problème à se défaire de moi. Cependant, vous est-il venu à l’esprit que si vous faites ça, alors aucun de nous deux n’aura ce qu’il veut – vous perdrez votre rançon, moi la vie.

Nous sommes dans une impasse alors, dit l’homme en noir.

J’en ai peur, dit le Sicilien. Je ne peux pas rivaliser avec vous physiquement, et vous n’êtes pas l’égal de mon esprit.

Vous êtes si intelligent ?

Il n’y a pas de mots pour contenir ma sagesse. Je suis tellement rusé, malin et ingénieux, tellement plein de fourberie, d’astuce et de chicanerie, un tel filou, tellement perspicace, méfiant autant que calculateur, aussi diabolique que je suis finaud, aussi retors que je suis peu fiable… eh bien, je vous ai dit qu’il n’y avait pas de mots déjà inventés pour expliquer combien mon esprit est grand, mais laissez-moi vous le dire ceci : le monde est vieux de plusieurs millions d’années et plusieurs milliards de personnes ont à un moment ou à un autre marché dessus, mais moi, Vizzini le Sicilien, suis, en parlant avec une pure candeur et modestie, l’homme le plus futé, le plus malin qui ait jamais eu de l’importance.

Dans ce cas, dit l’homme en noir, je vous défie à une bataille d’intelligences. »

Vizzini était obligé de sourire. « Pour la Princesse ?

Vous lisez mes pensées.

C’est juste que cela semble ainsi, je vous l’ai dit. C’est simplement de la logique et de la sagesse. À mort ?

Encore correct.

J’accepte, cria Vizzini. Commençons la bataille !

Versez le vin, » dit l’homme en noir.

Vizzini remplit les deux gobelets avec un liquide d’un rouge profond.

L’homme en noir tira de son habit noir un petit paquet et le tendit au bossu. « Ouvrez-le et humez-le, mais faites attention de ne pas le toucher. »

Vizzini prit le paquet et suivit les instructions. « Je ne sens rien. »

L’homme en noir reprit le paquet. « Ce que vous ne sentez pas s’appelle de la poudre d’iocane. C’est sans odeur, sans goût et cela se dissout immédiatement dans n’importe quelle sorte de liquide. Il se trouve aussi que c’est le poison le plus mortel connu. »

Vizzini commençait à être excité.

« Je suppose que vous ne me tendriez pas les gobelets, » dit l’homme en noir.

Vizzini secoua la tête. « Prenez-les vous-même. Mon long couteau ne quitte pas sa gorge. »

L’homme en noir se baissa pour atteindre les gobelets. Il les prit et se retourna.

Vizzini caquetait d’excitation.

L’homme en noir s’affaira un long moment. Puis il se tourna de nouveau avec un gobelet dans chaque main. Très soigneusement, il posa le gobelet dans sa main droite en face de Vizzini et posa le gobelet dans sa main gauche de l’autre côté du mouchoir. Il s’assit devant le gobelet gauche, et posa le paquet d’iocane vide à côté du fromage.

« Devinez, dit-il. Où est le poison ?

Deviner ? cria Vizzini. Je ne devine pas. Je pense. Je réfléchis. Je déduis. Puis je décide. Mais je ne devine jamais.

La bataille d’intelligences a commencé, dit l’homme en noir. Elle finira quand vous choisirez et nous boirons le vin et nous verrons qui a raison et qui est mort. Nous boirons tous les deux, ai-je besoin d’ajouter, et avalerons, naturellement, au même moment.

Tout cela est tellement simple, dit le bossu. Tout ce que j’ai à faire c’est de déduire, de ce que je sais de vous, de quelle façon marche votre esprit. Êtes-vous le type d’homme qui mettrait le poison dans son propre verre, ou dans le verre de l’ennemi ?

Vous calez, dit l’homme en noir.

Je savoure, voilà ce que je fais, répondit le Sicilien. Personne n’a défié mon esprit depuis des années et j’adore ça… À propos, puis-je sentir les deux verres ?

Je vous en prie. Faites seulement attention de les poser comme vous les avez trouvés. »

Le Sicilien renifla son verre ; puis il prit le gobelet de l’homme en noir de l’autre côté du mouchoir et le renifla. « Comme vous l’avez dit, inodore.

Comme je l’ai dit aussi, vous calez. »

Le Sicilien sourit et regarda les gobelets de vin. « Alors un vrai fou, commença-t-il, placerait le vin dans son propre gobelet, parce qu’il saurait que seul un autre vrai fou prendrait d’abord ce qu’on lui a donné. Je ne suis clairement pas un vrai fou, alors je ne prendrai pas votre vin.

C’est votre dernier mot ?

Non. Parce que vous saviez que je ne suis pas un vrai fou, alors vous saviez que je ne tomberais jamais dans un tel piège. Vous comptiez dessus. Alors je ne vais clairement pas prendre le mien non plus.

Continuez, dit l’homme en noir.

J’en ai bien l’intention. » Le Sicilien réfléchit un moment. « Nous avons donc décidé que le gobelet empoisonné est plus probablement devant vous. Mais le poison est une poudre faite à partir d’iocane et l’iocane vient uniquement d’Australie et l’Australie, comme tout le monde le sait, est peuplée de criminels et les criminels ont l’habitude qu’on ne leur fasse pas confiance, et je ne vous fais pas confiance, ce qui signifie que je ne peux clairement pas choisir le vin devant vous. »

L’homme en noir commençait à être nerveux.

« Mais, encore une fois, vous devez avoir suspecté que je connaissais les origines de l’iocane, alors vous deviez savoir que je connaissais les criminels et le comportement criminel, et donc je ne peux clairement pas choisir le vin devant moi.

Vraiment vous avez une intelligence vertigineuse, murmura l’homme en noir.

Vous avez battu mon Turc, ce qui veut dire que vous êtes exceptionnellement fort, et les hommes exceptionnellement forts sont convaincus qu’ils sont trop puissants pour jamais mourir, trop puissants même pour le poison d’iocane, alors vous pouviez le mettre dans votre propre coupe, faisant confiance à votre force pour vous sauver ; donc je ne peux clairement pas choisir le vin devant vous. »

L’homme en noir était très nerveux maintenant.

« Mais vous avez aussi surpassé mon Espagnol, ce qui signifie que vous devez avoir étudié, parce qu’il avait étudié de nombreuses années pour avoir son excellence, et si vous pouvez étudier, vous êtes clairement plus que simplement fort ; vous êtes conscient que nous sommes tous mortels, et vous ne voulez pas mourir, alors vous avez gardé le poison aussi loin que possible de vous ; donc je ne peux clairement pas choisir le vin devant moi.

Vous essayez seulement de me faire dire quelque chose avec tout ce bavardage, dit l’homme en noir rageusement. Eh bien ça ne marche pas. Vous n’apprendrez rien de moi, je vous le promets.

J’ai déjà tout appris de vous, dit le Sicilien. Je sais où est le poison.

Seul un génie aurait pu déduire cela.

Comme c’est heureux qu’il se trouve que j’en suis un, » dit le bossu, de plus en plus amusé maintenant.

« Vous ne me faites pas peur, » dit l’homme en noir, mais il y avait de la peur dans sa voix.

« Buvons-nous alors ?

Prenez, choisissez, arrêtez de patauger, vous ne savez pas, vous ne pouvez pas savoir. »

Le Sicilien ne fit que sourire devant l’explosion. Puis un regard étrange passa sur son visage et il pointa le doigt derrière l’homme en noir. « Qu’est-ce que cela peut-il bien être ? » demanda-t-il.

L’homme en noir se tourna et regarda. « Je ne vois rien.

Oh, bon, j’aurais juré avoir vu quelque chose, peu importe. » Le Sicilien commença à rire.

« Je ne vois pas ce qu’il y a de si drôle, dit l’homme en noir.

Je vais vous le dire, dit le bossu. Mais d’abord buvons. »

Et il prit son gobelet de vin.

L’homme en noir prit celui qui était devant lui.

Ils burent.

« Vous vous êtes trompé, dit l’homme en noir.

Vous pensez que je me suis trompé, » dit le Sicilien, riant encore plus fort. « C’est si drôle. J’ai échangé les verres quand vous aviez le dos tourné. »

L’homme en noir n’avait rien à dire.

« Idiot ! cria le bossu. Vous vous êtes fait avoir par une blague classique. On connaît "ne prenez jamais part à une guerre en Asie", mais on connaît aussi "n’ayez jamais tort face à un Sicilien quand il est question de mort". »

Il fut assez gai jusqu’à ce que la poudre d’iocane fît effet.

L’homme en noir enjamba rapidement le corps, puis déchira le bandeau qui était sur les yeux de la Princesse.

« J’ai entendu tout ce qui est arr… » commença Bouton d’Or, et puis elle dit : « Oh » parce qu’elle n’avait jamais été à côté d’un mort avant. « Vous l’avez tué, murmura-t-elle finalement.

Laissez-le mourir en riant, dit l’homme en noir. Priez pour que j’en fasse autant pour vous. » Il la souleva, déchira ses liens, la posa sur ses pieds, commença à la traîner derrière lui.

« S’il vous plaît, dit Bouton d’Or. Laissez-moi me reposer un moment. » L’homme en noir relâcha sa prise.

Bouton d’or frotta ses poignets, s’arrêta, massa ses chevilles. Elle lança un dernier regard au Sicilien. « Penser que, murmura-t-elle, tout ce temps c’était votre coupe qui était empoisonnée.

Elles étaient toutes les deux empoisonnées, dit l’homme en noir. J’ai passé deux ans à m’immuniser contre la poudre d’iocane. »

Bouton d’Or leva les yeux sur lui. Il était terrifiant, masqué et cagoulé et dangereux ; sa voix était tendue et râpeuse. « Qui êtes-vous ? demanda-t-elle.

Je suis quelqu’un dont il ne faut pas se jouer, répliqua l’homme en noir. C’est tout ce que vous aurez jamais besoin de savoir. » Et cela dit il la mit debout. « Vous avez eu tout votre temps. » De nouveau il la tira après lui, et cette fois elle ne pouvait rien faire d’autre que le suivre.

Ils avancèrent le long du sentier de montagne. La lumière de la lune était très brillante, et il y avait des pierres partout, et pour Bouton d’Or tout cela paraissait mort et jaune, comme la lune. Elle venait juste de passer plusieurs heures avec trois hommes qui se préparaient ouvertement à la tuer. Alors pourquoi, se demandait-elle, était-elle plus effrayée maintenant qu’alors ? Qui était cette horrible personne cagoulée pour susciter ainsi tant de peur en elle ? Qu’est-ce qu’il pouvait y avoir de pire que la mort ? « Je vous donnerais beaucoup d’argent pour me relâcher, » parvint-elle à dire.

L’homme en noir lui lança un regard. « Vous êtes riche, alors ?

Je le serai, dit Bouton d’Or. Quoi que vous vouliez comme rançon, je promets que je vous l’obtiendrai si vous me laissez partir. »

L’homme en noir s’esclaffa.

« Je ne parlais pas pour plaisanter.

Vous promettez ? Vous ? Je devrais vous relâcher sur votre promesse ? Qu’est-ce que cela vaut ? La parole d’une femme ? Oh, c’est très drôle, altesse. Plaisanterie ou pas. » Ils continuaient le long du sentier de montagne à découvert. L’homme en noir s’arrêta alors. Il y avait un million d’étoiles se battant pour la prééminence et pendant un moment il sembla être absorbé ou rien de moins qu’en train de toutes les étudier, comme Bouton d’Or regardait ses yeux passer de constellation en constellation derrière son masque.

Puis, sans prévenir, il sortit du sentier, se dirigeant dans la nature, la tirant derrière lui.

Elle trébucha ; il la remit sur pied ; à nouveau elle tomba, à nouveau il la releva.

« Je ne peux pas avancer si vite.

Vous pouvez ! Et vous allez le faire ! Ou vous allez énormément souffrir. Pensez-vous que je pourrais vous faire énormément souffrir ? »

Bouton d’Or hocha la tête.

« Alors courez ! » cria l’homme en noir, et il se mit à courir, voulant sur les rochers dans la lumière de la lune, tirant la Princesse derrière lui.

Elle fit son mieux pour le suivre. Elle était effrayée de ce qu’il allait faire d’elle, alors elle n’osait pas tomber à nouveau.

Après cinq minutes, l’homme en noir s’arrêta net. « Reprenez votre respiration, » commanda-t-il.

Bouton d’Or hocha la tête, haleta, essaya de calmer son cœur. Mais alors ils étaient de nouveau partis, sans prévenir, se précipitant à travers le terrain montagneux, se dirigeant…

« Où… m’emmenez-vous ? » haleta Bouton d’Or quand il lui donna de nouveau une chance de se reposer.

« Sûrement quelqu’un d’aussi arrogant que vous ne peut s’attendre à ce que je vous donne une réponse.

Cela n’a pas d’importance si vous me le dites ou pas. Il vous trouvera.

"Il", altesse ?

Le prince Humperdinck. Il n’y a pas meilleur chasseur. Il peut traquer un faucon un jour nuageux ; il peut vous trouver.

Vous avez l’espoir que votre cher amour vous sauvera, n'est-ce pas ?

Je n’ai jamais dit qu’il était mon cher amour, et oui, il me sauvera ; ça je le sais.

Vous admettez ne pas aimer votre futur mari ? Farfelu. Une femme honnête. Vous êtes un spécimen, altesse.

Le Prince et moi n’avons jamais depuis le début menti l’un à l’autre. Il sait que je ne l’aime pas.

Que vous n’êtes pas capable d’amour, c’est ce que vous voulez dire.

Je suis tout à fait capable d’amour, dit Bouton d’Or.

Tenez votre langue, je pense.

J’ai aimé plus profondément qu’aucun assassin comme vous puisse imaginer. »

Il la gifla.

« C’est la punition pour avoir menti, altesse. D’où je viens, quand une femme ment, elle est punie.

Mais j’ai dit la vérité, c’est vrai, je… » Bouton d’Or vit sa main se lever une seconde fois, alors elle arrêta rapidement, devint silencieuse comme une morte.

Puis ils commencèrent à courir à nouveau.

Ils ne parlèrent pas pendant des heures. Ils courraient simplement, et puis, comme s’il pouvait deviner quand elle n’en pouvait plus, il s’arrêtait, relâchait sa main. Elle essayait de reprendre son souffle pour la prochaine course qu’elle savait imminente. Sans un son, il l’attrapait et ils étaient partis de nouveau.

C’était presque le crépuscule quand ils aperçurent la première fois l’Armada.

Ils couraient le long du bord d’un ravin imposant. Ils semblaient être pratiquement au sommet du monde. Quand ils s’arrêtèrent, Bouton d’Or s’effondra pour se reposer. L’homme en noir se tenait silencieux au-dessus d’elle. « Votre amour arrive, il n’est pas seul, » dit-il alors.

Bouton d’Or ne comprit pas.

L’homme en noir pointa vers le chemin qu’ils avaient fait.

Bouton d’Or regarda, et alors qu’elle regardait, les eaux du détroit de Florin semblaient remplies de lumière comme le ciel était rempli d’étoiles.

« Il doit avoir lancé tous les navires de Florin après vous, dit l’homme en noir. Un tel spectacle n’a jamais été vu. » Il regardait toutes les lanternes sur tous les navires comme ils bougeaient.

« On ne peut jamais lui échapper, dit Bouton d’Or. Si vous me relâchez, je promets qu’il ne vous arrivera rien.

Vous êtes bien trop généreuse ; je ne pourrais jamais accepter une telle offre.

Je vous ai offert votre vie, c’était bien assez généreux.

Altesse ! » dit l’homme en noir, et ses mains étaient soudainement sur sa gorge. « Si on parle de prendre une vie, laissez-moi le faire.

Vous ne me tuerez pas. Vous ne m’avez pas volé à des assassins pour m’assassiner vous-même.

Sage autant qu’aimante, » dit l’homme en noir. Il l’a mis sur pied, et ils coururent le long du bord du grand ravin. Il était profond de cent mètres, et rempli de rochers et d’arbres et de grandes ombres. Abruptement, l’homme en noir s’arrêta, baissa les yeux sur l’Armada. « Pour être honnête, dit-il, je ne m’attendais pas à tant.

On ne peut jamais prédire mon Prince ; c’est pourquoi il est le plus grand chasseur.

Je me demande, dit l’homme en noir, s’il va rester en un seul groupe ou s’il va se diviser, un groupe qui cherche la côte, un autre qui suivra vos pas sur terre ? Qu’en pensez-vous ?

Je sais seulement qu’il me trouvera. Et si vous ne m’avez pas rendu ma liberté auparavant, il ne vous traitera pas gentiment.

Il doit sûrement avoir parlé de choses avec vous ? Le frisson de la chasse. Qu’a-t-il fait dans le passé avec tant de navires ?

Nous ne parlons pas de chasse, ça je peux vous l’assurer.

Pas de chasse, pas d’amour, de quoi parlez-vous ?

Nous ne nous voyons pas très souvent.

Tendre couple. »

Bouton d’Or pouvait sentir la colère monter. « Nous sommes toujours très honnêtes l’un envers l’autre. Tout le monde ne peut pas en dire autant.

Puis-je vous dire quelque chose, altesse ? Vous êtes très froide…

Je ne suis pas…

—… très froide et très jeune, et si vous vivez, je pense que vous deviendrez une insensible…

Pourquoi me harcelez-vous ? Je me suis arrangée avec ma vie, et c’est mon affaire… Je ne suis pas froide, je le jure, mais j’ai décidé certaines choses, il vaut mieux que j’ignore les émotions ; je n’ai pas été heureuse quand j’y ai eu affaire… » Son cœur était un jardin secret et les murs étaient très hauts. « J’ai aimé une fois, dit Bouton d’Or après un moment. Cela s’est mal fini.

Un autre homme riche ? Oui, et il vous a quitté pour une femme plus riche.

Non. Pauvre. Pauvre et cela l’a tué.

Étiez-vous désolée ? Avez-vous souffert ? Admettez que vous ne ressentiez rien…

Ne vous moquez pas de mon chagrin ! Je suis morte ce jour-là. »

L’Armada commença à donner le signal de mise à feu des canons. Les explosions retentirent à travers les montagnes. L’homme en noir regardait les navires commencer à changer de formation.

Et pendant qu’il regardait les navires, Bouton d’Or le poussa avec toute la force qu’il lui restait.

Pendant un moment, l’homme en noir chancela au bord du ravin. Ses bras tournoyaient comme des moulins à vent se battant pour garder l’équilibre. Ils tournaient et agrippaient l’air et puis il commença de glisser.

En bas tomba l’homme en noir.

Trébuchant et déchiré et essayant d’arrêter sa chute, mais le ravin était trop escarpé, et rien ne pouvait y faire.

Plus bas, plus bas.

Roulant sur les rochers, tournoyant, hors de contrôle.

Bouton d’Or regardait ce qu’elle avait fait.

Finalement il s’arrêta loin sous elle, silencieux et sans bouger. « Vous pouvez mourir aussi pour ce que j’en ai à faire, » dit-elle, et puis elle se retourna.

Des mots la suivirent. Murmurés de loin, faibles et chauds et familiers. « Comme… vous… voulez… »

L’aube dans les montagnes. Bouton d’Or se tourna vers la source du son et baissa les yeux alors que, dans le premier rayon, l’homme en noir se débattait pour enlever son masque.

« Oh, mon doux Westley, dit Bouton d’Or. Qu’est-ce que je t’ai fait maintenant ? »

Du pied du ravin, il ne vint que le silence.

Bouton d’Or n’hésita pas un instant. En bas, elle vint après lui, restant sur ses pieds au mieux qu’elle pouvait, et alors qu’elle descendait, elle crut l’entendre crier après elle encore et encore, mais elle ne pouvait pas donner de sens à ses mots, parce qu’à l’intérieur d’elle maintenant il y avait le tonnerre de murs s’écroulant, et cela faisait assez de bruit.

De plus, son équilibre avait vite disparu et le ravin l’avait pour lui. Elle tomba vite et elle tomba dur, mais qu’est-ce que cela faisait, puisqu’elle serait joyeusement tombée de mille mètres dans un lit de clous si Westley l’y attendait.

Plus bas, plus bas.

Ballottée et tournoyante, s’écrasant, déchirée, hors de contrôle, elle roula et se tordit et plongea, atterrissant vers ce qu’il restait de son bien-aimé…

* * *

De sa position à la tête de l’Armada, le prince Humperdinck regardait vers les Falaises de la Démence. C’était comme n’importe quelle autre chasse. Il se forçait à ne pas penser à la proie. Cela n’avait pas d’importance si vous étiez après une antilope ou une future épouse ; la méthode était la même. On rassemblait des preuves. Puis on agissait. On étudiait, puis on s’exécutait. Si on étudiait trop peu, les chances étaient fortes pour que les actions soient également trop tard. Il fallait prendre son temps. Et donc, figé dans ses pensées, il continuait de regarder le mur à pic des Falaises.

Visiblement, quelqu’un les avait récemment grimpées. Il y avait des traces de pas jusqu’en haut sur une ligne droite, ce qui signifiait, assez certainement, une corde, une montée à la main sur une corde de mille mètres avec d’occasionnels coups de pieds pour garder l’équilibre. Faire une telle escalade demandait à la fois de la force et de la préparation, alors le Prince fit ses marques dans sa tête : mon ennemi est fort, mon ennemi n’est pas impulsif.

Maintenant ses yeux se levaient vers un point peut-être à trois cents mètres du sommet. Ici ça commençait à devenir intéressant. Maintenant les traces de pas étaient plus profondes, plus fréquentes, et elles ne suivaient pas une ligne ascendante directe. Soit quelqu’un avait intentionnellement laissé la corde à trois cents mètres du sommet, ce qui n’avait aucun sens, soit la corde avait été coupée pendant que quelqu’un était encore à trois cents mètres de l’arrivée en lieu sûr. Car clairement, cette dernière partie de l’escalade avait été faite à même la façade rocheuse. Mais qui avait un tel talent ? Et pourquoi avait-il dû l’utiliser à un moment si dangereux, à sept cents mètres du désastre ?

« Je dois examiner le somment des Falaises de la Démence, » dit le Prince, sans prendre la peine de se retourner.

Derrière lui, le comte Rugen dit seulement : « D’accord, » et attendit d’autres instructions.

« Envoyez la moitié de l’Armada au sud le long de la côte, l’autre moitié au nord. Elles devraient se rencontrer au crépuscule près des Marais de Feu. Notre navire ira vers le premier endroit possible pour débarquer, et vous me suivrez avec vos soldats. Préparez les Blancs. »

Le conte Rugen fit un signe aux canonniers, et les instructions du Prince retentirent le long des Falaises. En quelques minutes, l’Armada avait commencé à se diviser, avec seulement le bateau géant du Prince navigant seul près de la côte, cherchant une possibilité de débarquement.

« Là ! » ordonna le Prince, peu de temps après, et son navire commença à manœuvrer dans la crique pour trouver une place sûre pour jeter l’ancre. Cela prit du temps, mais pas trop, parce que le Capitaine était habile et, de plus, le Prince perdait vite patience et personne n’osait s’y risquer.

Humperdinck sauta du navire sur le rivage, une planche fut posée, et les blancs furent menés sur la terre ferme. De tous ces accomplissements, rien ne satisfaisait plus le Prince que ces chevaux. Un jour, il en aurait une armée, mais garder la lignée parfaite était un travail lent. Il avait maintenant quatre blancs et ils étaient identiques. De neigeux géants, infatigables. Ils faisaient deux mètres. Dans la plaine, rien ne pouvait les rattraper, et même dans les collines ou sur un terrain rocailleux, il n’y avait que les Arabes pour les égaler. Le Prince, quand il était pressé, les chevauchait tous les quatre, à cru, de la seule façon qu’il chevauchait jamais, montant l’un, menant les trois autres, changeant de bête dans la foulée, pour qu’aucun animal n’ait à supporter son poids jusqu’au point d’épuisement.

Et maintenant il monta et était parti.

Cela lui prit considérablement moins d’une heure pour atteindre le sommet des Falaises de la Démence. Il démonta, se mit à genoux, commença à étudier le terrain. Il y avait eu une corde attachée à un chêne géant. L’écorce à la base était cassée et déchirée, donc probablement celui qui avait atteint en premier le sommet avait détaché la corde et celui qui avait été sur la corde à ce moment était à trois cents mètres du pic et avait d’une façon ou d’une autre survécu à l’escalade.

Un grand fouillis de pas le troubla. C’était dur d’établir ce qu’il s’était passé. Peut-être une assemblée, parce que deux traces de pas semblaient mener plus loin pendant qu’une autre arpentait le sommet de la falaise. Puis il y en avait deux sur le sommet de la falaise. Humperdinck examina les traces jusqu’à ce qu’il soit certain de deux choses : (1) un combat d’escrime avait eu lieu, (2) les combattants étaient tous les deux des maîtres. La longueur de la foulée, la rapidité des feintes des jambes, tout clairement révélé à son œil infaillible, le faisait réévaluer sa seconde conclusion. Ils étaient au moins des maîtres. Probablement meilleurs.

Puis il ferma les yeux et se concentra sur l’odeur du sang. Sûrement, dans un combat d’une telle férocité, le sang avait dû couler. Maintenant il s’agissait de mettre son corps entier au service de son odorat. Le prince avait travaillé à cela depuis de nombreuses années, depuis qu’une tigresse blessée l’avait surpris d’une grosse branche d’arbre pendant qu’il la traquait. Alors il avait laissé ses yeux suivre les traces de sang, et cela l’avait presque tué. Maintenant il ne faisait confiance qu’à ses olfacteurs. S’il y avait du sang dans les cent mètres, il le trouverait.

Il ouvrit les yeux, avança sans hésitation vers un groupe de grands rochers jusqu’à ce qu’il trouve les gouttes de sang. Il y en avait peu, et elles étaient sèches. Mais avaient moins de trois heures. Quand on avait les blancs, trois heures devenaient un claquement de doigts.

Il retraça alors le duel, car cela le troublait. Il semblait s’étendre du sommet de la falaise vers son point de départ, puis retourner au sommet de la falaise. Et quelquefois c’était le pied gauche qui semblait mener, quelquefois le droit, ce qui n’avait aucun sens logique. Clairement les escrimeurs changeaient de main, mais pourquoi un maître ferait-il cela à moins que son bras habituel soit blessé au point d’être inutile, et cela n’était clairement pas arrivé, parce qu’une blessure de cette profondeur aurait laissé des traces de sang et il n’y avait simplement pas assez de sang dans les environs pour indiquer ça.

Étrange, étrange. Humperdinck continua son chemin. Encore plus étrange, la bataille n’avait pas pu se finir par une mort. Il s’agenouilla près de la trace d’un corps. Clairement, un homme était resté étendu inconscient ici. Mais encore, pas de sang.

« Il y a eu un terrifiant duel, » dit le prince Humperdinck, dirigeant son commentaire vers le comte Rugen, qui l’avait finalement rattrapé, suivi d’un contingent de cavaliers en armes. « Je dirais que… » Et pendant un instant le Prince fit une pause, suivant les traces de pas. « Que celui qui est tombé ici, s’est enfui par là, » et il pointa une direction, « et que celui qui fut victorieux est parti le long du sentier de montagne dans la direction pratiquement opposée. Mon opinion est aussi que le vainqueur suivait les pas pris par la Princesse.

Devons-nous les suivre tous les deux ? demanda le Comte.

Je ne pense pas, répliqua le prince Humperdinck. Celui qui est parti est d’une importance minime, étant donné que celui qui a la Princesse est celui que nous poursuivons. Et parce que nous ne connaissons pas la nature du piège dans lequel nous sommes peut-être menés, nous avons besoin de tous les bras que nous avons en un seul groupe. Clairement, cela a été planifié par des paysans de Guilder, et rien n’est trop pour eux.

Vous pensez que c’est un piège ? demanda le Comte.

Je pense toujours que tout est un piège jusqu’à ce qu’on me prouve le contraire, répondit le Prince. C’est pourquoi je suis toujours en vie »

Et cela dit, il était de nouveau sur un blanc et en train de galoper.

Quand il atteint le sentier de montagne où s’était passé le combat à main nue, le Prince ne prit même pas la peine de mettre pied à terre. Tout ce qui devait être vu était assez visible du cheval.

« Quelqu’un a battu un géant, » dit-il, quand le comte fut assez près. « Le géant a fui, vous voyez ? »

Le Comte, bien sûr, ne vit rien que des rochers et le sentier de montagne. « Je ne pense pas à douter de vous.

Et regardez là ! » cria le Prince, parce que maintenant il voyait, pour la première fois, dans les gravats du sentier de montagne, les traces de pas d’une femme. « La Princesse est vivante ! »

Et de nouveau les blancs tonnaient à travers la montagne.

Quand le Comte le rattrapa à nouveau, le Prince était à genoux à côté du corps d’un bossu. Le Comte mit pied à terre. « Sentez ça, » dit le Prince, et il tendit un gobelet.

« Rien, dit le Comte. Aucune odeur.

Iocane, répliqua le Prince. Je parierais ma vie dessus. Je ne connais rien d’autre qui tue si silencieusement. » Il se leva alors. « La Princesse était toujours vivante ; ses pas suivent le sentier. » Il cria aux cent cavaliers : « Il y aura beaucoup de souffrance en Guilder si elle meurt ! » À pied maintenant, il courait le long du sentier de montagne, suivant les traces de pas qu’il était seul à voir. Et quand ces pas quittèrent le sentier, il continua de les suivre. Épuisés, le Comte et les cavaliers firent de leur mieux pour le suivre. Les hommes trébuchaient, les chevaux tombaient, même le Comte chancelait de temps en temps. Le prince Humperdinck ne ralentissait même pas. Il courait fermement, mécaniquement, ses jambes en tonneaux se levant comme des métronomes.

C’était deux heures après le crépuscule quand il atteint le ravin escarpé.

« Bizarre, » dit le Comte, qui était considérablement fatigué.

Le Comte continua à respirer profondément.

« Deux corps sont tombés au fond, et ils ne sont pas remontés.

C’est bizarre, réussit à dire le Comte.

Non, ce n’est pas ce qui est bizarre, corrigea le Prince. Clairement, le kidnappeur n’est pas remonté parce que l’escalade était trop raide, et nos canons ont dû lui faire comprendre qu’ils étaient suivis de près. Sa décision, que j’applaudis, était de gagner du temps en courant au fond du ravin. »

Le Comte attendit que le Prince continue.

« C’est seulement bizarre qu’un homme qui est un maître d’escrime, un vainqueur de géant, un expert de la poudre d’iocane, ne sût pas à quoi menait le ravin.

Et c’est quoi ? demanda le Comte.

Le Marais de Feu, dit le prince Humperdinck.

Alors nous le tenons, dit le Comte.

Précisément. » C’était un trait très connu de lui que de sourire juste avant de tuer ; son sourire était très évident maintenant…

* * *

Westley, en effet, n’avait pas la moindre idée de courir droit dans le Marais de Feu. Il savait seulement, une fois que Bouton d’Or fut en bas au fond du ravin à côté de lui, qu’escalader prendrait, comme l’a deviné le prince Humperdinck, trop de temps. Westley nota simplement que le fond du ravin était de roche plate et qu’il menait dans la direction générale où il voulait aller. Alors lui et Bouton d’Or couraient, tous les deux bien conscients que des forces gigantesques les suivaient, et, indubitablement, rattrapaient leur avance.

Le ravin devint de plus en plus escarpé alors qu’ils avançaient, et Westkey réalisa bientôt que même s’il avait pu l’aider dans la montée, maintenant il n’y avait simplement aucune chance d’y arriver. Il avait fait son choix et il n’y avait aucun changement possible : là où menait le ravin était leur destination, et, assez simplement, c’était tout.

(À ce point de l’histoire, ma femme veut savoir pourquoi elle se sent violemment trompée de ne pas avoir la scène de réconciliation au fond du ravin entre les amants. Ma réponse…

* * *

C’est moi, et je n’essaie pas d’être déroutant, mais le paragraphe précédent dans lequel je coupe maintenant c’est mot pour mot du Morgenstern ; il faisait continuellement référence à sa femme dans le livre avant l’abrègement, disant qu’elle aimait le passage suivant ou qu’elle pensait que, globalement, le livre était extraordinairement brillant. Mme Morgenstern faisait rarement autre chose que soutenir son mari, à la différence de certaines femmes que je pourrais mentionner (désolé, Helen), mais voilà ce qu’il s’est passé : je me suis débarrassé de pratiquement toutes les intrusions où il nous parlait d’elle. Je ne pensais pas que le procédé ajoutât beaucoup, et, de plus, il était tout le temps en train de se complimenter à travers elle et aujourd’hui nous savons que faire trop de bruit autour de quelque chose fait plus de mal que de bien, comme tout candidat politique vaincu vous le dirait en payant sa redevance télévisuelle. Le truc c’est que j’ai laissé cette référence particulière parce que, pour une fois, il se trouve que j’approuve totalement Mme Morgenstern. Je pense que c’était injuste de ne pas montrer les retrouvailles. Alors j’en ai écrit une moi-même, ce que je pensais que Bouton d’Or et Westley pourraient avoir dit, mais Hiram, mon éditeur, pense que ça me rend ici aussi injuste que Morgenstern. Si on doit abréger un livre en coupant dans les mots mêmes de l’auteur, on ne peut pas en plus en rajouter à soi. C’était l’opinion d’Hiram, et nous y sommes revenus encore et encore, argumentant durant, je crois, une période d’un mois, face à face, par lettre, au téléphone. Finalement nous sommes arrivés à ce compromis : ceci, ce que vous lisez dans une écriture normale, c’est du Morgenstern strict. Mot pour mot. Coupé, oui ; changé, non. Mais j’ai réussi à faire accepter à Hiram qu’Harcourt imprimerait au moins ma scène – Ballantine a accepté de faire de même – ça ne fait que trois pages ; pas grand-chose – et si l’un d’entre vous veut voir de quoi ça a l’air, mettez un mot ou envoyez une carte postale à Urban del Rey à Ballantine Books, 201 East 50th street, New York City, et dites seulement que vous voudriez avoir la scène de retrouvailles. N’oubliez pas de mettre votre adresse ; vous seriez étonné du nombre de personnes qui écrivent pour des choses et ne mettent pas leur adresse. Les éditeurs ont accepté de payer pour les frais de port, alors votre dépense totale ce n’est que la carte postale ou quoi. Cela m’énerverait vraiment s’il se trouvait que je sois le seul écrivain américain moderne qui donne l’impression d’avoir été généreux avec sa maison d’édition (ils puent tous – désolé, M. Jovanovitch), alors laissez-moi ajouter ici que la raison pour laquelle ils sont si généreux de payer l’énorme facture de timbre c’est qu’ils s’attendent vraiment à ce que personne n’écrive. Alors s’il vous plaît, si vous y prenez le moindre intérêt ou même si vous n’en prenez aucun, écrivez pour ma scène de réconciliation. Vous n’avez pas besoin de la lire – je ne le demande pas – mais j’adorerais coûter quelques dollars à ces éditeurs de génie, parce que, reconnaissons-le, ils ne dépensent pas plus que ça pour faire de la pub sur mes livres. Laissez-moi juste répéter l’adresse pour vous, code postal et tout :

Urban del Rey

Ballantine Books

201 East 50thStreet

New York, New York 100221

et demandez juste votre copie de la scène de retrouvailles. Ça a été plus long que je ne le pensais, alors je vais répéter le paragraphe de Morgenstern que j’ai interrompu ; ça sera plus facile à lire. C’est parti.

* * *

(À ce point de l’histoire, ma femme veut savoir pourquoi elle se sent violemment trompée de ne pas avoir la scène de réconciliation au fond du ravin entre les amants. Ma réponse est simplement celle-ci : (a) chaque créature de Dieu, de la plus petite à la plus grande, a le droit à au moins quelques moments de véritable intimité. (b) Ce qui s’est en fait dit, bien que ce ait été assez émouvant pour ceux impliqués à ce moment-là, retombe comme un soufflet une fois sur le papier : « ma colombe », « mon précieux », « bonheur, bonheur », et cetera. (c) Rien d’important ni de révélateur ne fut raconté, parce que chaque fois que Bouton d’Or commençait : « Parle-moi de toi », Westley la coupait rapidement avec « plus tard, mon amour ; ce n’est pas le moment ». Cependant, il faut préciser, pour être juste, que (1) il pleura ; (2) les yeux de Bouton d’Or ne restèrent pas précisément secs ; (3) il y eut plus d’un baiser ; et (4) tous les deux admirent, sans aucune qualification quelle qu’elle soit, qu’ils étaient plus que contents de se voir. De plus, (5) en un quart d’heure, ils se disputaient. Cela commença assez innocemment, les deux étant à genoux, se faisant face, Westley tenant son visage parfait dans ses mains habiles. « Quand je t’ai quittée, murmura-t-il, tu étais déjà plus belle que tout ce que j’osais rêver. Toutes ces années au loin, mon imagination fit de son mieux pour améliorer ta perfection. La nuit, ton visage était tout le temps devant mes yeux. Et maintenant je vois que cette vision qui m’a tenu compagnie dans ma solitude était celle d’une sorcière comparée à la beauté qui est maintenant devant moi.

Assez parlé de ma beauté, dit Bouton d’Or. Tout le monde dit toujours combien je suis belle. J’ai un cerveau, Westley. Parle-moi de ça.

Je le ferais pour l’éternité, lui dit-il. Mais maintenant nous n’avons pas le temps. » Il se mit sur pied. La descente du ravin l’avait secoué et meurtri, mais tous ses os avaient survécu au voyage indemne. Il l’aida à se lever.

« Westley ? dit alors Bouton d’Or. Juste avant que je descende vers toi, quand j’étais encore là haut, j’ai pu t’entendre dire quelque chose mais les mots étaient confus.

J’ai oublié ce que c’était.

Très mauvais menteur. »

Il lui sourit et l’embrassa sur la joue. « Ce n’est pas important, crois-moi ; le passé a une manière d’être le passé.

Nous ne devons pas commencer à avoir des secrets. » Elle le pensait.

Il pouvait le voir. « Fais-moi confiance, essaya-t-il.

Je te fais confiance. Alors dis-le-moi ou donne-moi des raisons de ne pas me le dire. »

Westley soupira. « Ce que j'essayais de te dire, ma douce bien-aimée ; ce que je criais, en fait, avec tout ce qu’il me restait, c’était : "Quoi que tu fasses, reste là ! Ne descends pas ici ! S’il te plaît !"

Tu ne voulais pas me voir.

Bien sûr que je voulais te voir. Je ne voulais juste pas te voir ici.

Et pourquoi pas ?

Parce que maintenant, ma précieuse, nous sommes d’une certaine façon plus ou moins pris au piège. Je ne peux pas sortir d’ici en escaladant, et t’emmener sans que ça prenne toute la journée. Je ne peux pas sortir moi-même, je pense, sans que ça prenne toute la journée, mais en additionnant ton adorable poids, cela ne risque pas d’arriver.

Balivernes ; tu as escaladé les Falaises de la Démence, et ça ce n’est même pas aussi escarpé.

Et cela m’a fatigué, laisse-moi te le dire. Et après ce petit effort, je me suis frotté à un gars qui s’y connaissait un peu en escrime. Et après ça, j’ai passé de joyeux moments à lutter avec un géant. Et après ça, j’ai dû tromper un Sicilien alors que la moindre erreur signifiait pour toi un couteau dans la gorge. Et après ça j’ai craché mes poumons pendant quelques heures de course. Et après ça j’ai été poussé dans un ravin de deux cents mètres. Je suis fatigué, Bouton d’Or ; est-ce que tu comprends fatigué ? J’ai perdu une nuit, c’est ce que j’essaie de te faire comprendre.

Je ne suis pas stupide, tu sais.

Arrête de te vanter.

Arrête d’être grossier.

Quand était-ce la dernière fois que tu as lu un livre ? Dis-moi la vérité. Et les livres d’images ne comptent pas – je parle de quelque chose avec des lettres. »

Bouton d’Or s’éloigna de lui. « Il y a d’autres choses à lire que des lettres, dit-elle, et la princesse d’Hammersmith est mécontente de vous et pense sérieusement à rentrer chez elle. » Sur ces mots elle se jeta dans ses bras, disant : « Oh, Westley, je ne voulais pas dire ça, je ne voulais pas, je ne voulais pas, pas une seule syllabub. »

Alors Westley savait que ce qu’elle voulait dire c’était « pas une seule syllabe, » parce que le syllabub est quelque chose qui se mange, avec de la crème et du vin mélangés pour former la base2. Mais il reconnaissait aussi des excuses quand il en entendait. Alors il la serra fort, et ferma ses yeux aimants, et murmura seulement : « Je savais que c’était faux, crois-moi, chaque syllabub. »

Et une fois ce problème réglé, ils commencèrent à courir le plus vite possible le long du fond de roche plate du ravin.


* * *


Westley, assez naturellement, avait réalisé considérablement avant Bouton d’Or qu’ils se dirigeaient vers le Marais de Feu. Que ce soit une touche de soufre dans l’air ou l’éclair d’une flamme jaune loin dans la lumière de l’aube, il ne pouvait en être sûr. Mais une fois avoir réalisé ce qui allait arriver, il commença à chercher aussi nonchalamment que possible à l’éviter. Un regard rapide vers le ravin escarpé exclut toute possibilité de faire faire l’escalade à Bouton d’Or. Il se baissa, comme il le faisait régulièrement, pour vérifier la vitesse de leurs poursuivants. Maintenant, il supposa qu’ils étaient à moins d’une demi-heure derrière eux et gagnaient du terrain.

Il se leva et courra avec elle, plus vite, aucun d’eux ne gâchant son souffle à discuter. Cela n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne comprenne où ils allaient bientôt être, alors il décida d’éloigner sa peur panique de toutes les manières possibles. « Je pense que nous pouvons ralentir un peu, » lui dit-il, ralentissant un peu. « Ils sont toujours loin derrière. »

Bouton d’Or prit une profonde inspiration de soulagement.

Westley fit mine de vérifier les alentours. Puis il lui fit son meilleur sourire. « Dans le pire des cas, dit-il, nous devrions bientôt être en sécurité dans le Marais de Feu. »

Bouton d’Or entendit ce qu’il dit, bien sûr. Mais elle ne le prit pas, pas du tout, bien...


* * *


Quelques mots maintenant sur deux sujets associés à l’histoire : (1) les marais de feu en général et (2) le Marais de Feu florin/guildérien en particulier.

(1) Les marais de feu sont, bien sûr, entièrement mal nommés. Pourquoi cela est arrivé, personne ne le sait, même si probablement la sonorité colorée des deux mots ensemble est suffisante. Simplement, il y a des marais qui contiennent un grand pourcentage de bulles de soufre ou d’autres gaz qui explosent continuellement en flammes. Ils sont couverts d'énormes arbres luxuriants qui ombragent le sol, rendant les explosions de flammes particulièrement dramatiques. Parce qu’ils sont sombres, ils sont pratiquement toujours assez humides, et en conséquence attirent les insectes habituels et les communautés d’alligators qui préfèrent un climat humide. En d’autres mots, un marais de feu est juste un marais, point ; le reste c’est de la broderie.

(2) Le Marais de Feu florin/guildérien avait et a quelques caractéristiques bizarres : (a) l'existence de Sables neigeux et (b) la présence de R.D.T.I., à propos desquels je parlerai plus tard. Les Sables neigeux sont habituellement, à nouveau incorrectement, identifiés à des sables mouvants. Rien ne pourrait être moins correct. Les sables mouvants sont humides et détruisent fondamentalement en noyant. Les Sables neigeux sont aussi poudreux que le talc, et détruisent par suffocation.

Plus particulièrement cependant, le Marais de Feu florin/guildérien était utilisé pour faire peur aux enfants. Il n’y avait pas un enfant dans chaque pays qui à un moment ou à un autre n’avait pas été, quand il désobéissait trop, menacé d’abandon dans le Marais de Feu. « Fais ça encore une fois, tu iras dans le Marais de Feu » est aussi commun que « Finis ton assiette ; il y a des gens qui meurent en Chine ». Et donc, comme les enfants grandissent, le danger du Marais de Feu grandissait aussi dans leur imagination. Personne, bien sûr, n’est jamais allé dans le Marais de Feu, même si, plus ou moins chaque année, un R.D.T.I. malade sortait mourir, et sa découverte en rajoutait seulement au mythe et à l’horreur. Le plus grand marais de feu connu est, bien sûr, à un jour de route de Perth. Il est impénétrable et fait quarante-huit kilomètres carrés. Celui qui est entre Florin et Guilder fait à peine le tiers de cette taille. Personne n’a été capable de découvrir s’il est impénétrable ou non.

Bouton d’Or regardait le Marais de Feu. Quand elle était enfant, elle avait passé une année cauchemardesque convaincue qu’elle allait y mourir. Maintenant elle ne pouvait plus faire un pas. Les arbres géants noircissaient le sol devant elle. De toutes parts venaient des flammes inopinées. « Tu ne peux pas me demander ça, dit-elle.

Je le dois.

J’ai rêvé que je mourrais ici.

Moi aussi, tout le monde. Tu avais huit ans ? J’avais huit ans.

Huit. Six. Je ne me rappelle plus. »

Westley prit sa main.

Elle ne pouvait pas bouger. « Nous sommes obligés ? »

Westley hocha la tête.

« Pourquoi ?

Ce n’est pas le moment. » Il la tira gentiment.

Elle ne pouvait toujours pas bouger.

Westley la prit dans ses bras. « Petite ; douce petite. J’ai un couteau. J’ai mon épée. Je n’ai pas traversé le monde pour te perdre maintenant. »

Bouton d’Or regardait autour d’elle pour trouver assez de courage. Évidemment, elle le trouva dans ses yeux.

Finalement, main dans la main, ils avancèrent dans les ombres du Marais de Feu.


* * *

Le prince Humperdinck ouvrait de grands yeux. À califourchon sur un blanc, il étudiait les pas en bas sur le fond du ravin. Il n’y avait simplement pas d’autre solution : le kidnappeur y avait traîné sa princesse.

Le comte Rugen s’assit à côté. « Est-ce qu’ils y sont vraiment allés ? »

Le Prince hocha la tête.

En priant que la réponse soit « non », le Comte demanda : « Pensez-vous que nous devrions les suivre ? »

Le Prince secoua la tête. « Ils vont soit vivre ou mourir là-bas. S’ils meurent, je ne souhaite pas me joindre à eux. S’ils vivent, je les accueillerai de l’autre côté.

C’est trop loin, dit le Comte.

Pas pour mes blancs.

Nous suivrons de notre mieux, » dit le Comte. Il regarda de nouveau vers le Marais de Feu. « Il doit être vraiment désespéré, ou vraiment effrayé, ou vraiment stupide, ou vraiment courageux.

Les quatre à la fois, je pense, » répliqua le Prince...

* * *

Westley ouvrait le chemin. Bouton d’Or se tenait juste derrière, et ils faisaient, depuis le début, un très bon temps. La chose la plus importante, réalisait-elle, c’était d’oublier ses rêves d’enfance, car le Marais de Feu était horrible, mais pas si horrible. L’odeur des gaz s’échappant, qui avait tout d’abord été une vraie punition, diminua bientôt dans la familiarité. Les soudaines explosions de feu pouvaient s’éviter facilement parce que, juste avant qu’elles ne frappent, il y avait une espèce de profond son de bouchon sortant clairement de l’endroit d’où les flammes apparaissaient.

Westley tenait son épée dans sa main droite, son long couteau dans la gauche, attendant le premier R.D.T.I., mais aucun n'apparaissait. Il avait coupé un très long morceau d’une liane solide et l’enroulait sur une de ses épaules et il était occupé à faire ça comme ils avançaient. « Ce que nous allons faire quand j’aurais correctement fini ça, » lui dit-il, avançant fermement sous les arbres géants, « nous nous attacherons l’un à l’autre, donc de cette façon, peu importe l’obscurité, nous serons proches. En fait, je pense que c’est plus de précautions que nécessaire, parce que, pour dire la vérité, je suis presque déçu ; cet endroit est horrible, bien sûr, mais pas si horrible. Tu n’es pas d’accord ? »

Bouton d’Or l’aurait bien voulu, totalement, et elle l’aurait été ; seulement à ce moment-là, les Sables neigeux l’avaient eue.

Westley se tourna juste pour la voir disparaître.

Bouton d’Or avait simplement laissé son attention errer un moment, le sol semblait assez solide, et elle n’avait aucune idée d’à quoi ressemblaient les Sables neigeux de toute façon ; mais une fois que son pied commença à couler, elle ne put pas le retirer, et avant même qu’elle ne puisse crier, elle était partie. C’était comme tomber à travers un nuage. Le sable était le plus fin du monde, et il n’avait aucune forme quelle qu’elle soit, et, au début, ce n’était pas désagréable. Elle tombait simplement, gentiment, à travers cette douce masse poudreuse, tombait encore et encore plus loin de tout ce qui pouvait ressembler à la vie, mais elle ne pouvait pas se laisser aller à paniquer. Westley lui avait expliqué comment réagir si cela arrivait, et elle suivait ses mots à la lettre ; elle écarta les bras et elle écarta les doigts et se força à prendre la position ressemblant à celle d’un homme mort flottant dans l’eau, tout ça parce que Westley le lui avait dit parce que plus elle s’étalerait, plus lentement elle coulerait. Et plus lentement elle coulerait, plus vite il pourrait plonger après elle et l’attraper. Les oreilles de Bouton d’Or étaient complètement bouchées par les Sables neigeux, et son nez était rempli de Sables neigeux, les deux narines, et elle savait que si elle ouvrait les yeux un million de minuscules fines particules de Sables neigeux se glisseraient sous ses paupières, et maintenant elle commençait à sérieusement paniquer. Depuis combien de temps tombait-elle ? Des heures, semblait-il, et elle avait du mal à retenir sa respiration. « Tu dois la retenir jusqu’à ce que je te trouve, avait-il dit ; tu dois te mettre dans la position d’un homme mort qui flotte et tu dois fermer les yeux et retenir ta respiration et je viendrai te chercher et nous aurons tous les deux une merveilleuse histoire pour nos petits-enfants. » Bouton d’Or continuait de couler. Le poids du sable commençait à lui maltraiter les épaules. Ses reins commençaient à lui faire mal. C’était l’agonie qui lui faisait garder les bras étendus et les doigts écartés alors que tout était si inutile. Les Sables neigeux étaient de plus en plus lourds sur elle maintenant comme elle coulait toujours. Et était-ce sans fond, comme ils le pensaient quand ils étaient enfants ? Couliez-vous pour toujours jusqu’à ce que le sable vous mange et puis vos pauvres os continuaient-ils pour toujours le voyage vers le bas ? Non, sûrement il devait y avoir un abri quelque part. Un abri, pensait Bouton d’Or. Quelle chose merveilleuse. Je suis si fatiguée, si fatiguée, et je veux me reposer, et, « Westley, viens me sauver ! » cria-t-elle. Ou commença-t-elle à crier. Parce que pour crier il faut ouvrir la bouche, donc tout ce qu’elle arriva à dire fut le premier son du premier mot : « Wuh. » Après ça les Sables neigeux étaient au fond de sa gorge et c’en était fait d’elle.

Westley avait fait un fantastique départ. Avant même qu’elle ait entièrement disparu, il avait lâché son épée et son long couteau et avait pris la liane enroulée autour de son épaule. Cela ne lui prit pratiquement pas de temps pour nouer un bout autour d’un arbre géant, et, s’accrochant fermement à l’autre bout, il plongea simplement la tête la première dans les Sables neigeux, battant des pieds comme il coulait, pour avoir une plus grande vitesse. Il n’était pas question d’échec dans son esprit. Il savait qu’il allait la trouver et il savait qu’elle serait en colère et hystérique et peut-être même secouée. Mais vivante. Et c’était, finalement, la dernière chose d’importance. Les Sables neigeux avaient bloqué ses oreilles et son nez, et il espérait qu’elle n’avait pas paniqué, qu’elle s’était souvenue d’étendre son corps de tout son long, pour qu’il puisse l’attraper rapidement avec son plongeon. Si elle s’était souvenue, ça ne serait pas trop dur – autant, en fait, que de sauver un noyé dans de l’eau boueuse. Ils flottent doucement vers le bas, on plonge directement vers eux, on bat des pieds, on tire avec son bras libre, on gagne du terrain sur eux, on les attrape, on les ramène à la surface, et le seul vrai problème alors est de convaincre les petits-enfants qu’une telle chose est réellement arrivée et n’est pas une autre fable familiale. Il avait toujours l’esprit occupé par des enfants pas encore nés quand quelque chose arriva sur laquelle il n’avait pas compté : la liane n’était pas assez longue. Il resta pendu pendant un moment, se tenant au bout menant directement à travers les Sables neigeux vers la sécurité de l’arbre géant. Lâcher la liane était de la vraie folie. Il n’y avait aucune possibilité de forcer son corps tout le long du chemin vers le haut. Quelques mètres d’ascension étaient possibles si on battait des pieds sauvagement, mais pas plus. Donc s’il lâchait la liane et s’il ne la trouvait pas dans un claquement de doigts, c’était fini pour eux. Westley lâcha la liane sans un scrupule, parce qu’il était allé trop loin pour échouer maintenant ; l’échec n’était même pas un problème à considérer. Il coula alors vers le bas et dans un claquement de doigts il avait sa main autour de son poignet. Westley cria alors lui-même, d’horreur et de surprise, et les Sables neigeux s'engouffrèrent dans sa gorge, car ce qu’il avait attrapé était le poignet d’un squelette, que des os, sans plus aucune chair. Cela arrivait dans les Sables neigeux. Une fois que le squelette était bien nettoyé, il commençait, souvent, à flotter, comme une algue dans une douce marée, se déplaçant de-ci de-là, faisant surface quelquefois, plus souvent faisant simplement voyage à travers les Sables neigeux pour l'éternité. Westley jeta le poignet au loin et lança ses mains à l’aveuglette, tâtonnant sauvagement pour toucher une part d’elle, parce que l’échec n’était pas un problème ; l’échec n’est pas un problème, se disait-il ; ce n’est pas un problème à considérer, alors oublie l’échec ; continue juste et trouve-la, et il la trouva. Son pied, plus précisément, et il le tira vers lui et puis son bras était autour de sa taille parfaite et il commença à battre des pieds, battre avec toute la fore qu’il lui restait, n’ayant besoin que de parcourir les quelques mètres vers le bout de la liane. L’idée qu’il puisse être difficile de trouver une simple liane dans une petite mer de Sables neigeux ne le dérangea pas un instant. L’échec n’était pas un problème ; il allait simplement devoir battre des pieds et quand il aurait assez battu des pieds il monterait et quand il aurait assez monté il tendrait la main vers la liane et quand il tendrait la main elle y serait et quand elle y serait il l’attacherait à elle et avec son dernier souffle il les tirerait tous les deux vers la vie.

Ce qui est exactement ce qui arriva.

Elle resta inconsciente un très long moment. Westley s’occupa du mieux qu’il pût, nettoyant les Sables neigeux des oreilles et du nez et de la bouche et, le plus délicat de tous, de derrière les paupières de ses yeux. La longueur de son silence le dérangea vaguement ; c’était presque comme si elle savait qu’elle était morte et qu’elle était effrayée de découvrir que c’était vrai. Il la tenait dans ses mains, la berça doucement. Finalement elle battit les paupières.

Pendant un temps elle regarda et regarda autour d’elle. « Nous sommes vivants, alors ? » réussit-elle à dire finalement.

« Nous sommes résistants.

Quelle merveilleuse surprise.

Pas besoin... » allait-il dire. « Pas besoin de s’inquiéter, » mais sa panique arriva trop vite. C’était une réaction assez normale, et il n’essaya pas de l’arrêter mais, plutôt, il la tint fermement et laissa l’hystérie passer. Elle frissonna pendant un temps en essayant de fuir. Mais c’était encore pire. De là, il ne fallut que quelques minutes pour apaiser les sanglots. Puis elle redevint Bouton d’Or.

Westley se leva, boucla son épée, replaça son long couteau. « Viens, dit-il. Nous devons aller loin.

Pas avant que tu ne m’aies dit, répliqua-t-elle. Pourquoi devons-nous endurer ça ?

Ce n’est pas le moment. » Westley tendit la main.

« C’est le moment. » Elle restait où elle était, sur le sol.

Westley soupira. Elle était sérieuse. « Très bien, dit-il finalement. Je t’expliquerai. Mais nous devons continuer d’avancer. »

Bouton d’Or attendit.

« Nous devons traverser les Marais de Feu, commença Westley, pour une bonne et simple raison. » Dès qu’il avait commencé à parler, Bouton d’Or s’était levée, le suivant de près pendant qu’il avançait. « J’ai toujours eu l’intention d’aller de l’autre côté ; je ne m’étais pas attendu, je dois l’admettre, à passer à travers. Autour, c’était mon intention, mais le ravin m’a forcé à changer.

La bonne et simple raison, rappela Bouton d’Or.

De l’autre côté des Marais de Feu il y a l’embouchure de la baie de l’Anguille-Géante. Et ancré loin dans les eaux les plus profondes de cette baie il y a le grand vaisseau Vengeance. Le Vengeance est la seule propriété de Robert le Redoutable Pirate.

L’homme qui t’a tué ? dit Bouton d’Or. Cet homme ? L’homme qui m’a brisé le coeur ?  Robert le Redoutable Pirate t’a pris la vie, c’est l’histoire qu’on m’a racontée.

Assez vrai, dit Westley. Et ce vaisseau est notre destination.

Tu connais Robert le Redoutable Pirate ? Tu es ami avec un tel homme ?

C’est un peu plus que ça, dit Westley. Je ne m’attends pas vraiment à ce que tu comprennes tout d’un coup ; crois simplement que c’est vrai. Tu vois, je suis Robert le Redoutable Pirate.

Je n’arrive pas à voir comment c’est possible, vu qu’il maraude depuis vingt ans et que tu ne m’as quittée que depuis trois ans.

Je suis moi-même souvent surpris par les petites bizarreries de la vie, admit Westley.

T’a-t-il, réellement, capturé quand tu naviguais vers les Carolines ?

En effet. Son navire Vengeance captura le navire sur lequel j’étais, le Queen’s Pride, et nous devions tous être mis à mort.

Mais Robert ne t’a pas tué.

Clairement.

Pourquoi ?

Je ne pas le dire pour sûr, mais je pense que c’est parce que je lui ai demandé s’il vous plaît non. Le "s’il vous plaît", je pense, a soulevé son intérêt. Je ne l’ai pas supplié ni offert de l’argent, comme les autres. En tout cas, il a retenu son épée assez longtemps pour me demander : "Pourquoi devrais-je faire une exception avec toi ?" et j’ai expliqué ma mission, comment je devais aller en Amérique pour avoir de l’argent pour retrouver la plus belle femme jamais élevée par l’homme, en un mot toi. "Je doute qu’elle soit aussi belle que tu l’imagines," dit-il, et il leva de nouveau son épée. "Les cheveux de la couleur de l’automne, dis-je, et la peau comme de la crème glacée. — De la crème glacée, hein ?" dit-il. Il était intéressé maintenant, au moins un peu, alors j’ai continué de décrire le reste, et à la fin, je savais que je l’avais convaincu de la vérité de mon affection pour toi. "Je vais te dire, Westley, dit-il alors, je me sens sincèrement désolé pour ça, mais si je fais une exception avec ton cas, on va dire que Robert le Redoutable Pirate est devenu coulant et cela marquera le début de ma chute, car dès qu’ils ont arrêté de te craindre, la piraterie ne devient plus que du travail, travail, travail tout le temps, et je suis bien trop vieux pour une telle vie. — Je jure que je ne le dirai jamais, pas même à ma bien-aimée, dis-je ; et si jamais vous me laissez vivre, je serai votre valet et esclave personnel pour cinq années entières, et si jamais je me plains une fois ou vous met en colère, vous pourrez me couper la tête sur-le-champ et je mourrai avec des louanges pour votre impartialité sur mes lèvres." Je savais que je le faisais réfléchir. "Descends, dit-il. Je te tuerai sûrement demain." » Westley arrêta de parler un moment, et prétendit s’éclaircir la gorge, parce qu’il avait repéré le premier R.D.T.I. qui les suivait. Il ne semblait pas encore y avoir besoin de l’alerter, alors il continua simplement de s’éclaircir la gorge et se dépêcha d’avancer entre les explosions de flammes.

« Qu’est-il arrivé demain ? l’exhorta Bouton d’Or. Continue.

Eh bien, tu sais quel gars travailleur je suis ; tu te souviens comme j’aimais apprendre et comme je m’étais entraîné à travailler vingt heures par jour. J’ai décidé d’apprendre ce que je pouvais sur la piraterie dans le temps qui m’était alloué, vu que cela gardait au moins mon esprit loin de ma future exécution. Donc j’ai aidé le cuisinier et j’ai nettoyé la cale et, en général, j’ai fait tout ce qu’on me demandait, en espérant que mon énergie pourrait être favorablement remarquée par Robert le Redoutable Pirate lui-même. "Bien, je suis venu te tuer, dit-il le matin suivant, et j’ai dit : Merci pour les prolongations ; ça a été très fascinant ; j’ai tellement appris, et il dit : Pendant la nuit ? Qu’as-tu pu apprendre en si peu de temps, et j’ai dit : Que personne n’a jamais expliqué à votre cuisinier la différence entre le sel de table et le piment de Cayenne. Ça a été un peu brûlant pendant ce voyage, admit-il. Continue, quoi d’autre ?" et j’ai expliqué qu’il y aurait eu plus de place dans la cale si les cabines avaient été entassées différemment, et puis il remarqua que j’avais complètement réorganisé les choses en bas et, heureusement pour moi, il y avait plus de place, et finalement il a dit : "Très bien, tu peux être mon valet pour un jour. Je n’ai jamais eu de valet avant ; je ne vais probablement pas aimer ça, alors je te tuerai au matin." Tous les soirs pendant l’année suivante il me disait toujours quelque chose comme ça : "Merci pour tout, Westley, bonne nuit maintenant, je te tuerai probablement au matin."

À la fin de l’année, bien sûr, nous étions plus que valet et maître. C’était un petit homme rondelet, pas du tout féroce, comme on s’attendrait à ce que fut Robert le Redoutable Pirate, et j’aime penser qu’il m’aimait autant que moi je l’aimais. À ce moment-là, j’avais vraiment beaucoup appris sur la navigation et le combat à main nue et l’escrime et le lancer de couteau et je n’avais jamais été dans une si excellente condition. À la fin d’une année, mon capitaine me dit : "Assez de cette affaire de valet, Westley, à partir de maintenant tu es mon commandant en second, et j’ai dit : Merci, monsieur, mais je ne pourrais jamais être un pirate, et il a dit : Tu veux retourner vers cette créature aux cheveux automnaux, n'est-ce pas ?" et je n’avais même pas besoin de répondre à ça. "Une bonne année ou deux de piraterie et tu seras riche et de retour, et j’ai dit : Vos hommes ont été avec vous pendant des années et ils ne sont pas riches, et il a dit : C’est parce qu’ils ne sont pas le capitaine. Je vais prendre ma retraite bientôt, Westley, et le Vengeance sera à toi." Je dois admettre, mon aimée, que j’ai un peu faibli à ce moment, mais, nous ne sommes pas arrivés à une décision finale. Au lieu de ça, il accepta de me laisser l’assister dans les quelques captures suivantes et de voir si j’aimais ça. Et j’aimais ça. » Il y avait maintenant un autre R.D.T.I. qui les suivait. Les encadrant comme ils avançaient.

Bouton d’Or les vit alors. « Westley...

Chhh. Tout va bien. Je les surveille. Dois-je finir ? Les chasseras-tu de ton esprit ?

Tu l’as aidé dans les quelques captures suivantes, dit Bouton d’Or. Pour voir si tu aimais ça. »

Westley esquiva une soudaine explosion de flammes, protégea Bouton d’Or de la chaleur. « Non seulement, j’aimais ça, mais il s’est trouvé que j’étais doué, aussi. Si doué que Robert me dit un matin d’avril : "Westley, le bateau suivant est le tien ; voyons comment tu te débrouilles." Cette après-midi nous repérâmes une grosse beauté espagnole, pleine pour Madrid. Je me suis approché en naviguant. Ils étaient en panique. "Qui est-ce ?" cria leur capitaine. "Westley, dis-je. — Jamais entendu parler de vous," répondit-il, et sur ce ils ont ouvert le feu.

Désastre. Ils n’avaient pas peur de moi du tout. J’étais si paniqué que je fis tout de travers, et bientôt ils s'enfuirent. J’étais, dois-je l’ajouter, découragé. Robert m’appela dans sa cabine. J’entrais en rasant les murs comme un enfant battu. "Courage," me dit-il, et puis il ferma la porte et nous furent assez seuls. "Ce que je suis sur le point de te dire je ne l’ai jamais dit avant et tu dois le garder attentivement." J’ai bien sûr dit que je le ferai. "Je ne suis pas Robert le Redoutable Pirate, dit-il, mon nom est Ryan. J’ai hérité de ce vaisseau du précédent Robert le Redoutable Pirate tout comme tu l’hériteras de moi. L’homme de qui je l’ai hérité n’était pas le véritable Robert le Redoutable Pirate non plus ; son nom était Cummerbund3. Le vrai Robert le Redoutable Pirate est retraité depuis quinze ans et vit comme un roi en Patagonie." Je confesse ma confusion. "C’est vraiment très simple, expliqua Ryan. Après plusieurs années, le Robert original était si riche qu’il voulait prendre sa retraite. Clooney était son ami et son second, alors il a donné le navire à Clooney, qui a eu une expérience identique à la tienne : le premier navire qu’il tenta d’aborder le fit pratiquement décoller de l’eau en lui tirant dessus. Alors Robert, réalisant que le nom était ce qui inspirait la peur nécessaire, emmena le Vengeance au port, changea entièrement l’équipage, et Clooney dit à tout le monde qu’il était Robert le Redoutable Pirate, et qui y avait-il pour savoir qu’il ne l’était pas ? Quand Clooney prit sa retraite riche, il passa le nom à Cummerbund, Cummerbund à moi, et moi, Félix Raymond Ryan, de Boodle, près de Liverpool, t’adoube, Westley, Robert le Redoutable Pirate. Tout ce dont nous avons besoin c’est d’accoster, de prendre à bord quelques nouveaux pirates. Je naviguerai quelques jours avec toi comme Ryan, comme ton second, et je parlerai à tout le monde de mes années avec toi, Robert le Redoutable Pirate. Puis tu me laisseras sur terre une fois qu’ils y croiront tous, et les eaux du monde sont à toi." » Westley sourit à Bouton d’Or. « Maintenant tu sais. Et tu devrais aussi réaliser pourquoi c’est idiot d’être effrayé.

Mais je suis effrayée.

Tout finira bien. Réfléchis : il y a un peu plus de trois ans, tu étais une laitière et j’étais un garçon de ferme. Maintenant tu es presque une reine et je gouverne sans conteste sur les eaux. Sûrement, de tels individus ne sont pas faits pour mourir dans les Marais de Feu.

Comment peux-tu en être sûr ?

Eh bien, parce que nous sommes ensemble, main dans la main, dans l’amour.

Oh oui, dit Bouton d’Or. Je n’arrête pas de l’oublier. »

Ses mots et son ton étaient un brin réservés, ce que Westley aurait sûrement remarqué si un R.D.T.I. ne l’avait pas attaqué d’une branche, enfonçant ses dents géantes dans son épaule sans protection, le forçant à terre dans une explosion de sang très inattendue. Les deux autres qui les suivaient lancèrent alors leur attaque, ignorant Bouton d’Or, s’approchant avec toute leur force affamée de l’épaule de Westley.

(Quelque conversation que ce soit sur les R.D.T.I. – rongeurs de taille inhabituelle – doit commencer avec le cabiai d’Amérique du Sud, qui était connu pour atteindre le poids de 68 kg. Ils ne sont rien d’autre, pourtant, que des porcs aquatiques et ne présentent que peu de danger. Le plus grand rat pur est probablement le tasmanien, qui a été pesé à 45 kg. Mais ils ont peu d’agilité, tendent à la paresse quand ils atteignent leur taille maximum, et la plupart des gardiens de troupeaux tasmaniens ont appris avec facilité à les éviter. Les R.D.T.I. des Marais de Feu étaient des rats de pure race, pesant habituellement 36 kg, et avaient la vitesse de chiens-loups. Ils étaient aussi carnivores, et capables d’accès de folie.)

Les rats se battirent l’un contre l’autre pour atteindre la plaie de Westley. Leurs énormes dents de devant déchiraient la chair sans protection de son épaule gauche, et il n’avait aucune idée si Bouton d’Or n’était pas déjà à moitié dévorée ; il savait seulement que s’il ne faisait pas quelque chose de désespéré tout de suite elle le serait bientôt.

Alors il roula intentionnellement son corps dans une explosion de flammes.

Ses habits commencèrent à brûler – ce à quoi il s’attendait – mais, plus important, les rats fuirent devant la chaleur et les flammes juste un instant, mais cela lui suffisait pour atteindre et lancer son long couteau dans le coeur de la bête la plus proche.

Les deux autres se tournèrent immédiatement vers leur prochain et commencèrent à le manger alors qu’il criait toujours.

Westley avait déjà son épée en main, et de deux coups rapides, le trio de rats était liquidé. « Vite ! » cria-t-il à Bouton d’Or, qui se tenait figée où elle était quand le premier rat avait atterri. « Des bandages, des bandages, cria Westley. Fais-moi des bandages ou on est morts, » et, cela dit, il roula sur le sol, déchira ses habits en feu et commença à mettre de la boue dans la profonde plaie de son épaule. « Ils sont comme des requins, des créatures de sang ; c’est de sang qu’ils s’engraissent. » Il enduisait de plus en plus de boue dans sa plaie. « Nous devons arrêter le saignement et nous devons couvrir la plaie pour qu’ils ne la sentent pas. S’ils ne sentent pas le sang, nous survivrons. S’ils la sentent, on est foutus, alors aide-moi, s’il te plaît. » Bouton d’Or déchira ses habits en bandes, et ils travaillèrent sur la plaie, enfouissant le sang avec de la boue du sol des Marais de Feu, puis ils passèrent et repassèrent des bandages dessus.

« On sera fixés bien assez tôt, » dit Westley, parce que deux autres rats les regardaient. Westley se leva, l’épée à la main. « S’ils chargent, c’est qu’ils le sentent, » murmura-t-il.

Les rats géants les regardaient sans bouger.

« Viens, » murmura Westley.

Deux autres rats rejoignirent la première paire.

Sans prévenir, l’épée de Westley étincela, et le rat le plus proche était en sang. Les trois autres se contentèrent de ça pendant un instant.

Westley prit la main de Bouton d’Or et ils recommencèrent à avancer.

« Comment vas-tu ? dit-elle.

Je suis proche de l’agonie mais nous pouvons parler de ça plus tard. Dépêche-toi. » Ils se dépêchèrent. Ils étaient dans les Marais de Feu depuis une heure, et il se trouva que c’était la plus simple sur les six qu’ils mirent à les traverser. Mais ils le traversèrent. Vivants et ensemble. Main bien dans la main.

C’était presque le crépuscule quand ils virent enfin le grand vaisseau Vengeance loin dans la partie la plus profonde de la baie. Westley, toujours dans les confins des Marais de Feu, tomba, frappé, sur les genoux.

Car entre lui et son vaisseau il y avait plus que quelques inconvénients. Du nord arrivait la moitié de la grande Armada. Du sud, l’autre moitié. Une centaine de cavaliers, en armure et armés. En face d’eux le Comte. Et seul devant tous, les quatre blancs avec le Prince à califourchon sur le premier. Westley se leva. « Nous avons pris trop de temps à traverser. C’est ma faute.

J’accepte votre reddition, » dit le Prince.

Westley serra la main de Bouton d’Or. « Personne ne se rend, dit-il.

Vous agissez stupidement maintenant, répliqua le Prince. Je crédite votre bravoure. Ne faites pas de vous un idiot.

Qu’y a-t-il d’idiot à gagner ? voulait savoir Westley. C’est mon opinion que, afin de nous capturer, vous devrez venir dans les Marais de Feu. Nous avons passé beaucoup d’heures ici à présent ; nous savons où attendent les Sables neigeux. Je doute que vous ou vos hommes soyez très anxieux de nous suivre ici. Et au matin nous serons sortis.

J’en doute un peu, » dit le Prince, et il fit un geste vers la mer. La moitié de l’Armada avait commencé à poursuivre le grand vaisseau Vengeance. Et le Vengeance, seul, partait, comme il était obligé de le faire.

« Rendez-vous, dit le Prince.

Cela n’arrivera pas.

RENDEZ-VOUS ! hurla le Prince.

LA MORT AVANT ! rugit Westley.

... promettrez-vous de ne pas lui faire de mal... ? murmura Bouton d’Or.

Comment ? dit le Prince.

Comment ? » dit Westley.

Bouton d’Or fit un pas en avant et dit : « Si nous nous rendons, de notre propre gré et sans nous battre, si la vie retourne à ce qu’elle était au dernier crépuscule, jurerez-vous de ne pas faire de mal à cet homme ? »

Le prince Humperdinck leva la main droite : « Je jure sur la tombe de prochainement-feu mon père et sur l’âme de déjà-feu ma mère que je ne ferai aucun mal à cet homme, et si je le fais, je ne chasserai plus même si je dois vivre mille ans. »

Bouton d’Or se tourna vers Westley. « Voilà, dit-elle. Tu ne peux pas demander plus que ça, et c’est la vérité.

La vérité, dit Westley, c’est que tu préfères vivre avec ton Prince plutôt que mourir avec ton amour.

Je préfère vivre plutôt que mourir, je l’admets.

Nous parlions d’amour, Madame. » Il y eut une longue pause. Puis Bouton d’Or le dit :

« Je peux vivre sans amour. »

Et sur ce elle laissa Westley seul.

Le prince Humperdinck la regarda pendant qu’elle commençait la longue traversée vers lui. « Quand nous serons hors de vue, dit-il au comte Rugen, prenez cet homme en noir et mettez-le dans le cinquième niveau du Zoo de la Mort. »

Le Comte hocha la tête. « Pendant un moment, je vous ai cru quand vous avez juré.

J’ai dit la vérité ; je ne mens jamais, répliqua le Prince. J’ai dit que je ne lui ferai pas de mal. Mais je n’ai à aucun moment dit qu’il ne souffrirait pas. Vous allez le torturer ; je ne ferai que regarder. » Il ouvrit alors les bras pour sa Princesse.

« Il est du vaisseau Vengeance, dit Bouton d’Or. C’est... » commença-t-elle, sur le point de raconter l’histoire de Westley, mais ce n’était pas à elle de la répéter. « ... un simple marin et je le connais depuis que je suis enfant. Vous en chargerez-vous ?

Dois-je jurer encore une fois ?

Pas besoin » dit Bouton d’Or, parce qu’elle savait, comme tout le monde, que le Prince était plus sincère qu’aucun Florin.

« Venez, ma Princesse. » Il prit sa main.

Bouton d’Or s’en alla avec lui.

Westley les regarda. Il se tint silencieux à l’orée des Marais de Feu. Il faisait plus sombre maintenant, mais les explosions de flammes derrière lui soulignaient son visage. Il était gris de fatigue. Il avait été mordu, coupé, il avait couru sans cesse, fait l’assaut des Falaises de la Démence, il avait pris et sauvé des vies. Il avait risqué son monde, et maintenant son monde s’éloignait de lui, main dans la main avec une brute de prince.

Puis Bouton d’Or disparut, hors de vue.

Westley prit une inspiration. Il était conscient de la foule de soldats qui commençait à l’entourer, et il aurait pu en faire transpirer quelques-uns pour la victoire.

Mais quel était l'intérêt ?

Westley s’affaissa.

« Venez, Monsieur. » Le comte Rugen s’approcha. « Nous devons vous emmenez en sûreté sur votre vaisseau.

Nous sommes tous les deux des hommes d’action, répliqua Westley. les mensonges ne nous atteignent pas.

Bien dit, » dit le Comte, et d’un swing inattendu, il mit Westley K.O.

Westley tomba comme une pierre, sa dernière pensée consciente étant la main droite du Comte ; il avait six doigts, et Westley ne pouvait pas se souvenir d’avoir rencontré cette difformité avant...

1 NDLT : les Éditions Urban del Rey font toujours partie de Ballantine Books qui fait maintenant partie de Random House (« qui fait maintenant partie de RCA qui fait maintenant partie de ce qui n’est pas bien dans le fait de publier en Amérique aujourd’hui qui ne fait pas partie de cette histoire »). Voici leur adresse actuelle :

Urban del Rey

Ballantine Books

Random House

1745 Broadway

New York, New York 10019

Je n’ai pas demandé moi-même la scène de retrouvailles. Si quelqu’un le fait, j’aimerais qu’il me fasse part de la réponse qu’il a eue et qu’il me transmette éventuellement ladite scène pour traduction. Merci.

2 Qu'est-ce que le syllabub? Le syllabub est une vieille crème ou boisson anglaise aromatisée avec du vin ou du cidre, souvent adoucie avec du sucre et des épices. Le mélange est fouetté jusqu'à l'obtention d'un produit crémeux. Il peut également être battu en un dessert type crème anglaise. Source : http://www.food-info.net

3Cummerbund : ceinture de smoking.

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